Bilan et programme du SPD allemand

samedi 7 janvier 2012.
 

Le 5 décembre François Hollande a participé au Congrès du parti social-démocrate allemand (SPD) avec lequel il a affirmé une forte convergence. Il y a salué le bilan du SPD en Allemagne. Pour mesurer la portée de ces déclarations, nous décryptons ici le bilan social de 11 ans de présence du SPD au pouvoir : de 1998 à 2005 avec le gouvernement Schröder puis de 2005 à 2009 en coalition avec la droite d’Angela Merkel. Nous présentons aussi les propositions du SPD en vue des élections législatives de 2013.

Le vrai bilan du SPD au pouvoir 1998-2009

"Vous avez fait des réformes importantes ici en Allemagne. En France, elles ont trop tardé". François Hollande à Berlin au congrès du SPD le 5/12/11

Dans son livre En quête de Gauche, publié en 2007, Jean-Luc Mélenchon présentait un bilan détaillé de l’échec de la social-démocratie européenne et notamment de l’action du SPD allemand. Nous présentons ici des extraits de cette analyse en les complétant et en les actualisant.

Agenda 2010 : le SPD détruit l’Etat social qu’il avait lui-même construit

Agenda 2010 est le nom d’un ensemble de réformes menées en Allemagne par le gouvernement Schröder (coalition SPD-Verts) entre 2003 et 2005.

Les réformes portaient notamment sur le marché du travail et les assurances sociales (réformes Hartz, voir ci-après) :

- économie : allègements de cotisations salariale, baisse des impôts, programmes de crédit pour les entreprises

- impôts : 31 milliards d’euros de baisse d’impôts, notamment par la baisse de 51% à 42% du taux de la tranche maximale d’impôt sur le revenu.

- emploi : réforme du marché du travail et baisse des allocations chômage

- santé : recul de l’assurance obligatoire de 23 milliards d’euros par an pour faire baisser les cotisations, plus grande concurrence

- retraites : développement de la retraite par capitalisation

- formation : développement de l’apprentissage

En France cet agenda 2010 sert de modèle à François Bayrou : "Il faut une majorité centrale pour faire ce qu’on fait les Allemands avec l’agenda 2010" (sur LCP, 12/10/11)

Les réformes Hartz : lutte contre les chômeurs et les droits des salariés

Extrait de Jean-Luc Mélenchon dans En quête de gauche : "En fait, le chiffre terrifiant du chômage a plutôt été utilisé pour faire passer la potion amère des remèdes de choc du libéralisme. C’est en effet sous Gerhard Schröder que l’Allemagne a franchi le terrible cap des 5 millions de chômeurs. Schröder a prétendu y répondre avec son " Agenda 2010 ". Ce programme a signé le divorce du SPD avec son passé de parti protecteur des droits des travailleurs. Les chômeurs et les travailleurs pauvres en ont été les premières victimes. Schröder a utilisé à cette occasion les rengaines les plus lamentables de la propagande en direction des " petits blancs ", dans un registre aussi provoquant que Nicolas Sarkozy en France ou de Tony Blair en Grande-Bretagne proposant d’offrir un réveil matin à chaque chômeur anglais. Ainsi, c’est au nom de " la fin du droit à la paresse ", que le plan Harz IV, grande réforme du code du travail décidée par le gouvernement Schröder, a réduit à un an toute indemnisation du chômage. Les chômeurs sont aussi obligés d’accepter n’importe quel emploi, y compris payé un euro de l’heure, pour conserver leur allocation.

Et ceci dans un pays où il n’existe pas de salaire minimum ! C’est une manière honteuse de considérer que les chômeurs sont les premiers responsables de leur situation. C’est aussi la mise en pièces d’un des systèmes d’assurance chômage les plus anciens et avancés d’Europe. Les sociaux-démocrates l’avaient perfectionné pendant plus d’un siècle."

Les réformes Hartz de Schröder Les 4 réformes du marché du travail menées par le gouvernement Schröder entre 2003 et 2005 ont pris le nom de "réformes Hartz", du nom de leur inventeur, Peter Hartz, ancien directeur des ressources humaines chez Volkswagen.

Elles visent à lutter contre le chômage considéré comme volontaire. Les plus importantes sont les lois Hartz II et Hartz IV.

