A Arras, Mélenchon est en passe de gagner son pari en écartant Le Pen

vendredi 20 avril 2012.
 

Ce 16 avril, Mediapart a mis en ligne un reportage sur l’évolution des intentions de vote dans le Pas de Calais, ancien fief du Parti socialiste et du Parti Communiste qui plaçait de plus en plus souvent le Front National en 2ème position lors de différents scrutins.

Nous reprenons ci-dessous 3 courts épisodes : Robert (ouvrier du bâtiment), Thérèse (doyenne de la section PS d’Arras), Johann...

Depuis 15 ans, la gauche assistait à la montée du vote Le Pen « Monsieur et Madame Tout-le-Monde disent ouvertement qu’ils vont voter FN car il y a trop de “ratons” »

Quel sera le score de Marine Le Pen au soir du premier tour de l’élection présidentielle ? Dans le Pas-de-Calais, terre de gauche où la crise, la précarité et la misère ont redistribué les cartes politiques, renforçant le Front national à chaque élection, jusqu’à en faire par endroits, comme dans le bassin minier mais aussi en zone urbaine, la deuxième force du département...

Le 21 avril 2002, dans le département et la région, Jean-Marie Le Pen était en tête.

A Arras, personne n’oublie la poussée FN aux dernières cantonales, il y a un an. Des inconnus, confortés par un taux d’abstention de plus de 50 %, caracolaient en troisième et deuxième position au premier tour sans avoir besoin de battre la campagne et sans jamais afficher leurs visages sur les panneaux.

Au pied des tours Courbet et Verlaine, « Marine » tenait la vedette sur fond de discours désespérés : « gauche-droite, tous pareils », « il y a trop d’immigrés, d’assistés », « ça sert à rien de voter ». A mots couverts ou à voix haute, des habitants confiaient leur désespoir, leur frustration et leur intention de voter extrême droite.

Robert, ouvrier du bâtiment

Un an plus tard, le décrochage avec la politique et les couplets précédemment cités persistent mais, à une semaine du premier tour, dans ce quartier populaire d’ouvriers et d’immigrés, une tendance nouvelle se dégage, parfois dans la confusion. La leader du FN semble être détrônée par... Jean-Luc Mélenchon. Le tribun des places et des plages, qui a fait de la lutte contre l’extrême droite l’un de ses thèmes majeurs de campagne, capte des électeurs auparavant attirés par Le Pen et des abstentionnistes.

A l’image de Robert, 52 ans, ouvrier dans le BTP, et sa femme, femme de ménage en contrat unique insertion, qui votent « Le Pen père » depuis 2002 et qui pensaient donner leur voix dimanche à « la fille » « pour plein de raisons, les immigrés qui touchent la CMU et le RSA, la vie chère, l’injustice, l’insécurité ». Ils ont découvert Mélenchon, son Smic à 1 700 euros et « une foule en colère » comme eux il y a quelques semaines « sur la TNT et au café avec les collègues » : « Il nous redonne envie d’y croire. Il veut changer le système et il peut passer, pas Marine. » D’habitude, la politique ne les intéresse pas même s’ils votent « toujours pour le maire et le président ». Mais Mélenchon défend les immigrés ? « Oui mais ça, c’est pas le problème principal s’il redistribue les richesses, baisse les salaires des ministres. Nous, on s’en sort avec 1 200 euros avec deux enfants. Pourquoi pas eux ? », dit Robert.

Thérèse Kapdani, doyenne de la section socialiste

Figure du quartier, de la résidence Saint-Paul, doyenne de la section socialiste, Thérèse Kapdani est « persuadée que Mélenchon pique des voix au FN » : « Il y a un an, lors de la campagne pour les cantonales, le leitmotiv, c’était la Marine parce qu’elle dit des vérités, touche la vie des gens, ceux qui ont travaillé toute leur vie et qui à la fin du mois n’ont plus rien. Depuis janvier, surtout, ces dernières semaines, personne ne m’en parle. Par contre, Mélenchon, il plaît même à ceux qui se plaignent des Arabes. »

« Il est en train de prendre le dessus, de la remplacer », prévient-elle en levant sa cuillère, au Vincennes, le bar du quartier. Bondé de joueurs de tiercé, il fait face à la place Verlaine : « Ici, gagner au PMU, c’est l’espoir de tous. Les gens sont tristes, aigris, fatalistes », soupire Thérèse. Un à un, les clients viennent lui claquer la bise. Du haut de son physique de “mama”, elle leur répond par un tonitruant : « Surtout, tu n’oublies pas d’aller voter le 22 avril et si tu ne veux plus de Sarko, tu votes Hollande ! »

Elle s’avoue « rassurée que Mélenchon soit dans la place » : « Il n’est pas dangereux, lui. Il ne cogne pas sur les immigrés et il ramasse des voix pour la gauche. » Et « un peu jalouse » : « Il a une carrure, du caractère et des mots simples. Comme Le Pen, il parle au peuple, du travail, du pouvoir d’achat, des retraites, du Smic à 1 700 euros, de l’euro. C’est pas comme François (Hollande). Dans le quartier, il passe bien mais uniquement parce qu’il faut se débarrasser de Sarko. » Même elle, elle chavire quand elle regarde les manifs du Front de gauche à la télé mais « reste socialiste », « ce qui n’est pas le cas de tous nos militants ».

Elle va aux meetings du PS « parce qu’il faut du monde mais sans enthousiasme » : « je m’endors ».

Johann

Johann, 34 ans, a tranché. Ce sera Mélenchon : « Il faut tout péter. C’est l’euro qui nous a mis dedans, pas les immigrés. » En 2007, il a failli faire confiance à Sarkozy qui avait promis une France de propriétaires avant de se rétracter pour Besancenot. Cinq ans plus tard, il est toujours « locataire d’une cage à poules » avec sa femme et leurs jumeaux de six mois. Il s’est renseigné pour emprunter 60 000 euros à la banque. On lui a proposé « une mensualité de 900 euros à un taux de voleurs ». A deux, ils gagnent 2 449 euros, dépassent les plafonds pour la moindre aide. Elle est télé-secrétaire, il travaille dans le négoce de bois à Méricourt dans le bassin minier. Ses collègues parlent de voter Le Pen. Il fait la pub du Front de gauche : « Ça marche avec certains. »

Même dans les rangs de l’UMP, laminée en Pas-de-Calais, le leader du Front de gauche fait tourner les têtes. « Nous aussi, on a des cinglés qui veulent voter pour lui », lâche Philippe Rapeneau, joint par téléphone. L’adjoint au maire d’Arras, président de la communauté urbaine, qui ne veut pas partir aux législatives avec l’étiquette “Sarko” sur le dos, contemplerait presque « le phénomène Mélenchon » avec envie : « Il est parti de loin et il arrive à réunir 120 000 personnes au Prado, 150 000 à la Bastille ! C’est mauvais pour le Front national et le PS. » Dans son camp, l’engouement de 2007 a fait « pschitt » : « Un électorat silencieux n’ose pas dire qu’il va voter Sarkozy, y compris parmi nos militants, un peu comme Le Pen il y a quelques années. »

Par Rachida El Azzouzi


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