Comment les profits patronaux licites et illicites s’épanouissent dans les paradis fiscaux

lundi 7 mai 2012.
 

Pour maximiser ses gains, Jean-Claude Mas, 
le roi déchu de la prothèse, avait placé PIP au cœur d’un réseau de sociétés implantées dans des paradis fiscaux. Enquête.

Une sorte de Géo Trouvetou. Voilà comment son avocat toulonnais Yves Haddad présente Jean-Claude Mas, le fondateur, en 1991, à La Seyne-sur-Mer (Var), de la désormais fameuse entreprise Poly Implant Prothèse (PIP). Après avoir exercé divers métiers, l’homme a mis en œuvre une méthode de fabrication low cost des prothèses mammaires en utilisant un gel de silicone non homologué, dont il a exploité le brevet déposé par sa compagne, Dominique Lucciardi, chimiste de formation. En revanche, en matière de rentabilité financière, d’optimisation et d’évasion fiscales, Jean-Claude Mas n’a rien inventé !

Le duo Mas-Lucciardi se tourne vers les États-Unis

Le montage financier élaboré autour de la PME varoise était en effet d’un grand classicisme en ces temps où la finance règne en maître dans les entreprises. C’est ainsi qu’en 1996, avec le conseiller fiscal Alain Sereyjol-Garros, est constituée la société Penny Holding SA, domiciliée au Luxembourg et détenue à parts égales par Jean-Claude Mas et Dominique Lucciardi. Autour de celle-ci gravitent une demi-douzaine de sociétés anonymes, financières et immobilières, parmi lesquelles Graham Turner SA et EuroFortune SA, dont les commissaires aux comptes sont domiciliés aux îles Vierges et qui ont pour administrateur, au Luxembourg, le même Alain Sereyjol-Garros.

Dans le même temps, pour gérer PIP, est créée, toujours au Luxembourg, une filiale à 100 % de Penny Holding, baptisée Milo Finance SA. Sa finalité est en réalité de contrôler deux sociétés civiles immobilières (SCI), la SCI Lucas, domiciliée à Toulon, et la SCI Prince Michel, au Luxembourg. Ces sociétés, gérées par Dominique Lucciardi, qui détient notamment 19,7 % des parts de Lucas, sont propriétaires non seulement d’une belle villa dans le Var, où réside le couple, et d’un bateau, mais aussi et surtout des locaux et terrains de PIP. À savoir, à Six-Fours-les-Plages, près de la villa, des entrepôts et bureaux sur 
7 072 m2 et, dans la commune voisine de La Seyne-sur-Mer, l’ex-usine de fabrication des prothèses sur 1 686 m2. Le loyer annuel payé par ces établissements PIP à la SCI Lucas était de 320 000 euros par an…

En 2003, cependant, PIP aurait, selon son président du directoire, Claude Couty, connu quelques difficultés financières, notamment avec ses banques. Le duo Mas-Lucciardi se tourne alors vers les États-Unis et plus précisément vers l’État du Delaware, classé par les institutions internationales dans le top 10 des paradis fiscaux. Milo Finance SA devient actionnaire majoritaire (à 79 %) de Heritage Worldwide, détenue par ailleurs (à 21 %) par le fonds de pension états-unien GEM. Trois millions de dollars sont injectés dans l’entreprise varoise, transformée en société anonyme en 2004 et contrôlée à 94 % par Heritage Worldwide. Régénérée, PIP implante des filiales en Espagne, marchepied vers l’Amérique du Sud, et aux États-Unis, des régions du monde où le marché du sein en silicone est alors en plein boom.

À son apogée, en 2006-2007, PIP vend des dizaines de milliers de prothèses, réalisant un chiffre d’affaires de 13 millions d’euros. Pour Jean-Claude Mas, qui « économise » un million d’euros grâce au bas coût de son gel maison, c’est le jackpot ! Outre les rentrées de la SCI, il aurait touché, en tant que président du conseil de surveillance de PIP, quelque 30 000 euros par mois.

L’ex PDG dit « survivre » avec une petite retraite

Mais les affaires se gâtent. En janvier 2007, Alain Sereyjol-Garros se suicide, puis, c’est au tour de son compagnon, qui avait hérité de ses mandats, de mourir d’une overdose. Des décès qui amènent la justice luxembourgeoise à enquêter sur les sociétés que les deux hommes de paille administraient. Pas très consciencieusement, puisque Milo Finance SA, qui a notamment 42 % des parts de la SCI Lucas, est placée en liquidation judiciaire pour « absence sociale de siège connu et comptes non déposés ». En parallèle, avec les premières plaintes déposées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, qui conduisent PIP à de lourdes amendes, la société varoise périclite jusqu’à présenter 500 000 euros de dettes lors de sa liquidation en 2010. C’est d’ailleurs l’État qui prend alors en charge les licenciements des 120 derniers salariés de PIP. Quant à Jean-Claude Mas, qui a cédé toutes ses parts de SCI (donc la luxueuse villa de Six-Fours où il a été interpellé le 26 janvier) à sa compagne et à son fils, il prétend aujourd’hui ne « survivre » que grâce à une petite rente viagère et une pension de retraite de 1 650 euros par mois. C’est à ce genre d’argument, ajouté au mépris qu’il leur porte, que vont se heurter maintenant les 2 500 femmes qui ont porté plainte à Marseille contre Jean-Claude Mas. Qui est désormais visé par une procédure engagée à Toulon par l’avocate Christine Ravaz pour « organisation frauduleuse d’insolvabilité et blanchiment d’argent ».

Philippe Jérôme


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message