Assemblées citoyennes du Front de gauche Comme un parfum de 2005

mardi 24 janvier 2012.
 

« Je ressens la même dynamique qu’en 2005 »

Jean-Marie Drobisz, délégué syndical chez ArcelorMittal

« Des gens venus d’horizons différents, pas nécessairement des militants, se rencontrent, apprennent les uns des autres. Ils se mettent en mouvement autour d’une idée simple : on ne peut plus continuer dans ce monde de fous. L’urgence est sociale. C’est ce qui se passe dans les entreprises, toute cette crise dans laquelle on vit. On a une société avec des besoins immenses en tous domaines. Je travaille dans les panneaux solaires, on pourrait en installer partout. J’ai un fils de vingt et un ans, la nouvelle génération va avoir un avenir qui s’annonce terrible. Donc j’ai envie de m’investir pour faire en sorte que les travailleurs soient entendus. Chez les collègues, il y a des idées qui fourmillent et il faut qu’elles soient portées. Ce n’est pas gagné. Tout le monde est un peu écrasé de soucis. Il n’y a pas ces réflexes de dire : “Il y a une échéance électorale, on va s’en servir.” C’est encore à gagner, mais il y a quand même mille petits signes. Je ressens quelquefois la même dynamique qu’en 2005, le sentiment qu’on peut soulever des montagnes. »

En lançant les assemblées citoyennes, le Front de gauche fait le pari d’ouvrir les portes de la campagne aux électeurs, en leur proposant de ne renoncer à aucune de leurs exigences : celles de battre Sarkozy et de mettre en œuvre le changement qu’ils attendent de la gauche. Reportage dans trois villes.

Il y a un an, le 12 janvier 2011, Christian Picquet exposait le défi que s’était lancé le Front de gauche en proposant de constituer partout ces « assemblées citoyennes » : « Nous voulons aboutir à de vraies assemblées populaires qui drainent largement, au-delà de la sphère militante influencée par le Front de gauche. Cela ne s’improvise pas, il faut le construire, surmonter les difficultés dues à l’incertitude ambiante. » Un an après, le mouvement a incontestablement fait boule de neige : plus de quatre cents ont été recensées à ce jour. Quant à la participation, elle varie d’une assemblée à l’autre, mais on y trouve chaque fois plusieurs dizaines de participants à l’échelle d’un quartier ou d’un canton rural, dont une bonne part, quand ce n’est pas la majorité, de citoyens non membres des partis qui composent le Front de gauche. L’avantage de ces assemblées, c’est donc l’élargissement du débat politique qu’elles permettent au-delà du cercle militant, démultipliant le bouche-à-oreille et l’échange des arguments, des idées, à l’échelle d’un quartier. Le pari, c’est de fidéliser progressivement pour élargir sans perdre personne en route lorsque les questions abordées deviennent pointues ou prétendument réservées aux « experts ». Sacrée tâche, quand les assemblées mêlent militants aguerris par des décennies de militantisme et citoyens dont c’est parfois le premier engagement.

Pour y parvenir, les composantes du Front de gauche ont parié sur l’envie d’un changement réel dans le pays, qui ne se limite pas « au programme minimum – virer Sarkozy » mais où « les deux campagnes, présidentielle et législatives » seront « l’occasion de déclencher l’entrée en scène politique d’une majorité de concitoyens, syndicalistes, militants associatifs, élus locaux, citoyens des quartiers », expliquait Pierre Laurent au Conseil national du PCF, le 21 octobre. Et dans les faits, partout, on constate que cette envie de comprendre, de dénoncer les méfaits du sarkozysme pour empêcher sa réélection, mais surtout, de débattre et de construire des solutions, des arguments pour crédibiliser une politique réellement alternative auprès de ses voisins, de ses proches, à l’approche des élections.

Comme à Orléans, dans la cité populaire des Blossières, au nord de la ville, lundi dernier. Près de quarante participants ont répondu à l’invitation au débat sur la dette publique et la répartition des richesses. Comme partout ailleurs, un public mêlé. Jeunes et moins jeunes, salariés, chômeurs, retraités, étudiants, militants PCF et PG et citoyens non encartés : près de la moitié d’entre eux, observe Mathieu Gallois, responsable du PCF du Loiret, aux côtés de Sylvie Dubois, candidate PCF-Front de gauche aux législatives sur la circonscription. Au milieu, Jean-Pierre Perrin assure l’animation du débat. La présence de ce militant associatif ultra-connu à Orléans témoigne à elle seule de l’offre nouvelle que constitue le Front de gauche. « Je n’ai jamais été loin de la politique », dit cet ancien prêtre qui fut même plusieurs fois candidat aux élections locales. Mais il cherchait un engagement qui « dépasse » le cadre des partis. Son souci : que les assemblées citoyennes ne se transforment pas en club de réflexion, mais soient des outils pour rassembler politiquement les citoyens, français et immigrés, dans les quartiers, pour les élections mais aussi au-delà.

Et les idées ne manquent pas : difficile parfois de contenir l’enthousiasme qui déborde à se retrouver ensemble. L’idée de porte-à-porte est lancée, et même celle de tenir les assemblées en plein air, dans les lieux publics, « aux beaux jours »… Un enthousiasme qui ne cède en rien à la pugnacité du débat : pas question d’« avaler » sans comprendre ni discuter une proposition. Sur les moyens d’enrayer la dette, le programme du Front de gauche est décortiqué, passant en revue les objections : le chantage du patronat à la fuite des capitaux et les moyens de le contrer, comme celui de récupérer les produits de l’évasion fiscale. Avec une préoccupation : « Partir des problèmes du quartier, le chômage, les prix, l’avenir des jeunes . »

Outils pour rassembler

Mêmes exigences à Thionville (Moselle), mardi.

