Années 1990 : Retour du religieux traditionnel ou doute dans la civilisation

vendredi 20 août 2021.
 

Je m’arrête à consacrer un développement particulier (il me sera très utile à la réflexion sur la notion de Religion séculière au chapitre 4) au problème particulier que posent certains concepts directionnels-cumulatifs en longue durée comme modernisation (le plus englobant), sécularisation, immanentisation, rationalisation, démocratisation, égalisation des conditions, individualisation, — concepts dont on posera d’abord, par bonne méthode sceptique, qu’ils ne devraient pas être les linéaments d’une sorte d’eschatologie, d’une vision d’un progrès linéaire tendu vers un aboutissement ! Les phénomènes idéels, pour la pensée désenchantée (qui sait en principe qu’elle doit être le contraire d’une eschatologie laïque), doivent demeurer avant tout des évolutions aveugles, des enchaînements non intentionnels, non téléologiques : c’est à dire que cette pensée identifie des dynamiques qui se sont produites, en certaines parties du monde seulement du reste, sans nul but préétabli, ni déterminisme, elle nomme des faits cumulés qui ne se sont pas esquissés au 16e siècle en vue d’aboutir à quoi que ce soit comme l’état de choses du 21e. De tels concepts en -isation, il va de soi dira-t-on, désignent un processus aveugle, insensible et vectoriel, dépourvu de Sujet conscient et agissant.  ! Exemple-clé : la notion de sécularisation

Je prends pour exemple-type des difficultés inhérentes à décider du statut cognitif de tel et tel concepts diachroniques l’ensemble des grands travaux sur la sécularisation (sur la rationalisation du monde, sur le désenchantement, Entzauberung, – concepts contigus mais pas synonymes) comme processus présenté traditionnellement comme cumulatif et irréversible et censé définitoire de la modernité « occidentale », — travaux et paradigmes contradictoires entre eux, agités de polémiques, qui rencontrent constamment la question des croyances « post-religieuses », des avatars supposés persistants, sur lesquels la modernité aurait étendu simplement une couche de « vernis » rationnel, des idées religieuses du passé.

On appelle dans les différentes écoles qui se la disputent « sécularisation » la somme totale de faits très divers étalés dans le temps de générations successives. La notion de sécularisation forme un idéaltype transhistorique qui englobe et cumule des phénomènes concrets mais hétérogènes en un secteur de la planète (judéo-chrétien) sur une durée de cinq siècles au plus. Cette notion de sécularisation, 87 de quelque façon qu’on l’entende, est indissociable des autres processus en -isation mentionnés plus haut (rationalisation, industrialisation, urbanisation, scolarisation...) De quoi découle la question non moins débattue de savoir quel a été l’ordre de causation et le primum mobile de ces convergences et renforcements réciproques. Les historiens ont médité Pascal à leur façon : « Il faut dire en gros : cela se fait par figure et par mouvement car cela est vrai. Mais dire quels et composer la machine, cela est ridicule. » Plusieurs ont benoîtement recours à une formule passe-partout : tout ceci, dans les deux ou trois ou quatre siècles modernes, est allé « de pair » : « Sécularisation, rationalisation, modernisation, individualisation, puis communication vont de pair ».88 Mais il est entendu que relever des concomitances ne revient pas à déceler des causations, ni encore moins procurer des explications ni des « raisons d’être ».

La sécularisation est ainsi, de tous les concepts appliqués à la « modernité » et de tous les paramètres de la catégorie, de tous les concepts inhérents à la définition de celle-ci, celle qui se présente de la façon la plus enchevêtrée et la plus débattue. C’est en réalité non un idéaltype consensuel, mais un noeud gordien de démarches et d’interprétations intriquées, divergentes, parfois très apparemment incompatibles.