Hartz II (effective à partir de 2003) :

- création des contrat "Minijobs" (contrat de travail précaire, de courte durée et moins taxé) et des contrats Midijob (salaire compris entre 400 et 800 euros par mois)

- création du dispositif Ich-AG : incitation, pour les chômeurs, à la fondation d’entreprise

Hartz IV (effective à partir de 2005, après plusieurs manifestations hebdomadaires à la fin de l’été 2004) :

- baisse de 20% de l’indemnité des chômeurs de moins de 25 ans qui vivent chez leurs parents

- réduction de la durée d’indemnisation du chômage de 32 mois à 12 mois. Au-delà, les chômeurs ont droit à une allocation d’environ 350 euros à condition d’accepter les emplois qui leur sont proposés. L’allocation est réduite de 60% en cas de deux refus la même année. Elle est supprimés au troisième refus.

- réduction des indemnités versées aux chômeurs de longue durée qui refusent des emplois en dessous de leur qualification

- création des "Jobs à 1 euro de l’heure" pour les chômeurs, même si une convention collective prévoit un salaire minimum

Les "Minijobs" ont fragilisé les salariés. Les "jobs à 1 euro" ont créé une terrible concurrence à la baisse sur les salaires entre chômeurs et salariés.

La grande coalition SPD-CDU a poursuivi cette logique de précarisation des salariés :

- la période d’essai des contrats de travail a été allongée de 6 à 24 mois comme le prévoyait en France les CPE et CNE

- Et les entreprises peuvent désormais embaucher des salariés de plus de 52 ans avec une période d’essai illimitée !

Retraite

Extrait de Jean-Luc Mélenchon dans En quête de gauche : "En Allemagne, dès 2001, Schröder avait réduit la part de la retraite par répartition au profit de retraites complémentaires privées par capitalisation. Depuis, la grande coalition, dont le ministre des affaires sociales est social-démocrate (SPD), a décidé en 2007 de passer l’âge de départ à 67 ans ! Encore faut-il ajouter que, pour bénéficier du taux plein, il faut avoir cotisé 45 annuités minimum ! Les sociaux-démocrates allemands font ainsi pire que la droite en France en 2003 !"

La réforme Schröder de 2001 : baisse des pensions et capitalisation

- réduire de 70 % à 64 % le taux moyen de remplacement d’ici 2030 ;

- encourager le développement de l’épargne-retraite privée : mise en place d’un système complémentaire de pensions privées par capitalisation avec incitations fiscales jusqu’à 4% du salaire brut.

En 2003, Schröder a durci sa réforme :
- les pensions sont indexées sur le ratio entre retraités et actifs (défavorable)
- une décote est introduite pour les départs avant 65 ans

La réforme de 2007 : la retraite à 67 ans votée par la coalition CDU-SPD

- report de l’âge de départ de 65 à 67 ans d’ici à 2029

- Seuls les salariés aux carrières longues (45 annuités !) et les handicapés pourront partir avant 67 ans.

Conséquences :

- En 2007, moins d’un tiers des nouveaux retraités avaient un emploi stable durant les trois années qui ont précédé leur départ à la retraite.

- Donc la part des personnes qui subissent une décote augmente : près de 60% en 2008, contre 12% en 2000.

Casse du service public : l’exemple de l’électricité

Extrait de Jean-Luc Mélenchon dans En quête de gauche : "La libéralisation des Services Publics est une constante majeure du programme commun des sociaux-démocrates au niveau européen. Les exemples abondent. Je crois qu’il est important de citer les Allemands compte tenu de la trajectoire qui les a conduits jusque dans un gouvernement sous direction de droite. A son arrivée au pouvoir en 1998, le nouveau chancelier du SPD, Gerhard Schröder décida de ne pas remettre en cause la libéralisation précoce de l’électricité qu’avait décidée le gouvernement Kohl. Ce programme était déjà très en avance sur les échéances européennes. Pourtant Schröder accéléra encore l’ouverture à la concurrence. Avec toujours le même résultat. Les prix de l’électricité pour les ménages ont cru de 25 % depuis 2002 et les investissements ont chuté de 26 % depuis 1998 ; 65 000 emplois qualifiés ont été supprimés dans le secteur. Evidemment à présent, la dégradation de la maintenance du réseau électrique se traduit par des incidents de fonctionnement de plus en plus nombreux et de plus en plus visibles. Le gel du programme nucléaire décidé sous couleur d’écologie a, en réalité, été surtout imposé à Schröder par les firmes privées. Elles sont en effet incapables de financer le renouvellement du parc nucléaire à long terme. Dès lors, les premiers incidents graves dans les centrales nucléaires ont eu lieu. Cela ne ralentit absolument pas la mise en place de la dérégulation. En effet, la grande coalition CDU/SPD vient de mettre fin, au 1er juillet 2007, à tout prix réglementé de l’électricité. La suite est écrite d’avance. Il y aura un nouveau bond des tarifs et un nouvel écroulement de l’investissement. Faudrait-il inclure tout cela dans notre programme pour nous rapprocher du " modèle social-démocrate " et " moderniser notre logiciel " ?"