Les préoccupations qui s’expriment dans la discussion plutôt informelle concernent la crise, l’emploi, la précarité. Rien d’étonnant dans cette ville de Moselle, bassin sidérurgique sinistré. Les suppressions d’emplois ou le chômage partiel, notamment chez ArcelorMittal, font partie du quotidien. Gandrange et Florange sont voisines. « 1 500 chômeurs en plus à l’automne, on a dépassé la moyenne nationale », rappelle Annie Hackemheimer, candidate aux législatives. « Aujourd’hui, les guerres ce sont les fermetures d’usines », estime un autre participant tandis que Dominique Méli, l’un des adjoints au maire (PCF), constate que la crise s’immisce dans les moindres recoins. « Le tonnage des ordures ménagères a diminué de 10%. On ressent la baisse de la consommation jusque-là. » Mais la discussion porte surtout sur les alternatives. « On a besoin d’industries de base, d’autant qu’on a le savoir-faire », intervient Jean-Marie Drobisz, délégué syndical à Bettembourg. On confronte les arguments, au besoin on s’appuie sur le programme L’humain d’abord, on essaie de répondre aux interrogations que soulève l’actualité. « Peut-on mettre en place la taxe Tobin ? » s’interroge-t-on par exemple. « Ceux qui sont déjà venus s’investissent de plus en plus dans le débat », se réjouit Annie Hackemheimer. À quelques kilomètres du Luxembourg et avec plus de 70 000 travailleurs transfrontaliers en transit tous les jours, la question européenne est dans toutes les têtes. « Le problème c’est la BCE. Elle redistribue des sommes faramineuses non pas à l’économie mais aux banques. Le maillon qui nous tue, c’est le maillon bancaire. J’aimerais que ça se passe mieux pour les générations qui travaillent et pour la mienne aussi », confiera Victoria une lycéenne très attentive au débat. En fin d’assemblée, on s’organise pour populariser le meeting de Jean-Luc Mélenchon à Metz le 18 janvier. « Ce n’est peut-être pas grand-chose mais chacun part avec une centaine de tracts et l’envie de faire. » ,explique le syndicaliste.

Changement de décor à Ganges, à une heure au nord de Montpellier, aux confins de l’Hérault, en zone rurale. « C’est un bastion ouvrier, explique Gilles. Il y avait l’industrie des bas de soie mais aujourd’hui tout est parti et les gens travaillent où ils peuvent. » Certains à Montpellier, d’autres ici enchaînant les contrats précaires dans la grande distribution. Une cinquantaine de personnes s’est déplacée lundi pour prendre part au débat, des personnes âgées en majorité. Après la laïcité, la dette, la gauche face aux crises, le débat de cette soirée est : « La justice est-elle une arme contre les pauvres ? » Gilles Sainati, membre du Syndicat de la magistrature, apporte son regard. « J’ai tout fait : juge d’instruction, droit des affaires, etc. », explique-t-il en préambule. Un parcours qui lui permet de brosser le portrait judiciaire des dix dernières années. Depuis l’arrivée de Sarkozy à l’Intérieur puis à la tête de l’État son constat est clair : « Nous sommes passés d’un État social à un État pénal. »

Libertés à l’honneur

Et ce soir, comme à Orléans et à Thionville, l’assemblée veut comprendre. Les questions sont précises à l’image de ce monsieur qui veut savoir quelle catégorie sociale prédomine chez les prisonniers. « En prison, il y a un taux d’analphabétisation de 30%, la plupart sont sans emploi depuis plus d’un an avant leur entrée », explique le magistrat. En résumé, on enferme les plus pauvres. D’autres veulent savoir comment se concrétise les partenariats publics privés (PPP) au quotidien. Gilles Sainati prend l’exemple de la prison de Béziers gérée par Eiffage : « La restauration et l’entretien ont été privatisés. Ce n’est donc plus assuré par les prisonniers qui faisaient du service commun. Alors, cet été ça a explosé car ils ne faisaient plus rien. Ils sont réduits au rôle de simples détenus. Plus il y a de délinquants, plus ça rapporte ? », constate un participant. Un besoin de propositions claires pour en sortir, en revenant sur les lois de sécurité intérieure.

Mélenchon à la télé, écoutes collectives

C’est devenu un rituel : à chaque important passage de Jean-Luc Mélenchon à la télévision, le Front de gauche organise des écoutes collectives à l’échelle nationale. Pour que les citoyens ne soient pas de simples téléspectateurs, on crée donc ces écoutes qui permettent de commenter et de débattre les propos entre militants, amis, voisins ou habitants. Il peut s’agir de rencontres dans des appartements, dans des cafés et des brasseries ou dans les locaux des partis du Front de gauche. Comme à Viry-Châtillon (Essonne), à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), dans le 13e arrondissement de Paris, à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ou encore à Saint-Pierre-d’Aurillac (Gironde). Ces initiatives se déroulent en présence des candidats aux législatives.

Sébastien Crépel 
(à Orléans), Julia Hamlaoui (à Thionville) et Nicolas Séné (à Ganges), L’Humanité


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