Que veut-on désigner par ce terme de sécularisation ? Sont-ce la perte du statut hégémonique et de l’influence intellectuelle, politique et sociale des églises, gestionnaires des instruments de salut ? Les « reculs » successifs de cette influence ? Ou la présence 89 structurante et puis la dissolution du sentiment religieux dans l’intimité des consciences ? Est-ce la Société ou les Âmes ? Et, si c’est surtout le second phénomène qui forme l’essence ou l’essentiel de la sécularisation, quels indices extérieurs vont le déceler hors de tout doute et permettre d’objectiver les hypothèses qu’on formulera ? Les adversaires des théories de la sécularisation linéaire, cumulative et irréversible ont tendance à confondre ces plans et à objecter de l’un contre l’autre. Et enfin, la foi, cela se circonscrit comment ? Est-ce la seule foi en des dogmes déterminés fixés par une Église ? Ou bien la croyance en des réponses personnelles aux questions sur la finitude, la mort, le sens de l’aventure humaine ?90

Même si nul ne nie, intuitivement, que les différents ordres de phénomènes – rôle structurant, influence politique, pratiques publiques, croyances intimes – doivent être de quelque manière liés, ils ne le sont en tout cas pas de façon directe et causale comme la comparaison d’un pays à un autre le montre. L’histoire religieuse des États-Unis notamment oblige à rejeter résolument toute concomitance et toute pente fatale – alors que les historiens français, jadis, la présupposaient sans aucun problème.

 ! Ultime désenchantement ou retour du religieux ?

Ces phénomènes semblent irréversibles, ou du moins les historiens en leur majorité selon une longue tradition rationaliste tendent à les traiter comme tels — mais s’y opposent aujourd’hui certains critiques radicaux de toute logique conquérante du « progrès » rationaliste qui posent que rien n’est jamais acquis. La question de l’irréversibilité forme le grand enjeu de la dispute. Un débat érudit sur la sécularisation, sur son déroulement, ses stades, et surtout son aboutissement possible fait rage depuis un demi-siècle dans les mondes allemand et anglo-saxon. Il n’a eu qu’un écho lointain dans la Francophonie – en dépit du fait que deux philosophes français connus s’opposent sur ce terrain de façon diamétrale. Ce sont Marcel Gauchet et Régis Debray. 89 Si le monde séculier et l’État ont « arraché » ainsi au bout du compte aux églises la partie rationnelle de leurs activités (conserver et recopier des manuscrits, gérer des asiles et des hôpitaux, enseigner aux enfants), ils ne leur laissent – tendanciellement – que le magique (transsubstantier le pain et le vin, effacer les péchés). 90

Pour les croyants, depuis deux siècles que le phénomène sécularisateur s’est accéléré et a semblé irrésistible, et que leur « confession » a été mise sur la défensive, un monde sans Dieu est synonyme d’une vie sans signification – d’où l’horreur que cette perspective leur inspire.

Les uns décrivent le moment présent comme une ultime étape désormais atteinte de la sécularisation et du désenchantement du monde occidental et interrogent une conjoncture nouvelle résultant à la fois de l’effondrement des « religions politiques » à la fin du siècle vingt et des ultimes progrès de l’anomie et de la « privatisation » des croyances religieuses traditionnelles ; nos sociétés ci-devant chrétiennes se trouveraient avoir abouti à un état de dé-divinisation, de désacralisation, de déréliction et d’anomie qui avait été très longtemps freiné par des formations de compromis et qui était resté notamment dissimulé au 20 siècle par les bruyantes religions de salut politique – état post-religieux et dés-enchanté radical qui est absolument inouï quoiqu’entrevu avec perplexité par quelques penseurs de jadis.

D’autres penseurs au contraire prétendent déceler ces derniers temps un mouvement de « réenchantement » du monde occidental, une « revanche de Dieu », un « retour du religieux », chassé par la porte et censément revenu par la fenêtre de l’histoire moderne, retour souvent rapproché de la « fin des Grands récits » politiques et militants, celle-ci supposée expliquer en partie celui-là.

Les spécialistes de l’Europe de l’Est s’ébaubissent d’assister partout à ce qu’ils présentent comme un éclatant « Religious revival » depuis la chute du communisme. Dans l’Europe ci-devant soviétisée, la religion athée d’État, vermoulue et dissoute sans coup férir, semble avoir été remplacée « à vue » par une renaissance spontanée de la religiosité traditionnelle, censée anéantie, mais en fait simplement tenue sous le boisseau et repartant au quart de tour. Partout on a vu, à l’est de l’Europe, reconstruire en hâte des églises et des mosquées. Ce fait semble confirmer ce qui précède : déroute de la foi historiciste, mauvais succédané, triste ersatz de religion, – retour au religieux véridique !91

La « montée des fondamentalismes », islamiques, chrétiens, juifs, hindouistes (intégrés en un idéaltype unique ?) est souvent utilisée comme autre preuve que le paradigme sécularisation / modernisation ne marche décidément pas. Ici l’objection vient aussitôt : les fondamentalismes dont on peut connaître sont une réaction aux promesses décevantes de la modernisation et aux effets de celle-ci qui déstabilise d’anciens préjugés et des moeurs confortables (il n’est que de constater que tous les fondamentalismes, qui n’ont pas beaucoup de choses en commun, sont à tout le moins éminemment des antiféminismes).

