Karachi : plainte contre M. Sarkozy pour "violation du secret de l’instruction"

jeudi 21 juin 2012.
 

L’ex-président de la République Nicolas Sarkozy est nommément visé par une plainte avec constitution de partie civile pour "violation du secret de l’enquête et de l’instruction", et "violation du secret professionnel", dans le cadre de l’affaire de Karachi. Cette plainte, qui vise également celui qui fut, à l’Elysée, son conseiller chargé de la communication, Franck Louvrier, et son ex-ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, a été déposée lundi 18 juin devant le doyen des juges d’instruction du TGI de Paris par Me Olivier Morice, avocat des familles de victimes de l’attentat de Karachi, qui causa la mort de 14 personnes dont 11 Français, en mai 2002 au Pakistan.

Depuis le 15 juin, M. Sarkozy est susceptible d’être visé par une procédure judiciaire, l’immunité présidentielle découlant de l’article 67 de la Constitution ne pouvant plus lui être appliquée. La plainte vise un communiqué diffusé par la présidence, le 22 septembre 2011, alors que des articles de presse évoquaient l’éventuelle implication de l’ex-chef de l’Etat dans le volet financier de l’affaire de Karachi. Les médias s’interrogent alors sur son rôle dans l’éventuel financement occulte de la campagne d’Edouard Balladur en 1995.

"S’agissant de l’affaire dite de Karachi, affirmait le communiqué, le nom du chef de l’Etat n’apparaît dans aucun des éléments du dossier. Il n’a été cité par aucun témoin ou acteur de ce dossier (...). Cela apparaît dans les pièces de la procédure." Cette déclaration, dont les services dirigés par M. Louvrier avaient endossé la paternité, violerait le principe d’indépendance de la justice dont le chef de l’Etat est institutionnellement le garant. L’Elysée n’était pas censé avoir connaissance de pièces directement issues d’une procédure gérée, à Paris, par les juges d’instruction du pôle financier Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke.

"MANQUEMENT À SES DEVOIRS"

Dès le 26 septembre 2011, Me Morice avait déposé une plainte visant les conseillers de la présidence de la République. Elle avait été classée sans suite par le parquet de Paris le 22 décembre 2011. Le 4 janvier 2012, le procureur de Paris, François Molins, écrivait à Me Morice, pour justifier le classement de la plainte : "Aucune enquête n’a été ordonnée à propos du communiqué de presse du 22 septembre 2011, dès lors que ce communiqué a été publié au nom du président de la République." Ce courrier désignait donc directement M. Sarkozy comme ayant été à l’origine de la publication du communiqué. Or, le chef de l’Etat ne peut être mis en cause pour des actes rattachés à sa fonction et réalisés durant sa présence à l’Elysée que par la Haute Cour, et en cas de "manquement à ses devoirs", selon l’article 68 de la Constitution. Pour Me Morice, si l’Elysée a bien eu accès aux pièces de procédure, "un tel comportement est de nature à caractériser un manquement" aux devoirs de l’ex-chef de l’Etat.

Par ailleurs, sur le fond du dossier, la plainte de Me Morice rappelle qu’"il est manifeste à travers le communiqué de la présidence de la République que Nicolas Sarkozy n’est pas mis en cause, dans l’affaire dite de Karachi, en sa qualité de président de la République, mais du fait des fonctions qui étaient les siennes, en sa qualité de ministre du budget du gouvernement dirigé par Edouard Balladur de 1993 à 1995. Les actes qui sont susceptibles de lui être reprochés sont des actes totalement étrangers à sa fonction de président de la République".

Dans le volet financier de l’enquête, il est apparu que M. Sarkozy, alors ministre du budget, avait permis la création de la société luxembourgeoise Heine, par laquelle ont transité des commissions suspectes liées à la vente de sous-marins au Pakistan. M. Sarkozy était aussi porte-parole de la campagne présidentielle de M. Balladur en 1995, et les juges postulent que des rétrocommissions, issues des marchés d’armement, auraient pu aider au financement de cette campagne. A la suite de la plainte de Me Morice, un juge d’instruction devrait être désigné pour mener des investigations, s’il l’estime nécessaire.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme


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