Entre la gauche et la droite, il y a un vrai clivage... (François Hollande)

mardi 16 janvier 2007.
 

Nous voulons revenir à ce qu’est le cœur, le sens même d’une élection présidentielle. À l’évidence, choisir un Président, une Présidente de la République, c’est choisir un homme, une femme, avec ses compétences, ses capacités, son style.

Une élection présidentielle, c’est aussi le choix d’une méthode, d’une conception de la politique . Nous aurions, déjà là, matière à nous arrêter. Il y a dans la démarche de Nicolas Sarkozy -puisque c’est de lui qu’il s’agit- une double conception :

Une conception d’une responsabilité qui n’est jamais la sienne : il est Ministre de l’Intérieur, il a été Ministre de l’économie et des finances quelques mois, il est Président de l’UMP depuis maintenant près de deux ans, il a été associé à toutes les grandes décisions et il n’est pour autant comptable de rien. Il n’empêche que, lorsqu’il se réunit avec ses propres amis pour des forums -dont on ne sait pas quels sont exactement l’objet, la nature, le sens- c’est autour de Jean-Pierre Raffarin. Difficile d’être l’homme de la rupture quand on laisse à Jean-Pierre Raffarin le soin de faire les présentations.

Une conception de la confusion des genres : que le Ministre de l’Intérieur, il y a maintenant deux jours, soit allé dans une préfecture, en l’occurrence en Seine-Saint-Denis, puis ensuite dans son propre Ministère, pour évoquer non pas la politique de l’immigration qu’il a menée depuis maintenant près de 4 ans mais pour évoquer la création d’un « Ministère de l’immigration », c’est tout de même curieux pour un Ministre de l’intérieur ! Jusqu’à nouvel ordre, ce n’est pas le Ministre de l’intérieur qui crée des ministères ! S’il s’est exprimé Place Beauvau en cette occasion, c’était en tant que candidat ; il y a donc déjà là une confusion insupportable des genres. Il y a aujourd’hui même une réunion, toujours Place Beauvau, sur les fonds du Ministère, à laquelle des jeunes sont invités. Etait-ce le Ministère de l’intérieur qui devait être l’organisateur de cette manifestation ou n’était-ce pas à l’UMP de faire ce travail-là ? On pourra dire que tout cela relève de l’anecdote de campagne. Non. C’est une conception de la politique qui est ainsi révélée ; et je demande, à cette occasion, puisque nous sommes déjà entrés dans la campagne présidentielle, qu’il y ait une clarification des rôles, des places, des lieux. Je le fais non pas parce que nous serions victimes de je ne sais quel déséquilibre, mais parce qu’il en va de l’image même de la République.Le Ministre de l’intérieur est aujourd’hui candidat ; il a choisi, il a voulu être toujours Ministre de l’Intérieur, c’est donc sa responsabilité. Mais, qu’au moins les moyens, les formes de son Ministère, les lieux de son Ministère ne soient pas utilisés à des fins de campagne électorale.

Au-delà des personnes, des pratiques, des conceptions, des styles, il s’agit surtout des projets politiques . Nous sommes aujourd’hui dans une confrontation projet contre projet. Le projet socialiste a été élaboré, voté et, aujourd’hui, diffusé. Il sera le cadre de ce que sera le projet de la candidate socialiste. Le projet de l’UMP vient d’être approuvé, il était donc normal que le Parti socialiste se livre à cet exercice de comparaison. On peut nous rétorquer que nous ne sommes pas objectif dans la comparaison et que nous avons tendance, peut-être, à mieux nous juger que nos adversaires.

En simplifiant, sans caricature, je pense que nous sommes devant deux projets distincts :

• Le premier est fondé -ce sont les mots du Président de l’UMP, prochain candidat- sur le mérite et le libre choix . Société du libre choix qui n’est d’ailleurs pas nouvelle ; le libre choix remonte à la politique de Giscard d’Estaing, c’est vous dire s’il y a des constantes dans la droite française ! D’ailleurs, Nicolas Sarkozy, c’est souvent la pensée de Giscard d’Estaing, la méthode de Jacques Chirac et la philosophie d’Edouard Balladur ; c’est donc bien le candidat de la droite française. Ce projet est de considérer que chacun peut s’en sortir individuellement et que c’est de cette capacité-là que viendra la solution pour les individus comme pour le pays. Nous constatons que cette société de libre chois est, en fait, une société qui organise la reproduction des situations acquises. Nul ne choisit en définitive, chacun reproduit ; c’est donc la perpétuation des inégalités, génération après génération.

