"Fillon prétend rassurer les marchés. Moi, je veux rassurer les salariés et les entreprises"

jeudi 17 novembre 2011.
 

Comme vous le savez, « Le Journal du Dimanche » m’a proposé un entretien et nous l’avons eu jeudi dernier. Si je choisis de le reproduire ici c’est pour que chacun dispose de l’intégralité de mes propos et non leur résumé, parfois réduit à une seule formule. Je pense que son contenu intégral éclaire bien le points où nous voici rendus. Le refus de François Hollande d’accepter l’offre publique de débat que je lui ai faite au nom du Front de Gauche, signale un état d’esprit spécialement arrogant. Les Verts Europe écologie l’acceptent. Pas nous. Cécile Duflot, au journal de 20 heures de France 2, a déclaré ce qu’elle attendait de François Hollande « homme d’ouverture et de rassemblement ». Ce n’est pas mon avis à son sujet. Et au Front de gauche, nous ne reconnaissons aucun rôle central au PS, ni aucune qualité personnelle particulière à son candidat qui le placerait au-dessus des autres. Pour nous, un sondage n’est pas un programme ni une raison de voter. Plus profondément, nous combattons l’archaïsme de la vision de l’UMP et du PS crispés dans l’espoir de ressusciter l’ancien monde qu’ils dirigeaient en alternance. Ce monde-là est fini. Il ne reviendra pas. Le maintenir est déjà un exploit qui coûtera de plus en plus cher, non seulement sur le plan social mais aussi sur celui de la démocratie comme on vient de le voir en Grèce.

Question JDD : Le nouveau plan de rigueur de François Fillon vise à compenser la diminution de la croissance… Vous en pensez-quoi.

JLM : « Il prépare une économie de cimetière. Seuls les morts pourront vivre à l’aise dans ce pays puisqu’ils n’ont besoin de rien. C’est un contresens économique. L’austérité réduira l’activité, les rentrées fiscales baisseront et les déficits augmenteront. Toute l’Europe s’y met ! Partout les résultats sont pitoyables. Voyez aussi le déni de démocratie ! L’Assemblée vote un budget et le lendemain le chef de l’Etat change le chiffre qui a servi à calibrer ce budget ! Enfin c’est un contresens politique. Il commence la danse de saint Guy de l’austérité. Cette agitation pour satisfaire les agences de notation déchaine les requins de la finance. Tout cela nous mène au désastre. Nous sommes en danger. Mais si l’Italie tombe, si l’Espagne entre en turbulence, le système implosera avant. Fillon prétend rassurer les marchés. Moi, je veux rassurer les salariés et les entreprises avec la relance de l’activité. »

JDD : La dette publique était de 21.2 % du PIB en 1978 et de 82.3 % en 2010. Est-ce que cela vous préoccupe ?

JLM : « Ce n’est pas la dette qui est inquiétante. Les titres de la dette en France ont une durée moyenne de sept ans et trente et un jours. Dans ce délai, la France produira 14.000 milliards d’euros. Et nous devons aujourd’hui 1840 milliards d’euros. C’est-à-dire 12.5% du total. Le déficit est insoluble parce qu’on a diminué les recettes. Il faut taxer beaucoup plus sérieusement les revenus du capital – à hauteur de ceux du travail- et taxer davantage les bénéfices des grandes entreprises que les petites. »

JDD : La France doit-elle payer toute sa dette ?

JLM : « Ceux qui veulent nous faire rembourser rubis sur l’ongle nous prêtent toujours plus cher. Il faut rendre les coups. Il est donc normal qu’on s’intéresse au contenu de la dette. J’appuie le mouvement qui s’interroge sur sa légitimité et demande un audit. »

JDD : Les mesures prises récemment suffiront-elles à éviter à la France ce qui arrive à l’Italie ?

JLM : « Non. Il y avait une mesure efficace : que la BCE prête directement aux Etats à 1,25% comme elle le fait aux banques privées qui, elles, prêtent ensuite à 18% à la Grèce. Coupons ce circuit ! Permettons l’emprunt direct. La spéculation serait immédiatement étouffée. Ma thèse était isolée, puis elle s’est élargie au point que le Président de la République en a présenté une version baroque : transformer le FESF en banque. Il y a eu un bras de fer entre la France et l’Allemagne. Sarkozy a capitulé. Il a fait pschitt devant Madame Merkel ! »

JDD : Cette « saison des tempêtes », comme vous l’appelez, peut-elle bénéficier à Nicolas Sarkozy ?

JLM : « Je n’ai jamais cru qu’il était battu d’avance. Je vois bien qu’il joue beaucoup de la dramatisation et de la peur pour se présenter en champion capable de tenir la barre. Il peut être cru si ses opposants ont petite mine. Or que voyons-nous ? Nicolas Sarkozy est pour la rigueur et François Hollande est pour « donner un sens à la rigueur ». La rigueur ou la rigueur ? Quelle différence ! Mon travail est de dire : nous, on peut faire tout autrement. »

JDD : Pour régler la crise, vous mettez dans le même camp François Hollande et Nicolas Sarkozy ?

JLM : « Ils ont la même analyse de la crise. Hollande et Sarkozy sont deux hommes d’un autre temps. Ils ne voient pas la faillite du système. Je représente dans cette discussion une autre cohérence. Le Front de gauche propose un programme de relance de l’activité. Il y a des outils dedans : le salaire maximum, le SMIC à 1700 euros, la planification écologique. Nous visons une double rupture : avec le capitalisme et avec le productivisme. C’est un programme qui coûte mais qui rapporte aussi de nouvelles recettes. Je voudrais en débattre avec François Hollande. Il ne répond pas. Quel mépris ! »

JDD : A vous écouter, Hollande élu serait le Papandréou français ?

