Observateur au Foro de São Paolo... Chavez et la transition au socialisme

lundi 21 décembre 2015.
 

Je suis venu ici comme observateur au titre de mon groupe au parlement européen suivre le « Foro de São Paolo ». Celui-ci a duré la semaine prévue à Caracas, avec son temps fort concentré sur les trois derniers jours. Des ateliers par dizaine ont permis l’habituel exercice d’échanges et de constats partagés. Pierre Laurent est intervenu au nom du PGE à la séance d’ouverture. J’étais prévu comme orateur européen à la séance de clôture. Je me trouvais donc parmi les heureux élus qui ont pu suivre les interventions, et notamment celle de Chavez, depuis la tribune, ce qui est un poste d’observation privilégié pour apprendre des autres en regardant faire les intervenants. Une certaine angoisse me nouait, à l’idée de l’exercice auquel je devais me livrer avec cette prise de parole en espagnol devant deux mille personnes dans une ambiance imprévue de meeting. J’en fus vite libéré. En effet mon temps de parole a été avalé, ainsi que celui de cinq autres orateurs, par les quatre premiers intervenants qui ont parlé une demi-heure au lieu des dix minutes attribuées à chacun. J’ai donc pu m’absorber tranquillement dans l’écoute du discours d’Hugo Chavez. Il a parlé deux heures. C’est peu pour lui qui peut faire bien plus long et même davantage qu’on arrive à l’imaginer. N’a-t-il pas parlé une fois, l’an passé, neuf heures et demie ? Ce soir-là je l’observais donc avec attention. Je suivais autant le contenu du propos que j’observais sa forme et son mode d’organisation.

A première vue, le discours semble aller à l’improviste. Il est entrecoupé de cris et de slogans de la salle. L’orateur lui-même entremêle son propos d’interpellations personnelles à l’un ou à l’autre, à la tribune ou dans la salle. L’impression est trompeuse. En fait le propos est très contrôlé. Le thème central est un fil rouge toujours maintenu. Chavez y revient avec une très grande précision. Il renoue au millimètre, comme un arrimage de vaisseau spatial, après chaque digression qui illustre parfois de loin le sujet central. Je m’amusais à le voir faire ces raccords, en pensant aux méthodes que moi-même j’emploie dans de telles circonstances. Mais on comprend vite combien son discours est un objet très construit quand on voit se succéder, sans crier gare, des évènements qui illustrent le contenu du propos. Ils ne peuvent être improvisés. Ainsi quand son officier d’ordonnance lui amène une très grosse édition commentée du « Capital » qu’il exhibe comme illustration de ce qu’il décrit. Ou bien quand montent sur scène des enfants des écoles à qui il remet un ordinateur. Ou encore quand une liaison internet est prévue avec une ministre qui est ailleurs sur le terrain. En fait on ne voit pas le temps passer. Surtout, l’aridité du propos est si largement épicée et enrobée qu’on ne la sent plus vraiment.

Ce soir-là le sujet était la nécessité d’organiser la transition vers le socialisme par des politiques concrètes. Tous les ingrédients vivant du discours venaient illustrer sa thèse. Comme je le décris ici le lecteur pourrait avoir l’impression qu’il s’agissait d’un discours un peu académique. Il n’en est rien. C’est au point que certains, même à la tribune, se sont laissé totalement emporter par les moments d’interventions inattendues. Ils étaient ensuite bien plus perdus que l’orateur au moment de reprendre le fil du propos. Je sais que certains ont été indisposés par cette forme d’expression. Pas moi. Je comprends trop le souci d’éducation populaire de cette méthode. Et puis il y a le fond. Pour moi l’essentiel, au-delà de la forme, est l’accord que j’ai ressenti avec le fond du propos. C’est à dire avec l’obsession d’inscrire le changement de société dans la dimension du concret. Et aussi de l’implication populaire permanente. Ce n’est pas facile à penser et encore moins à faire. C’est tout le thème de la révolution citoyenne et de la radicalité concrète, si centraux dans notre campagne présidentielle que je retrouvais ici. Dit autrement, bien sûr. Et en partant d’un point de départ totalement différent, cela va de soi, après treize ans de pouvoir et plus d’une élection par an depuis le début du processus. Ce que cette façon de faire apporte est neuf. Nous ouvrons une nouvelle piste. Je voudrai montrer comment. Ne perdez pas le fil, je vais faire d’abord un détour.

Le « Foro de São Paolo » ne se réunit plus seulement à São Paolo du Brésil où il est né. La preuve : nous étions cette fois ci à Caracas. Et j’y ai déjà participé lorsqu’il s’est réuni à Mexico en 2009. Sa réunion est à présent un évènement politique continental. Cela a été rappelé par Lula lui-même, qui en est un fondateur avec son parti, le PT du Brésil. Dorénavant chaque session réunit un nombre croissant de ministres et de dirigeants de partis de toutes tailles. Des observateurs de toutes sortes y viennent des cinq continents et de tous les horizons de la gauche. C’est même le cas de certains partis socialistes qui s’y inscrivent quand ils sont dans l’opposition. Donc pas de PS français cette année ! Ah ! Comme il était drôle de croiser des membres du PSOE ! Mais cette audience s’est construite de longue main.

Le « Foro de São Paolo » a été créé en Juillet 1990, un an après la chute du mur, à l’initiative du PT brésilien, à São Paulo au Brésil, d’où son nom. Il comportait alors 48 organisations de la gauche latino-américaine. Il en compte 90 aujourd’hui. Le contexte compte beaucoup pour comprendre. Voici ce qu’en dit Lula : « les régimes socialistes bureaucratiques étaient balayés de la carte de l’Europe de l’Est (…et que) les gouvernements sociaux-démocrates adoptaient leurs premières mesures d’ajustement néolibérales en Europe de l’Ouest ». Et puis c’était aussi au lendemain de l’agression des Etats-Unis contre le Nicaragua, contre le Salvador et c’était le moment de leur intervention militaire au Panama. C’était aussi l’époque des premières négociations pour mettre en place le grand marché unique de toutes les Amériques (ALENA) que l’empire menait à la baguette. Sans oublier l’interminable et cruel siège de Cuba ! Les buts étaient donc tous tracés par la déclaration fondatrice de 1990. Il s’agissait alors de « rénover la pensée de gauche et le socialisme, de réaffirmer son caractère émancipateur, d’en corriger les conceptions erronées, de dépasser toute conception bureaucratique et toute absence de véritable démocratie sociale de masse ». A mesure du temps s’affirma la vocation de « constituer un pôle anti impérialiste et anti colonialiste se revendiquant de la lutte contre le néolibéralisme imposé au monde après avoir été brutalement expérimenté en Amérique latine ». Au plan continental, le « Foro de São Paolo » affirme en outre sa volonté de « créer les conditions propices à la construction de la Grande Patrie latino-américaine dont rêvait Bolívar ».

Quoiqu’il en soit, à cette époque, la mode était plutôt à l’adhésion à l’internationale socialiste. De son côté, le « Foro » paraissait très mineur et même marginal. Il n’en fut rien. Avec l’effondrement quasi généralisé des partis socialistes dans la corruption, le néo libéralisme et les alliances à droite, le « Foro » est vite devenu un recours général. S’y retrouvèrent tous ceux qui cherchaient vraiment, chacun à sa manière, le moyen de fonder une alternative au capitalisme de notre époque en Amérique du sud. Les observateurs venus se faire voir ne sont arrivés que bien après.


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