Les banlieues et la révolution citoyenne

mercredi 11 avril 2012.
 

J’ai aimé être à Grigny ce dimanche. Je reconnais que c’était très dur physiquement après une telle semaine, continuée, la veille encore, par la soirée LGBT. Elle m’a si terriblement stimulé ! Je place ce moment-là sur le même plan que le moment passé avec l’association pour le droit à mourir dans la dignité et celle sur la lutte pour les droits des femmes. Ce sont les frontières de la condition humaine, comme je les conçois pour me demander comment les abolir.

Mais à Grigny c’était le thème de la banlieue qui m’occupait. En fait, pour nous, c’est un thème à reformuler. Notre point de vue récuse la stigmatisation du « hors droit commun » qui est devenu le lot officiel de toutes les politiques dites « de la ville ». La problématique de la révolution citoyenne est fondée sur l’avancée de l’égalité des droits. La question des moyens arrive alors à sa place : celle d’un moyen au service d’un objectif valable pour tous et non d’une fin en soi. Le dire n’enlève rien à ce qui doit être fait de particulier et en particulier. Mais c’est une façon de le poser comme un droit commun mis en œuvre et non une mesure d’exception qui fonctionne comme une discrimination et une stigmatisation de plus.

La banlieue joue dans notre réflexion politique le même rôle que la découverte du « précariat » comme catégorie sociale caractéristique du nouvel âge du capitalisme. C’en est la forme territoriale. Mais nous ne parlons pas, nous, avec la langue des euphémismes. Nous n’évoquons pas les « territoires abandonnés ». Nous ne parlons même pas de populations abandonnées. Nous parlons de populations surexploitées. Telle est la fonction de ces espaces : le parcage des populations hyper-serviles de notre temps. Tout cela se lit dans les chiffres à livre ouvert. Mais il faut en retenir le sens social et non la description territoriale. Le territoire ici est l’apparence que prend le lien social. Il s’agit d’un apartheid. Ce ne sont pas les quartiers pauvres qui sont le problème, c’est la société qui produit la pauvreté. Si la pauvreté explose ici, c’est parce que la richesse explose ailleurs. Si la violence explose en bas, c’est parce que la violence de la guerre économique est devenue la norme que le haut impose à tous.

4,4 millions de personnes vivent dans les 751 quartiers en « Zones Urbaines Sensibles ». On y trouve 43% de moins de 25 ans quand il y en a seulement 30% dans l’ensemble de la population. Ce qui devrait être un atout est transformé en plaie. Car le taux de chômage des jeunes dans les ZUS est de 40% contre 25% dans tout le pays. 43% des jeunes hommes sont au chômage, 37% des jeunes femmes aussi. Il est de fait que le taux de chômage dans ces zones est de 21%, alors qu’il est de 10% dans tout le pays. Cet écart qui accable ces populations se creuse avec l’accélération du modèle libéral. Car le chômage progresse plus vite dans les zones urbaines sensibles que dans le reste du pays. En à peine un an, de 2009 à 2010, l’écart entre le taux de chômage local et celui du reste du pays est passé de 8,7 points à 10,6 points ! Parmi la pluie de chiffres que l’on peut donner, qui montrent comment on peut reconstruire le regard en partant de la condition sociale des habitants plutôt que de leur adresse, ceux qui touchent la santé sont les plus frappants. La mauvaise santé dentaire concerne 53 % des habitants de ces quartiers contre 40 % dans le reste du pays. Malbouffe, vie pénible et vie disloquée produisent tous leurs effets. Il y a 47% des femmes en surpoids dans cette population et la mortalité y est plus élevée que partout ailleurs. Le professeur Emmanuel Vigneron a pu faire une carte qui résume la situation en évaluant la mortalité et leniveau des revenus le long des voies du RER. Accablant. Entre la station du RER Luxembourg et le parcours essonnien, le revenu par personne diminue en moyenne de moitié selon les stations et la probabilité de mortalité de même.

Grigny où je me trouvais ce dimanche est une caricature de cette situation voulue et organisée. La mairie de gauche tâche de remonter la pente et le pouvoir lui enfonce la tête dans l’eau dès qu’elle l’en sort. Cette ville est la plus pauvre d’Île-de-France. A deux pas du synchrotron, du Plateau de Saclay, d’Ariane Espace et des centres de recherche du génome, sans oublier l’aéroport d’Orly, la gare TGV de Massy, le tout constituant la zone industrielle la plus développée d’Europe. Le territoire n’est rien puisqu’il n’explique rien et ne règle rien. Tout est social donc tout est politique. Près de 10 000 Grignois vivent sous le seuil de pauvreté.

Le comique de situation de ce passage à Grigny a été la mobilisation contre nous d’une poignée d’élus UMP à la ramasse, avec des énergumènes locaux dont notre réunion dérangeait les trafics. De tels bouffons aux propos si incohérents que même les micros et caméras s’en détournèrent ! Et s’il y a eu des exceptions à ce cordon sanitaire médiatique, l’essentiel est que les caïds aient bien compris que la mobilisation politique populaire ne respecte pas le privilège territorial qu’ils prétendent s’attribuer. « Vive Sarkozy » criait pour finir le bouffon qui tenta jusqu’au bout de perturber le rassemblement nombreux sur le stade Bélier. Vaste programme !

Mon discours était pénible à prononcer : en plein soleil de face et avec un vent de poussière fine qui me sécha la gorge aussitôt qu’il se leva. De loin j’apercevais des visages amis de mes années de vie militante en Essonne. J’enrageais de ne pouvoir courir embrasser celui-ci ou celle-là, mes très chers camarades des jours anciens et même finalement moins anciens. On se reverra les amis ! Je ne vous quitte jamais. Le discours a été filmé et mis en ligne sur ce blog aussi vite que possible. Nous verrons bien s’il parvient à se diffuser autant que d’autres le font. Je vous y propose une trame de lecture politique. Elle manque de détails, c’est certain, et même de déclinaisons. Treize ans de conseiller général de banlieue me permettent assez de le savoir ! Tenez compte du fait qu’à partir d’un certain nombre de gens présents, il faut nécessairement donner un ton de harangue à son propos. Néanmoins, je pense avoir donné l’épure essentielle d’une manière d’approcher la question posée comme je la vois à présent. Je me fais le reproche de ne pas avoir utilisé sur place les exemples de la gestion « la gauche par l’exemple » qu’animent mes amis sur place. Je pense là au travail de Gabriel Amard sur la régie publique de l’eau ou ses actions pour faire naître une monnaie complémentaire locale dont il sera bientôt question ici.


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