JLM : « C’est sa pente ! Notez encore son silence quand la droite et l’extrême-droite entrent au gouvernement grec ! Ici, la ligne de Hollande est incapable de rassembler une majorité populaire pour battre Nicolas Sarkozy. La vraie bataille est de savoir si le peuple français veut tourner la page de ce modèle économique. Les Français seront-ils capables de surmonter la peur et le carcan idéologique dans lequel le duo Sarkozy-Hollande les enferme ? »

JDD : Vous considérez François Hollande comme plus proche de François Bayrou que de vous ?

JLM : « Aujourd’hui ? Oui, je le vois bien. Certes, je ne mets pas un signe égal entre lui et Bayrou ou Sarkozy. Mais l’un des enjeux est de savoir où les français placent le curseur contre Sarkozy. Plutôt du côté de Bayrou ou avec le Front de Gauche ? C’est l’un ou l’autre. Les électeurs socialistes vont devoir trancher cette question aussi. C’est un des enjeux du premier tour à gauche. »

JDD : La ligne de Hollande que vous qualifiez de « sociale-centriste » est-elle conciliable avec la vôtre ?

JLM : « C’est une autre paire de manches. C’est avec François Hollande à sa tête que le PS s’est aligné sur le Parti Socialiste Européen et le « Oui » à l’Europe libérale. Il enrobe de bons mots et de petites blagues une obstination sociale-libérale depuis ses textes de 1983. Pourtant la gauche gagne les élections quand elle est sur une ligne de gauche et elle les perd quand elle est sur une ligne centriste. A présent, à gauche, pourquoi choisir pour entrer dans la saison des tempêtes, un capitaine de pédalo comme Hollande ? Je suis candidat pour que la gauche l’emporte mais pour changer pour de bon l’avenir. »

JDD : Vous êtes personnellement favorable à la sortie du nucléaire. De quel œil regardez-vous les négociations sur ce sujet entre le PS et EELV ?

JLM : « Tout cela est déplorable. D’un côté François Hollande décide tout seul qu’il continue le nucléaire. De l’autre côté, des gens catégoriques disent « il faut sortir du nucléaire ». Puis on s’aperçoit qu’ils échangent des centrales nucléaires contre des circonscriptions. Tout cela sent beaucoup la carabistouille. Il faut proposer un objectif commun au pays : sortir des énergies carbonées. Et donner la décision sur le nucléaire au peuple après un débat approfondi : un référendum ! »

JDD : Vous vous entendez mieux avec EELV qu’avec le PS ?

JLM : « Souvent ! Avec les Verts, il y a une influence mutuelle. Nombre sont devenus anticapitalistes. C’est eux qui ont ouvert le chemin de l’écologie politique en France et ils nous ont contaminés. Souvent on s’aperçoit que les Verts sont plus proches de nous que du Parti Socialiste. Beaucoup aussi sont pour une rupture avec le modèle dominant. »

JDD : Le patron d’EDF, Henri Proglio, estime que la sortie du nucléaire menace un million d’emplois. Que lui répondez-vous ?

JLM : « Un homme aussi intelligent devrait s’interdire des arguments aussi rustiques.La sortie du nucléaire créera aussi de l’emploi. Mais la première question est celle de la dangerosité. L’attitude de Monsieur Proglio est obscurantiste. Au lieu de faire réfléchir, il fait peur. Si les anti-nucléaires ont raison, va-t-on payer d’un million d’emplois la dévastation de notre pays ? »

Ce débat sur l’énergie en général et sur le nucléaire en particulier ne peut être contourné. Il ne doit pas l’être. C’est le grand sujet du siècle qui commence. Avec sept milliards d’êtres humains la question des biens communs vitaux comme l’énergie et l’eau sont des questions centrales desquelles dépendront toutes les autres. Mes amis ne lâchent pas prise. Je vous recommande un tour sur le blog de Corinne Morel-Darleux qui est secrétaire nationale du Parti de Gauche chargée des luttes écologistes. Elle y présente la tribune qu’elle a proposée à Politis et qui concentre son argumentaire sur le thème du référendum. J’en reproduis la conclusion. « Nous ne sommes pas les seuls au Front de Gauche à défendre cette option. L’appel d’Agir pour l’Environnement pour un référendum sur le nucléaire a recueilli 26.000 signatures, dont celles de C. Lepage, D. Baupin, M. Rivasi ou encore P. Mérieu. Et en mai dernier E. Joly, D. Cohn Bendit, N. Hulot et J. Bové écrivaient dans Le Monde : « Un référendum, c’est la légitimité d’un débat citoyen qui permet de faire descendre la discussion dans les familles, les cafés, la rue – au lieu de laisser les experts ministériels et les lobbies dans un dialogue plus ou moins médiatisé. (…) Ce référendum doit figurer en priorité dans tout accord final. (…) Sur des sujets autrement plus graves et dangereux que l’identité nationale, il serait bon pour une fois de donner voix à l’expression souveraine et directe des électeurs. » Le projet d’une telle consultation nous ramène à l’idée que l’on se fait du type d’avenir que nous voulons. La désintoxication des valeurs et comportements hérités à la fois du modèle libéral et de la monarchie quinquennale ne se règle pas d’un coup de baguette magique par un vote aux élections présidentielles. Le mouvement d’autonomisation des citoyens et de renouveau de l’esprit civique ne peut résulter que d’une pratique effective du retour régulier devant les urnes de la décision collective.


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