• Le deuxième, le nôtre, est effectivement fondé sur la réussite ; les socialistes sont pour la réussite, réussite individuelle et collective. L’une ne va pas sans l’autre ; il ne peut pas y avoir de réussite individuelle sur le malheur des autres, sur la paupérisation des autres, sur la précarisation des autres. Nous concevons le projet pour la France comme un modèle de réussite ; chacun doit pouvoir y trouver sa place et, en même temps, la promotion de chacun fait la réussite de tous.

Le projet de l’UMP est un projet dangereux, injuste et coûteux.

Pourquoi dangereux : il est fondé, comme souvent avec Nicolas Sarkozy, pour une part sur la provocation. J’en fais l’illustration : la répétition des attaques, souvent démagogiques, de Nicolas Sarkozy à l’égard du droit de grève. Il nous dit que la première mesure qu’il prendrait serait l’établissement d’un service minimum pour limiter le droit de grève dans les services publics ; que la deuxième mesure serait d’ailleurs d’obliger dans chaque entreprise en grève, publique ou privée, d’organiser une consultation des salariés pour arrêter, au bout de huit jours, la grève. Nul n’est favorable ici de la grève générale. Aucun salarié, dans le secteur public ou dans le secteur privé, ne fait la grève pour son bon plaisir. Il y a même une pénalisation, rappelons le, dans l’usage du droit de grève qui est simplement -et c’est déjà beaucoup pour nombre de salariés- de perdre sa journée de travail.

Chacun sait aussi que la seule énonciation de cette mesure, que le seul projet de loi qui viendrait sur le service minimum aboutirait d’abord à une grève massive dans les services publics et dans beaucoup d’entreprises. C’est en ce sens que ce projet est dangereux : il prône la provocation.

Mais il l’est aussi par beaucoup de dispositions. Ce qui nous est dit sur « l’immigration choisie » -et nous savons combien cette question peut peser dans l’esprit de beaucoup de nos concitoyens, combien Nicolas Sarkozy a choisi de faire de l’immigration le sujet principal de la campagne et qui en sera le bénéficiaire... Pas Nicolas Sarkozy- c’est, là aussi, faire une provocation à l’égard de celles et ceux qui pensent pouvoir être choisis alors qu’ils ne le seront pas. On voit bien les difficultés qui seraient créées par une disposition de cette nature.

Et le projet est aussi dangereux pour une grande majorité de Français . L’attaque contre les 35 heures n’est qu’une manière de supprimer purement et simplement la durée légale du travail. On nous dit que cela permettra de travailler plus. Je rappelle qu’il y a eu deux assouplissements depuis 2002 de la loi sur les 35 heures, avec un élargissement des contingents d’heures supplémentaires quasiment sans limites réelles pour les entreprises. La menace qui pèse donc sur les salariés n’est pas d’avoir des heures supplémentaires à faire, c’est que ces heures supplémentaires seront payées comme des heures ordinaires.

Il est dit, sur les retraites, qu’il faudrait s’attaquer aux régimes spéciaux. Bien sûr qu’il va falloir harmoniser les régimes de retraite. Mais, derrière ces dispositions, c’est l’attaque en règle contre le principe même de la retraite à 60 ans.

Sur le contrat unique de travail, là encore, la mesure peut s’entendre si le contrat unique de travail c’est le contrat à durée indéterminée pour chacun ; pourquoi pas. Mais, en définitive, c’est un contrat unique de travail fondé sur la précarité et c’est une forme de CNE (contrat nouvelle embauche) généralisé à l’ensemble des salariés.

Qu’il faille réformer la carte scolaire, cela a été dit. Elle doit être un moyen de favoriser la mixité sociale. Mais, la suppression pure et simple de la carte scolaire, c’est la possibilité pour les familles les plus favorisées d’aller dans les établissements supposés les plus efficaces.

Toujours en matière d’éducation : tout le monde est pour l’autonomie ; le mot ne gène pas. Mais, quand il s’agit de permettre, établissement par établissement, de constituer librement là encore des équipes pédagogiques, on voit bien quels seraient les établissements qui seraient favorisés par rapport à d’autres qui ne le seraient pas.

Ce projet est donc dangereux car il utilise des mots qui peuvent ici ou là faire plaisir aux oreilles, mais les actes qui en seraient la traduction seraient extrêmement pernicieux pour les droits de nos concitoyens.

Ce projet est aussi injuste . Finalement, si on voulait le résumer, c’est qu’on demande aux plus modestes de travailler d’avantage et aux plus riches de payer moins d’impôts. Voilà la logique du projet de l’UMP : pour les uns, travailler plus ; pour les autres, payer moins.

