Oui, la crise est politique ! (PRS national)

mercredi 5 avril 2006.
 

Oui, c’est une crise politique Les manifestations de mardi dernier n’ont pas enregistré la moindre décrue. Elles ont même dépassé le succès historique du 28 mars. L’intervention de Chirac vendredi soir n’a donc eu aucun effet. En revanche, le renvoi de la discussion aux groupes parlementaires de l’UMP résonne comme un aveu. Les institutions sont suspendues : la crise sociale est devenue une crise politique de première grandeur.

S’agit-il d’une crise politique ? Il y a débat sur ce point à gauche. La question doit être éclaircie, non par goût de la polémique, mais parce qu’elle est décisive sur le plan politique et pratique. Pour que la gauche incarne une issue politique à la crise, il faut qu’elle admette qu’il y a une crise politique. Faute de quoi, elle passerait à côté de ses responsabilités et laisserait l’adversaire reprendre la main. Disons donc franchement que je ne partage pas l’appréciation exprimée par Henri Emmanuelli lors du sommet des gauches selon laquelle « il s’agit d’une crise sociale et non d’une crise politique » pas plus que les formules de François Hollande qui dit « nous, nous respectons les échéances et nous ne demandons aucune démission, sauf la démission du CPE ».

Le rejet du CPE exprime en effet une condamnation globale de la politique de la droite. Le CPE n’est pas une mesure de détail, voire une lubie maladroite de Villepin. La remise en cause du CDI est une colonne vertébrale du projet libéral. L’idée avait été émise à l’origine par Sarkozy. Elle est défendue et appliquée par les libéraux de toute l’Europe. Blair y est favorable, Berlusconi l’a mise en œuvre, Merkel a mis un CPE bis dans son programme commun avec le SPD allemand. Elle se trouve en filigrane dans les orientations de la Commission européenne en faveur d’une plus grande flexibilité.

En outre, tout mouvement social se transforme au contact des obstacles qu’il rencontre. La mobilisation contre le CPE s’est trouvée immédiatement confrontée au dérèglement d’institutions agonisantes. L’impuissance de tous les rouages de la Cinquième République a été étalée sur sa route. Au point que le pouvoir en est désormais réduit à renvoyer le soin de réviser le CPE à sa propre majorité parlementaire. La négociation est confiée au président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, par ailleurs numéro deux du gouvernement. On se croirait revenu sous la Quatrième République...

Quel peut être le plan de sortie de crise de Sarkozy ? Il devine que s’il ne se résout pas au retrait du CPE, il risque de ne trouver aucun partenaire syndical après le succès des manifestations de mardi. Son objectif n’est donc plus de sauver le CPE, mais de réduire la portée de ce recul au cadre restreint de la confrontation sociale. Il arrêterait ainsi la propagation de la crise sur le terrain politique et éviterait le retour aux urnes. La droite conserverait alors le contrôle des institutions qui lui permettent de faire avancer continuellement depuis 2002 sa politique malgré et contre la volonté populaire.

Il n’est pas difficile de deviner ce que Sarkozy a en tête pour la suite. Une fois la bourrasque passée, Villepin et Chirac sacrifiés au passage, il espère se ressaisir d’ici 2007 autour du discours sécuritaire qui lui a si bien profité lors des révoltes urbaines de l’automne dernier. En disant que la crise n’est que sociale, la droite fait donc de la politique. La gauche n’a aucune raison de lui emboîter le pas. Sarkozy ne patientera pas jusqu’en 2007 en attendant poliment que les électeurs sanctionnent le CPE avec quelques mois de retard. Nous le savons prêt à toutes les provocations. Qui n’assume pas la crise quand le mouvement populaire a la main risque de l’avoir quand même, cette fois aux conditions du pire de ses adversaires.

François Delapierre


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