Cadeaux fiscaux aux plus riches et les entreprises

Extrait de Jean-Luc Mélenchon dans En quête de gauche : "Schröder a aussi accompli des exploits libéraux en matière fiscale. Dès son premier gouvernement, le taux le plus élevé de l’impôt sur le revenu est passé de 51 % à 42 % et l’impôt sur les bénéfices de 40 % à 25 % ! Et encore ce n’était rien par rapport à ce que vient de faire son dauphin Peer Steinbruck comme ministre des finances de la grande coalition, qui unit les sociaux-démocrates et la droite sous l’autorité de madame Angela Merkel. Il a fait voter à la majorité CDU/SPD un plan de 30 milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus riches. Les revenus financiers des particuliers ne seront plus désormais soumis à l’impôt sur le revenu comme ceux des salariés. Ils bénéficient d’un prélèvement forfaitaire de 25 %. Et le taux de l’impôt sur les bénéfices a été une nouvelle fois abaissé pour passer de 25 % à 15 %. Aujourd’hui, l’Allemagne est la championne d’Europe du dumping fiscal ! Ses choix fiscaux font pression sur tous les autres Etats européens et sur les travailleurs de ces pays. C’est un internationalisme d’un genre nouveau, non ?"

"Le parallèle [avec les projets de Sarkozy] est souvent frappant. Prenons le projet de TVA dite " sociale ". […]. En fait Nicolas Sarkozy a repris cette idée à plusieurs gouvernements sociaux-démocrates. Et d’abord aux héros du modèle de " l’Europe du nord ". […]. Depuis, la même voie a été suivie par la grande coalition allemande. SPD et CDU, bras dessus bras dessous, ont augmenté la TVA de 16 % à 19 %."

Les réformes fiscales de Schröder (la plus importante date de 2000)

- 31 milliards d’euros de baisse d’impôts (ménages + entreprises)

- baisse de 51% à 42% du taux de la tranche maximale d’IR

- baisse de l’impôt sur les bénéfices de 40% à 25% pour les bénéfices réinvestis, à 30% pour les bénéfices distribués.

Dans la grande coalition, le SPD a soutenu :

- une nouvelle baisse de l’impôt sur les bénéfices

- la hausse de la TVA de 3 points en 2007.

Le programme du SPD pour 2013 (adopté en décembre 2011)

Propositions sur l’Europe et l’euro

Sur l’Europe le SPD avance des propositions particulièrement libérales qui aggraveraient l’austérité et la dérive autoritaire de la construction européenne.

Les nouveaux documents du SPD sur l’Europe

Le SPD a tenu son congrès fédéral du 04 au 06 février 2011 à Berlin. Il y a adopté deux résolutions sur l’Europe :

- " Un nouveau progrès pour une Europe forte " (Neuer Fortschritt für ein starkes Europa)

- " Une alliance pour le renouvellement de l’Europe " (Ein Bündnis zur Erneuerung Europas)

Le 13 décembre 2011, le SPD a présenté au parlement fédéral une résolution concernant le conseil européen qui s’est tenu le 08 et 09 décembre 2011 (Bundestagsdrucksache : 17/8135).

