Comme une fraîcheur, une pureté retrouvée

dimanche 29 avril 2012.
 

Que se passe-t-il, au plus profond de notre peuple, qui explique ce que nous sommes en train de vivre  ? Nous nous interrogions, Guy Michelat et moi, sur les changements intervenus avec le krach boursier de 2008. Notre enquête de juin 2010 en a révélé l’ampleur parfois stupéfiante. En 1966, 28% seulement de la population estimait que les gens comme eux vivaient plus mal qu’avant. Cette proportion monte à 58% en 2001. Elle bondit à 71% en 2010. Dès ce moment, les inquiétudes associées à cette « mal vie » portent d’abord sur le social (emploi, pouvoir d’achat). Le sentiment d’insécurité vient nettement derrière, la crainte d’être « envahi » par les immigrés arrive en queue de peloton.

La diffusion des attitudes sécuritaires et xénophobes demeure certes très préoccupante. Mais on est loin des « pics » de 1993 et 1995. L’échec de l’opération « identité nationale » ou de la tentative d’exploiter les tragédies de Montauban et de Toulouse ne doivent rien au hasard. Plus nouveau encore  : la montée d’un antilibéralisme à connotation clairement anticapitaliste témoigne de ce qui bouge en profondeur dans la vision du monde social. En 1988, la Bourse suscitait une réaction négative chez seulement 29% des Français. Ils sont 53% en 2001, 74% en 2010. L’idée d’une connivence de fond entre « le patronat et les milieux d’affaires » et le pouvoir politique marque une progression du même ordre. Simpliste, ringard, proclament nombre de commentateurs. À les entendre, les élites n’ont vraiment pas le peuple qu’elles méritent…

Mais dans le même temps, le rejet des responsables politiques, le refus de faire confiance à la gauche comme à la droite pour gouverner le pays culminent, en juin 2010, à des niveaux records. Dans des conjonctures aussi explosives, tout peut arriver si ne se dessine pas une véritable alternative à gauche. On vérifie, comme dans les années 1930, le rôle décisif de l’initiative et de l’inventivité politiques. L’irruption du Front de gauche et son impact sur l’ensemble du champ politique constituent sans doute la principale nouveauté de cette campagne. Nous pourrons mesurer, dimanche soir, le chemin parcouru. Mais tous les indices confirment qu’au-delà même des intentions de vote, la sympathie pour le Front de gauche et son candidat ont connu une percée peu ordinaire.

Au-delà de sa personne, cette sympathie pour Jean-Luc Mélenchon repose sur son exceptionnelle aptitude à donner vie et visage aux aspirations de très larges fractions de la population. « Il nous parle », entend-on, parce qu’il parle d’abord de ce qui « nous » taraude, nous, les petits, les obscurs, les sans-grade (le Smic à 1 700 euros, l’emploi…). « Il est clair »  : si on ne va pas prendre l’argent où il est, si on se couche devant la finance et Bruxelles, toutes les promesses, c’est du pipeau. Toutes nos études montrent qu’avec des mots d’ordre tels que « prenez le pouvoir » ou « VIe République », le candidat du Front de gauche répond à la volonté très majoritaire que cesse, y compris à l’entreprise, une situation où « ce sont toujours les mêmes qui prennent les décisions sans consulter les gens ». Et il est le candidat anti-FN par excellence. À entendre la candidate frontiste, les immigrés sont la cause première de tous nos maux. Elle dédouane ainsi l’étroite oligarchie qui tient tous les leviers. Par la vigueur des coups qu’il porte à cette dernière, le candidat du Front de gauche est le plus à l’aise pour faire reculer l’intolérance et le racisme.

Cette réactivation des valeurs fondatrices de la gauche véhicule une force émotionnelle extraordinaire. Revoyons le meeting de Toulouse. Beaucoup de jeunes. Ils sont joyeux, c’est la fête. Et voici que l’orateur proclame  : « Rendre un individu meilleur, c’est rendre toute la société meilleure » ou  : « Si un être humain est à terre, aidons-le à se relever. » Le voici qui exalte une France multicolore et fraternelle, l’amitié universelle entre les peuples. Instantanément, ces visages rieurs se font graves, et des paupières s’humectent. Nous ne bâtissons pas sur du sable. Il y a, dans ces immenses rassemblements, comme une fraîcheur, une pureté retrouvée. Veillons à ce que rien ne vienne compromettre cette confiance naissante.

(1) Enquête pour la Fondation Gabriel-Péri. Terrain  : TNS Sofres. Cf. Guy Michelat, Michel Simon, « Le peuple, la crise et la politique », supplément au n°368 de la Pensée, mars 2012.


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