Charles Taylor vient de donner avec A Secular Age sa contribution à cette problématique « revancharde » qui stimule les spiritualistes repassés à l’offensive.92 La non moins vieille théorie du « besoins religieux » éternel et inextinguible a repris du service. Certains philosophes « de gauche », fatigués de soutenir l’exsangue matérialisme, ont replongé tant qu’à faire dans la Religio perennis.

C’est la naissance et l’efflorescence des grandes religions politiques du 20e siècle au « millénarisme » desquelles il a sacrifié sa jeunesse qui a permis à Régis Debray, héritier d’une longue lignée de penseurs du 20e siècle remontant à Vilfredo Pareto et Gustave Le Bon, de réactiver dans le monde francophone la thèse de la Religion pérenne, fondée sur un besoin humain inextinguible de « communion » – le corrélat de cette thèse étant que la désertion apparemment totale des autels en Occident et la dissolution accomplie des militantes religions séculières de naguère n’est aucunement la fin de l’histoire des croyances collectives – parce que leur fin serait la fin de la vie en société. Parce qu’une société sans oracles, sans clercs, sans textes sacrés et sans ministres de la parole périra. « Un groupe qui veut rester un groupe ne peut mettre du bio-dégradable à la clef de son histoire ».93  ! La sécularisation comme eschatologie laïque

La mise en récit traditionnelle – celle qui s’est imposée aux « progressistes » au 19e siècle – de l’histoire du conflit séculaire entre la science et les hommes de raison avec la foi et les églises, celle des « conquêtes » et des « triomphes » des idées scientifiques et rationnelles, celle du recul de l’influence politique et sociale des églises et de leur emprise sur l’enseignement et la pensée s’est coulée jadis, et elle ne pouvait que se couler, dans le cadre d’un Grand récit eschatologique débouchant sur une vision optimiste, sinon bienheureuse, de l’avenir irréligieux imminent.

Cette mise en récit était inséparable du paradigme de la sécularisation entendue comme coupure et substitution : là où il y avait les miracles et la crainte de Dieu, il y avait maintenant, pour les modernes, l’explication rationnelle de phénomènes naturels. La rationalisation est une immanentisation du monde en même temps qu’elle est une émancipation de l’esprit. Sapere aude ! Là où était la séculaire soumission au dogme, se substitue la critique. Le principe formel de rationalité expérimentale se substitue à des contenus, mythes, fables et dogmes. Partout où passent les rationalisations, les conceptions théologiques sont affaiblies et le domaine du théologique se trouve dûment restreint. La sécularisation perçue comme faite de coupures rationalisatrices successives ne peut que se narrer comme une « conquête », à l’encontre des fables religieuses sur la défensive, des conceptions rationnelles du cosmos (Galilée, Newton), de la vie biologique (de Linné à Darwin) et de la vie psychique (avec la psychologie expérimentale, Freud etc.) De ce Grand récit, le paradigme ternaire d’Auguste Comte au 19e siècle avec son historiosophie et sa fin positiviste de l’histoire est l’expression accomplie.

À la religion chrétienne qui, déjà affaiblie et désertée, ne pouvait simplement pas survivre dans un monde pénétré de l’esprit positif allait se substituer la rationnelle « Religion de l’Humanité » dont Comte avait établi en hâte le clergé (avec lui-même comme Grand prêtre94) et fixé les cérémonies et les liturgies.

 ! Quelques difficultés

Si la modernité est synonyme de rationalisation, le recul de la foi et le régrès de l’emprise des églises s’ensuivent, mais dans quel ordre et n’est-ce pas dans l’ordre contraire à celui de l’intuition ? Le premier problème apparent est celui de l’oeuf et de la poule, de l’ordre causal. L’affrontement de l’État émergeant et de la société civile naissante avec l’Église est nettement antérieur à la perte généralisée de la foi et concomitant des toutes premières avancées de la science.

