Imprimerie et début 15ème Michelet

samedi 6 juillet 2019.
 

La transmission du livre populaire fut rapide, on ne peut en douter. Le genre humain, au commencement du quinzième siècle, éprouva un besoin tout nouveau de reproduire, de répandre la pensée ; ce fut comme une frénésie d’écrire. Les écrivains faisaient fortune, non plus les belles mains, mais les plus agiles. L’écriture, de plus en plus hâtée, risquait de devenir illisible... Les manuscrits, jusqu’alors enchaînés dans les églises, dans les couvents, avaient rompu la chaîne et couraient de main en main. Peu de gens savaient lire, mais celui qui savait lisait tout haut ; les ignorants écoutaient d’autant plus avidement ; ils gardaient, dans leurs jeunes et ardentes mémoires, des livres entiers.

Il fallait bien lire, écouter, penser tout seul, puisque l’enseignement religieux et la prédication manquaient presque partout. Les dignitaires ecclésiastiques abandonnaient ce soin à des voix mercenaires. Nous avons vu, en 1405 et 1406, que, pendant deux hivers, deux carêmes, il n’y eut point de sermon à Paris ; à peine y eut-il un culte.

Et quand ils parlaient, que disaient-ils ? Ils proclamaient leurs dissensions, leurs haines ; ils maudissaient leurs adversaires. Comment s’étonner que l’âme religieuse se soit retirée en soi, qu’elle n’ait plus voulu entendre la voix discordante des docteurs, mais une seule voix, celle de Dieu ?

Que l’Imitation soit ou non un livre français, c’est en France qu’elle eut son action. Cela est visible, non seulement par le grand nombre des versions françaises (plus de soixante !), mais surtout parce que la version principale est française, version éloquente et originale qui fit du livre monastique un livre populaire. Au reste, il y a une raison plus haute et qui finit cette vaine dispute : l’Imitation fut donnée au peuple qui ne pouvait plus se passer de l’Imitation. Ce livre, utile ailleurs sans doute, était ici une suprême nécessité. Nulle nation n’était descendue plus avant dans la mort, nulle n’avait besoin davantage de fouiller au fond de l’âme la source de vie qui y est cachée. Nulle ne pouvait mieux entendre le premier mot du livre : « Le royaume de Dieu est en vous, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ. Rentre donc de tout ton coeur en toi-même, et laisse ce méchant monde. Tu n’as point ici de demeure permanente, où que tu sois. Tu es étranger et pèlerin ; tu n’auras repos en nul lieu, sinon au coeur, quand tu seras vraiment joint à Dieu. Que regardes-tu donc çà et là pour trouver repos ? Soit ton habitation aux cieux par l’amour, et point ne regarde les choses de ce monde qu’en passant, car elles passent et viennent à néant, et toi aussi comme elles... »

L’Imitation de Jésus-Christ, sa Passion reproduite dans la Pucelle, telle fut la rédemption de la France.

Une objection peut s’élever maintenant, que personne ne ferait tout à l’heure ; N’importe ; dès ce moment nous pouvons répondre. L’esprit de ce livre, c’est la résignation. Cet esprit, répandu dans le peuple, eût dû, ce semble, le calmer, l’endormir, loin d’inspirer l’héroïsme de la résistance nationale. Comment expliquer cette apparente opposition ? C’est que la résurrection de l’âme n’est point celle de telle ou telle vertu, c’est que toutes les vertus se tiennent. C’est que la résignation ne revint pas seule, mais l’espoir, qui est aussi de Dieu, et avec l’espoir la foi dans la justice... L’esprit de l’Imitation fut pour les clercs patience et passion  ; pour le peuple ce fut l’action, l’héroïque élan d’un coeur simple...

Et qu’on ne s’étonne pas si le peuple apparut ici en une femme, si de la patience et des douces vertus une femme passa aux vertus viriles, à celles de la guerre, si la sainte se fit soldat. Elle a dit elle-même le secret de cette transformation, c’est un secret de femme : « LA PITIÉ qu’il y avait au royaume de France ! ... »

Voilà la cause, ne l’oublions jamais, la cause suprême de cette révolution. Quant aux causes secondaires, intérêts politiques, passions humaines, nous les dirons aussi ; toutes doivent essayer leurs forces, venir heurter au but, succomber, s’avouer impuissantes, rendant hommage ainsi à la grande cause morale qui seule les rendit efficaces.


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