"La désignation de Ségolène Royal comme candidate socialiste à la présidentielle constitue une rupture" (minorité LCR)

jeudi 18 janvier 2007.
 

La candidature de Ségolène Royal relance la discussion sur le projet du Parti socialiste, son rapport aux classes populaires et sa conversion au libéralisme. Dans son article (« PS new-look », Rouge n°2184 du 7 décembre), Galia Trépère ne voit, dans la candidature de Ségolène Royal, qu’une continuité avec Jospin et Mitterrand. Mais une telle analyse conduit à sous-estimer gravement les menaces que cette candidature induit pour le mouvement ouvrier et la gauche. Nous pensons, au contraire, que le « phénomène » Ségolène Royal signifie un changement majeur dans la période politique et pose des enjeux nouveaux à tous ceux qui défendent une alternative au système existant.

Précisons : cette évolution n’aurait pas été possible sans la politique menée par le PS depuis des dizaines d’années. En particulier, l’adhésion des dirigeants socialistes, depuis plus de 40 ans, au projet de construction de l’Europe capitaliste, qui s’est traduit par une cogestion quotidienne des institutions européennes avec les partis de droite. Cette adhésion à l’Europe libérale a débouché sur le « oui » au traité constitutionnel européen et à la défense du règne de la « concurrence libre et non faussée ». Plus généralement, la direction du Parti socialiste défend la nécessité de s’adapter et d’accepter les règles de la concurrence internationale des capitaux et des États. La traduction concrète de cette orientation, c’était la politique sociale-libérale de la gauche plurielle, qui a provoqué le séisme du 21 avril 2002.

Entre PS et UDF

Croire que la « nouveauté » de Ségolène Royal consiste en une stratégie publicitaire et médiatique, ou en une opposition de la « gazelle » face aux « éléphants », relève d’une vision trop superficielle. La rupture qu’ouvre la candidature de Ségolène Royal, qui constitue un point de départ et non un aboutissement de l’évolution du Parti socialiste, se situe à trois niveaux.

D’abord, concernant le programme, c’est la mise en œuvre d’un blairisme autoritaire, d’une flexibilité toujours plus accrue, d’une politique de l’immigration axée sur les besoins du patronat, de l’exaltation de l’ordre et de la nation. Il ne s’agit plus, comme Jospin en 1997, de s’appuyer sur les revendications des salariés pour être élue. Au contraire, Ségolène Royal revendique qu’il n’est pas question de défaire « pour le plaisir, ce qu’a fait la droite ». Un nouveau gouvernement social-libéral prolongera l’offensive et les attaques de la droite contre les salariés et les chômeurs.

Deuxièmement, cette orientation s’oppose aux grandes mobilisations des classes populaires (« non » au référendum sur la Constitution européenne, révoltes des banlieues, mouvement contre le CPE...) et accentue l’implantation du PS parmi les couches favorisées de la population. La nouvelle vague d’adhérents - la « promotion Ségolène », tout comme l’objectif de 300 000 adhérents pour 2007 -, renforce la distance entre le PS et les chômeurs, les ouvriers, les employés. Ce sont les cadres de la haute administration, la hiérarchie des entreprises qui constituent l’essentiel de cette nouvelle vague. Ainsi, celui des Hauts-de-Seine, département le plus riche de France, enregistre la progression la plus forte (+166 %) de demandes d’adhésion.

Enfin, cette évolution renforce la possibilité d’alliance entre le PS et l’UDF. Pour Julien Dray, « dans le cadre d’un repositionnement politique, tout est ouvert ». Face à la crise des institutions et la perte de légitimité de la classe politique, la possibilité d’un gouvernement UDF-PS n’est pas à exclure. C’est bien une possible rupture avec la tradition d’alliance et d’union de la gauche pratiquée par le Parti socialiste depuis des dizaines d’année. Le « phénomène » Ségolène Royal s’inscrit dans une évolution plus globale du système politique. Selon Stathis Kouvelakis : « L’affron-tement Ségolène Royal/ Nicolas Sarkozy [traduit] un déplacement à droite de grande ampleur de l’axe politique [...]. Il ne s’agit donc pas de la seule poursuite de la contre-réforme libérale, mais de son approfondissement qualitatif, dans la lignée d’un Bush ou d’un Blair. Cela suppose de s’affronter et d’extirper méthodiquement les résistances qu’elle suscite et qui, du moins dans le cas de la France, ont réussi à la mettre en difficulté à plusieurs reprises et à en différer certains aspects » (« De la révolte à l’alternative », Critique communiste, octobre 2006).

Cette discussion n’est pas seulement d’ordre académique à propos du PS. Car cette évolution a des conséquences sur les capacités des classes populaires de s’opposer à l’offensive du patronat. Nous assistons à la mutation d’un « réformisme sans réformes » à un social-libéralisme décomplexé et agressif. La première conséquence, c’est que le « royalisme » banalise les idées libérales et réactionnaires dans les couches populaires. Pour la direction du PS, il s’agit de faire « sauter les tabous » à gauche et donner une légitimité aux politiques libérales. Cela est d’autant plus nécessaire que l’enjeu des élections 2007, pour les classes dirigeantes consiste à briser l’antilibéralisme au sein du salariat et d’en finir avec « l’exception française ». La campagne de Royal ne sera pas la campagne du PS de 2004, qui se résumait au vote utile. Ce sera bien plus dangereux. Face à Sarkozy, des millions d’électeurs de gauche chercheront une alternative. Ségolène Royal peut faire des ravages profonds dans le mouvement social si aucune autre voie à gauche ne s’affirme. C’est ce que sous-estime Galia Trépère dans son article, mais Olivier Besancenot tombe également dans ce piège lorsqu’il déclare, au journal Le Monde, « le programme du PS, c’est le vote utile ».

Alternative nécessaire

Cette évolution renforce la possibilité de rupture au sein du Parti socialiste, comme en témoignent les hésitations de l’association Pour la République sociale entre le maintien au sein du Parti socialiste ou l’engagement dans la construction d’une alternative antilibérale. La nécessité de construire, en France, une alternative politique au libéralisme et au social-libéralisme est bien une question décisive qui se pose sur la durée, au-delà des échéances électorales de 2007.

La tâche des révolutionnaires ne peut consister à répéter, de façon incantatoire, que le Parti socialiste, de toute façon, trahit la classe ouvrière depuis des dizaines d’années et qu’il le fera toujours. La candidature de Ségolène Royal représente un facteur de différenciation politique au sein du mouvement social. Ceux qui se laisseront entraîner dans cette direction vont - pour la plupart d’entre eux - subir la pression des idées réactionnaires de Royal. En revanche, ceux qui s’y opposent doivent comprendre que cette candidature s’inscrit dans une profonde évolution à droite de la social-démocratie au niveau international. Celle-ci ouvre un espace pour la construction de nouveaux partis politiques combattant pour un projet d’émancipation sociale.

François Calaret, Marc Dormoy et Francis Sitel


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