Paris est plus que grand, il est immense. Pourquoi ? parce qu’il ose. Oser ; le progrès est à ce prix

mardi 12 juillet 2016.
 

Victor Hugo (Les Misérables, 3ème tome)

De limite à Paris, point. Aucune ville n’a eu cette domination qui bafoue parfois ceux qu’elle subjugue. Vous plaire, ô Athéniens  ! s’écriait Alexandre. Paris fait plus que la loi, il fait la mode  ; Paris fait plus que la mode, il fait la routine. Paris peut être bête si bon lui semble, il se donne quelquefois ce luxe  ; alors l’univers est bête avec lui  ; puis Paris se réveille, se frotte les yeux, dit  : Suis-je stupide  ! et éclate de rire à la face du genre humain. Quelle merveille qu’une telle ville  ! Chose étrange que ce grandiose et ce burlesque fassent bon voisinage, que toute cette majesté ne soit pas dérangée par toute cette parodie, et que la même bouche puisse souffler aujourd’hui dans le clairon du jugement dernier et demain dans la flûte à l’oignon  ! Paris a une jovialité souveraine.

Sa gaîté est de la foudre et sa farce tient un sceptre. Son ouragan sort parfois d’une grimace. Ses explosions, ses journées, ses chefs-d’œuvre, ses prodiges, ses épopées, vont au bout de l’univers, et ses coq-à-l’âne aussi. Son rire est une bouche de volcan qui éclabousse toute la terre. Ses lazzis sont des flammèches. Il impose aux peuples ses caricatures aussi bien que son idéal  ; les plus hauts monuments de la civilisation humaine acceptent ses ironies et prêtent leur éternité à ses polissonneries. Il est superbe  ; il a un prodigieux 14 juillet qui délivre le globe  ; il fait faire le serment du Jeu de Paume à toutes les nations  ; sa nuit du 4 août dissout en trois heures mille ans de féodalité  ; il fait de sa logique le muscle de la volonté unanime  ; il se multiplie sous toutes les formes du sublime  ; il emplit de sa lueur Washington, Kosciusko, Bolivar, Botzaris, Riego, Bem, Manin, Lopez, John Brown, Garibaldi  ; il est partout où l’avenir s’allume, à Boston en 1779, à l’île de Léon en 1820, à Pesth en 1848, à Palerme en 1860  ; il chuchote le puissant mot d’ordre  : Liberté, à l’oreille des abolitionnistes américains groupés au bac de Harper’s Ferry, et à l’oreille des patriotes d’Ancône assemblés dans l’ombre aux Archi, devant l’auberge Gozzi, au bord de la mer  ; il crée Canaris  ; il crée Quiroga  ; il crée Pisacane  ; il rayonne le grand sur la terre  ; c’est en allant où son souffle les pousse que Byron meurt à Missolonghi et que Mazet meurt à Barcelone  ; il est tribune sous les pieds de Mirabeau et cratère sous les pieds de Robespierre  ; ses livres, son théâtre, son art, sa science, sa littérature, sa philosophie, sont les manuels du genre humain  ; il a Pascal, Régnier, Corneille, Descartes, Jean-Jacques, Voltaire pour toutes les minutes, Molière pour tous les siècles  ; il fait parler sa langue à la bouche universelle, et cette langue devient verbe  ; il construit dans tous les esprits l’idée de progrès  ; les dogmes libérateurs qu’il forge sont pour les générations des épées de chevet, et c’est avec l’âme de ses penseurs et de ses poëtes que sont faits depuis 1789 tous les héros de tous les peuples  ; cela ne l’empêche pas de gaminer  ; et ce génie énorme qu’on appelle Paris, tout en transfigurant le monde par sa lumière, charbonne le nez de Bouginier au mur du temple de Thésée et écrit Crédeville voleur sur les Pyramides.

Paris montre toujours les dents  ; quand il ne gronde pas, il rit. Tel est ce Paris. Les fumées de ses toits sont les idées de l’univers. Tas de boue et de pierres si l’on veut, mais, par-dessus tout, être moral. Il est plus que grand, il est immense. Pourquoi  ? parce qu’il ose.

Oser ; le progrès est à ce prix.

Toutes les conquêtes sublimes sont plus ou moins des prix de hardiesse. Pour que la révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la pressente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose.

Le cri  : Audace ! est un Fiat Lux. Il faut, pour la marche en avant du genre humain, qu’il y ait sur les sommets en permanence de fières leçons de courage. Les témérités éblouissent l’histoire et sont une des grandes clartés de l’homme.

L’aurore ose quand elle se lève. Tenter, braver, persister, persévérer, s’être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. Le même éclair formidable va de la torche de Prométhée au brûle-gueule de Cambronne.


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