Alors qu’il y a eu des baisses d’impôts continues depuis 5 ans, il est encore annoncé dans le projet de l’UMP de nouvelles baisses d’impôts : baisse d’impôt sur le revenu, suppression ou quasi-suppression des droits de succession -à un moment ils ont voulu l’abroger totalement, mais ils se sont rendu compte qu’il n’y avait, je crois, qu’à Panama que cela existait, défiscalisation des emplois familiaux, amodiation de l’impôt sur la fortune, pas besoin de toucher aux plus values boursières c’est déjà fait par un amendement au Sénat dans le cadre de la discussion budgétaire qui va relever le plafond des seuils de cession en dessous duquel il n’y a plus de sanction fiscale. Le tout représente quand même des baisses d’impôts à hauteur de 13 milliards d’euros ! Toujours pour les mêmes.

C’est aussi un projet coûteux . Nicolas Sarkozy n’a pas été élevé par Jacques Chirac pour rien ; il en a retenu tous les trucs, toutes les façons de faire -pas les meilleures il faut bien le dire- et, en campagne électorale, c’est toujours la même rengaine. Tout est possible du moment que des oreilles peuvent entendre. Et, il est vrai que -depuis plusieurs semaines- tout a été promis ; il suffit d’ailleurs d’inviter Nicolas Sarkozy à une assemblée générale de quelque sujet que ce soit pour obtenir une baisse des charges ou une baisse de cotisation ou une baisse d’impôt ou une dépense supplémentaire. Les restaurateurs d’ailleurs ont eu leur part. Je pensais que cette vieille affaire de TVA à 5,5% pour la restauration serait restée l’apanage le monopole de Jacques Chirac. Et bien non ! Nicolas Sarkozy a repris le thème, sauf qu’il dit « ils l’ont promis, je le ferai ». Jacques Chirac avait eu la même formule pour lui-même, ainsi se succèdent-ils ! Alors, bon courage pour les restaurateurs dans l’attente de cette promesse. Pourquoi ? Parce que cela ne dépend pas de lui mais des autorités européennes. Et il pourra faire le siège de sa collègue Merkel -si tant est qu’il arrive à ce niveau de responsabilité. Mais qu’il fasse au moins l’essai avant qu’il n’y parvienne. Puisqu’il va bientôt rencontre Madame Merkel, qu’il l’obtienne la TVA à 5,5 % avant 2007.

Ces promesses accumulées font donc le projet de l’UMP. On nous avait beaucoup brocardés, et notamment Monsieur Copé toujours attentif à chaque euro, en disant que le projet socialiste c’était 50 milliards d’euros, 60 milliards d’euros. Mais, là, Sarkozy fait mieux puisque, selon les estimations, nous en serions à 73 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. À ce prix-là, il y aurait diminution des déficits et désendettement. Je ne sais comment il fera ; sans doute, il fera comme ils ont fait depuis 2002 : baisser les impôts, augmenter la dépense et aggraver très largement l’endettement public.

Un projet peut donc être dangereux, injuste, coûteux et en même temps fumeux.

J’en prends un seul exemple : parfois, on est heureux d’être copié ; on y trouve même une part de flagornerie ou de flatterie quand nos adversaires viennent sur notre terrain. Nous avons eu beaucoup de plaisir à retrouver la notion de « droit opposable » dans le projet de l’UMP.

Il a là pourtant quelque malice car, dire à des parents d’enfants qui cherchent une place en crèche qu’au bout de 5 ans, s’ils n’ont pas obtenu satisfaction, ils pourront voir se libérer ladite place moyennant sanction de la collectivité ! Je suggère donc que l’on construise d’ores et déjà plus de places dans les écoles.

Pire, le droit opposable pour les personnes âgées à trouver un établissement pour les personnes dépendantes... Je ne dis rien sur la capacité que Nicolas Sarkozy pourra offrir à ces familles cinq ans après.

Cette manière de faire, ces promesses illusoires car déjà sans fondement, caractérise aussi la démarche de l’UMP . Ce que cherche l’UMP dans cette confrontation, c’est une forme d’indifférenciation et de confusion, comme si les programmes étaient pareils puisque les mots sont les mêmes, puisque les formules peuvent être équivalentes, puisque l’on parle de sécurité professionnelle, puisque l’on parle d’autonomie, puisque l’on parle de droit à la formation sur toute la vie, puisque l’on parle d’écologie, puisque l’on parle de développement durable. Puisque tout serait pareil, qu’est-ce qui différencierait la droite de la gauche ?

Nous sommes donc là, aujourd’hui, pour montrer la distinction importante qu’il y a entre le projet de l’UMP et le projet socialiste. C’est la vieille distinction qui demeure entre la gauche et la droite. Et l’honneur de la politique, pour cette élection de 2007, quand on sait ce qu’a été cette élection de 2002, c’est de montrer qu’il y a un vrai clivage, qu’il est utile à la démocratie.


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