Le constat de progrès continus de l’incroyance/indifférence en Occident – même s’il n’est pas surdéterminé en eschatologie comme ci-dessus – pose d’autres questions fondamentales dans la mesure où justement il ne va de soi dans aucun des termes et des « détails ». Reste à demander en effet pourquoi ces phénomènes commencent à se produire à une certaine époque et s’accumulent inexorablement alors que l’emprise de la religion sur la vie ne société s’était maintenue inchangée pendant des siècles. Les hommes ont vécu pendant des millénaires dans un monde enchanté, – qu’est-ce qui a fait qu’ils y renoncent d’abord timidement et de plus en plus radicalement ? Le processus demeure peu expliqué et en termes de causation et en termes de finalité.

Comment et pourquoi la quasi-universelle acceptation de l’idée même d’un Dieu créateur et législateur s’est-elle au cours des siècles problématisée, effritée et puis dissoute pour un nombre croissant d’individus ?95

Comment l’omniprésence sociale de la religion et des institutions ecclésiales, à l’âge classique encore, a-t-elle laissé cependant d’emblée un mince espace à l’incroyance libertine, espace qui n’a cessé ensuite de grandir ? Quelles conditions culturelles et quels schémas d’idées disponibles dans un état ancien de la société ont-ils rendu l’incrédulité « viable » psychologiquement, du moins satisfaisante pour quelques happy few, et comment, plus tard, la confession d’incroyance, la déclaration publique « Je ne crois pas en Dieu » est-elle devenue socialement possible – encore une fois dans des milieux restreints d’abord et puis en tous lieux et tous milieux ?96

La sécularisation va encore « de pair » avec un autre processus de longue durée : l’individualisation depuis la Réforme et sa prétention au libre examen religieux. Ce n’est pas par hasard que les fois politiques, que les « gnoses » politiques de droite et de gauche, tout en feignant de révérer une Science mise au service de leurs millénarismes, ont pris pour cible de leur haine l’individualisme (dit par les marxistes-léninistes « bourgeois »). Cet individualisme « anarchique » fait effectivement une singularité de la société moderne qui, en dépit de tentatives nombreuses de puiser dans la science les bases et les moyens d’un nouvel unanimisme, est formée en principe de citoyens autonomes, positionnés contre les pouvoirs et rétifs aux vérités collectives. Rationalisation et individualisation sont ainsi « liées ». Le progrès du savoir est associé de façon intelligible à l’autonomisation du sujet individuel, à sa « liberté de conscience », à la libre critique, au doute méthodique, à l’insoumission spirituelle (voir sur le progrès du Doute ci-dessous).

Les périodisations de la sécularisation font toutes apparaître encore quelque chose qui contredit tout triomphalisme et tout esprit de « marche forcée » : celle d’une infinie résistance de l’esprit religieux, celle d’une incapacité des anciens et des modernes à faire jamais résolument et d’un seul élan le saut dans l’irréligion sereine et, dès lors, celle d’une séquence de « formations de compromis » qui s’égrènent dans le temps, de la semi-rationalisation protestante, aux déismes et aux « religions naturelles », aux religions humanitaires des romantiques et aux religions politiques du 20e siècle.

L’histoire de la sécularisation depuis la Renaissance paraît celle d’étapes réticentes sur une « pente fatale » où, à chaque étape, les esprits avancés ne soupçonneraient pas qu’ils préparent la suivante et croiraient pouvoir s’arrêter durablement – et où cependant l’athéisme accompli et serein demeurerait un horizon qui recule à mesure que la modernité avance vers lui.

Si les théories de la sécularisation ne s’identifient pas avec celle, bien plus spéculative, du progrès continu de la raison, ce paradigme conjectural et archaïque revient pourtant hanter la théorie positive dans la mesure où les historiens ne peuvent que constater que les catastrophes humaines du 20e siècle, Grande guerre, fascismes, stalinisme, suggèrent un brusque recul de la rationalité et une retombée dans la barbarie en dépit de, ou même – horresco referens – à la faveur de la sécularisation et de la rationalisation technique. C’est dans le creux de cette surprise accablée devant un siècle « féroce »97 que divers penseurs interpolent justement la notion, voulue explicative, de nouvelles « religions politiques » ayant exigé leur lot de sacrifices humains, mais appartenant elles aussi au passé.

L’emprise des religions politiques du 20e siècle serait à envisager dans ce contexte comme un retour de la soumission à des dogmes et à de l’unanimité et comme une régression à ce titre dans un paradigme de progrès linéaires – ou comme l’indice d’une difficulté inhérente à l’humain jeté dans le monde moderne de vivre dans une émancipation de la croyance et une incertitude qui est aussi un abandonnement, — Verlassenheit.