Une analyse libérale de la crise

- pour le SPD la crise de l’euro est due à une politique budgétaire laxiste des pays en crise1

- Les " sanctions automatiques " en cas d’infraction du pacte de stabilité et de croissance ont été décidées trop tardivement.2

- Il y aurait un " manque de compétitivité dans l’économie réelle " d’une partie de la zone euro combiné aux excédents commerciaux allemands.3

- Les marchés financiers ne sont pas assez régulés.4

- La gestion de la crise par le gouvernement allemand n’est pas parvenue à " calmer les marchés financiers " et a même " déstabilisé les marchés financiers ".5

Les solutions libérales proposées par le SPD

- " Consolidation juste : Tous les États membres de l’UE doivent prendre des mesures [...] crédibles pour consolider leurs budgets. "6

- La " règle d’or " : " Les États membres de la zone euro doivent définir la marge de manœuvre de leur endettement futur par des règles et lois contraignantes inscrites dans le droit constitutionnel. "7

- Les aides du FESF doivent être octroyées en contrepartie de " conditions strictes ".8

- Les États endettés doivent " abandonner leur souveraineté nationale en matière budgétaire ".9

- Les sanctions automatiques doivent aller au-delà " de sanctions purement financières ".10 – le SPD fait écho à la demande de priver les États endettés de leurs droits de vote au conseil.

- Les règles du " semestre européen " et du " Règlement établissant des mesures d’exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro " doivent être groupées en un seul texte législatif pour amplifier le " contrôle " et les " sanctions ".11

- Il faut un programme de " rilance " pour les États fortement endettés.12

Banque Centrale Européenne (BCE) : le statu quo – A cause de " l’échec de la politique ", la BCE a dû se constituer en " acteur politique ". Sinon " l’Europe se serait retrouvée au bord de la ruine. "13

- " Elle [la BCE] continuera à exercer une responsabilité centrale. "14

- En cas " d’échec persistant du marché " il ne faut " pas exclure " le " préfinancement du FESF " par la BCE.15

- Le SPD ne fait aucune proposition supplémentaire relative au fonctionnement et aux missions de la BCE.

Extrait : le SPD prone l’abandon de la souveraineté nationale en matière budgétaire

- " La mutualisation des dettes décidée par le plan de sauvetage européen (FESF), doit nécessairement être accompagnée par plus de contrôle et d’influence directe de l’Union Européenne sur les budgets nationaux des pays en crise de la zone euro. [...] Les pays touchés par la crise doivent être prêts à abandonner une partie de leur souveraineté nationale en matière de politique de stabilité et budgétaire. [...] Les garanties financières – que ce soit sous la forme des plans de sauvetage actuels ou avec l’émission d’obligations communes – ne sont pas possibles sans un contrôle communautaire. Le SPD est prêt à entreprendre les changements des traités européens nécessaires. "16

Autres propositions du programme 2013 du SPD

Retraite :

- suspension du passage à la retraite à 67 ans "jusqu’à ce que plus d’emplois pour les seniors soient créés".

Salaire minimum :

- désormais le SPD est pour un salaire minimum légal

- mais il ne propose que 8,50 euros brut de l’heure (contre 9.22 euros en France actuellement). Ce qui constitue tout de même 100€ de moins par mois que le SMIC actuel français pour un temps plein.

- ce montant pourra ensuite être réévalué par "une commission d’experts indépendants" [sic].

Travail :

- limitation à 12h par semaine de la durée de travail dans le cadre des "minijobs" (emplois précaires créés par le démantèlement du marché du travail sous Schröder).

- égalité de salaires des sous-traitants et de l’entreprise qui sous-traite.

Imposition :

- ils veulent passer de 42% à 49% la tranche marginale d’imposition sur le revenu… mais en haussant le seuil de déclenchement de cette tranche de 52.885 à 100.000 €. Et ils n’ont pas tranché si la taxe exceptionnelle de 3% sur les riches doit être comprise dans le calcul ou surajoutée.

- hausser la taxation des revenus du capital de 25% à 32%.

- plus taxer les héritages.

Education :

- soutien scolaire accru pour enfants d’origines étrangères.

- suppression des frais de scolarité universitaires dans les Länder qui les appliquent

Famille :

- suppression graduelle des frais d’inscription en crèche.

- relancer la construction de crèches et d’écoles ouvertes toute la journée (vs. beaucoup d’écoles allemandes sont fermées l’après-midi, d’où sélection sociale par les activités que peuvent se payer les enfants l’après-midi, pression sur les mères pour prise en charge "familiale" …). D’ici 2020, les enfants doivent avoir le droit à une place en crèche et une place dans une école ouverte tout la journée.

Démocratie :

- autorisation du référendum national.

- Limitation à 3 mois de l’enregistrement automatique de données sur le web. Utilisation des données conditionnée à un accord expresse de juge.

- Abaissement de l’âge du droit de vote à 16 ans.

Energie :

- favorable à une sortie du nucléaire


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