 ! Un paradigme contradictoire : les progrès du doute

Dans la rationalisation, il n’y a pas que le progrès des savoirs positifs, leur positionnement comme défis impavides face aux fables religieuses, il n’y a pas que la rationalité organisationnelle, technologique, bureaucratique et instrumentale croissante (et l’ambivalence morale qu’on peut entretenir à son égard), il y a encore une chose tout autre, apparemment antonymique de la positivité connaissante et cependant chose non moins vivace et importante à mon sens pour définir l’éthos moderne : autre chose qui est la montée du doute, l’acceptation spirituelle du scepticisme et de l’incertitude – doute indissociable de cette curiosité humaine inextinguible qui, en se trouvant valorisée, « légitime » la modernité. La vérité révélée est extralucide, elle narre tout et trop : la genèse, la fin des temps, les devoirs de l’homme, les moyens du salut. (À cet égard il semblerait en effet que les ainsi nommées « religions séculières » furent une immanentisation de cette vérité révélée extralucide.) À la vérité contemplative totale de la foi, la raison humaine ne pouvait opposer, surtout à ses débuts mais aujourd’hui encore, qu’une science limitée et fragile, elle devrait admettre son immense incertitude et l’étendue de son ignorance devant toutes ces questions auxquelles la religion répondait depuis toujours avec aplomb.

Il me semble toutefois que ce « progrès du doute » contredit frontalement les conceptions positives de jadis du progrès indéfini des sciences. D’où la tendance qui fut parfois irrépressible des rationalistes modernes à faire dire à la science beaucoup plus qu’elle ne sait ni ne peut savoir, et à lui faire donner les sortes de réponses définitives absolues qui étaient celles de la foi.

Appelons « scientisme » cette attitude « humaine, trop humaine ». Notre monde est un « monde sécularisé », écrit au contraire Hannah Arendt, parce que, précisément, « c’est un monde du doute », un monde qui doit vivre et accepte censément de vivre dans le doute, – non moins qu’un monde de savoirs croissants.

À la question éminemment moderne, qui était celle de Kant, « Que nous est-il permis d’espérer ? », plus aucune réponse ne viendra. « L’avenir restera sans visage », dit Marcel Gauchet, qui me semble prendre les choses avec un stoïcisme de philosophe qui ne se pose pas la question de la viabilité sociale de ce serein scepticisme. « Le 98 monde occidental ... évolue vers un stade où il n’adorera plus rien ».99 Ceci, un monde sans eschaton et ayant renoncé à la vaine quête de la « vérité », semble parfaitement convenir aussi au relativiste Richard Rorty ... mais on est en droit de demander : cela suffira-t-il aux humains ordinaires dont le Philosophe fait peu de cas ?

87 Accompagnée de ses quasi-synonymes : laïcisation, déchristianisation, désacralisation, rationalisation etc., Entzauberung chez Weber, Aufklärungsprozess chez Habermas etc.

88 Dom. Wolton, Penser la communication, 37.

91 Analyse de G. Nivat in Le débat, 66 : 1991. 17-34.

92 A Secular Age. Cambridge : Belknap Press of Harvard UP, 2007.

93 Debray, Le scribe. Genèse d’une politique. Paris : Grasset, 1980, 70.

94 La Sociocratie positiviste établira un clergé bien rémunéré et tout au dessus, régnera le Grand Prêtre de l’Humanité, fixé à Paris, capitale religieuse du 20e siècle, lequel sera payé 60.000 francs annuels plus ses frais (Comte se sentait disposé à accepter cette position) et qui « nomme, déplace et même révoque, sous sa seule responsabilité, ses membres quelconques. »

95 Question que pose p. ex. J. Turner, Without God, without Creed. The Origins of Unbelief in America. Baltimore : Johns Hopkins UP, 1985. 14.

96 Ibid.

97 Rt. Conquest, Le féroce XXème siècle, réflexions sur les ravages des idéologies. Paris : Éditions des Syrtes, 2001.

98 Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion. Paris : Gallimard, 1985, 267.

99 Contingency, Irony and Solidarity. Cambridge : Cambridge University Press, 1989. R Science et solidarité. La vérité sans le pouvoir. Paris : Éditions de L’Éclat, 1990,


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message