Les socialistes auront-ils le courage de s’affranchir des contraintes du libéralisme  ?

mardi 7 août 2012.
 

- Désormais au pouvoir, le PS a une responsabilité considérable
- Par Yvon Quiniou, philosophe.

On ne peut que se réjouir de la large victoire de la gauche  : elle met fin au désastre social du sarkozysme et pourrait ouvrir la voie à une politique en direction de cette majorité populaire qui souffre tant de la crise du capitalisme. Mais on ne saurait occulter l’immense risque qui pèse sur cette victoire dans la conjoncture actuelle, qui tient à plusieurs raisons que seules l’inconscience ou la mauvaise foi peuvent entraîner à nier. D’abord, il n’est pas vrai que le PS ait un projet social-démocrate.

La social-démocratie a été une forme appréciable du mouvement ouvrier, qui faisait référence au marxisme et au contrôle par l’État de l’économie. Elle a perdu son identité depuis que l’abandon par le SPD allemand de cette référence, en 1959, s’est généralisé à l’ensemble des membres de l’Internationale dite socialiste, au profit d’une doctrine sociale-libérale d’accompagnement plus ou moins humain du libéralisme économique. Cette orientation s’est traduite un peu partout, après la disparition du système soviétique, par un démantèlement de l’État providence, c’est-à-dire des acquis sociaux importants que le monde du travail avait obtenus tout au long du XXe siècle.

Le PS français est-il prêt à inverser cette tendance et croit-il seulement possible cette inversion  ? On peut en douter au regard des propositions de F. Hollande qui le situent clairement au centre gauche. Ensuite, ce sont les conditions politiques de cette victoire qui peuvent rendre inquiets ceux qui pensent que le capitalisme n’est pas « l’horizon indépassable de notre temps », pour retourner la formule de Sartre.

Le PS peut gouverner seul en raison de la scandaleuse sous-représentation au Parlement du Front de gauche, malgré la force électorale de celui-ci qui en fait la seconde force politique à gauche. Or c’est bien lui qui est porteur de propositions permettant non de freiner mais de mettre fin à la domination des marchés financiers sur les États nationaux et, tout autant, de satisfaire les attentes des couches populaires littéralement abandonnées par la politique et, du coup, l’abandonnant en s’abstenant de voter.

Révision du statut de la BCE, création d’un pôle financier public, politique fiscale visant prioritairement les grandes fortunes, restauration des services publics, voire nationalisations, lutte contre la paupérisation absolue (et non relative  !) de pans entiers de la population, etc., ce sont là les seules mesures capables de mettre fin à ce malheur social qui va grandissant et qui mériterait qu’on se souvienne du cri de colère de Rousseau, à la fin de son Discours sur l’inégalité, dénonçant une société où « une minorité regorge de superfluités tandis que la multitude affamée manque du nécessaire »  : franchement, et toutes les transpositions historiques nécessaires faites par ailleurs, n’est-ce pas là le miroir critique de ce qui arrive aujourd’hui aux peuples européens et qui menace aussi la France  ?

Or le Front de gauche, avec les communistes en son cœur, ne pourra guère peser sur la politique du PS si les luttes sociales ne s’en mêlent. Seules celles-ci pourront l’empêcher de s’enfoncer dans la tentation sociale-libérale à laquelle il a cédé intellectuellement faute de ce courage moral et de cette intelligence critique sans lesquels on ne croit pas possible de transformer le monde. D’où le risque, catastrophique à mes yeux, qui menace l’expérience actuelle si elle s’enferme dans les contraintes du libéralisme  : la déception, une fois de plus, des classes populaires, nos « damnés de la terre ». Une fois de plus, car ce fut déjà le cas dans le passé et cela a 
expliqué le retour de la droite au pouvoir (après Mitterrand, après Jospin).

Or cette fois-ci, ce n’est pas la droite classique qui risque de revenir en 2017 : c’est, malgré l’échec électoral de son orientation récente, une droite alliée à l’extrême droite et recomposée idéologiquement sur cette base. Car l’abstention énorme aux législatives et, surtout, le succès du Front national dans les zones urbaines et rurales marquées par le déclin économique ou la désertification signifient bien cela  : l’influence grandissante des idées d’extrême droite sur fond de crise nationale et internationale, l’un à cause de l’autre, qui fait penser aux années trente du siècle dernier.

L’inaptitude de la social-démocratie de l’époque à résoudre la question sociale avait alimenté la tentation fasciste comme elle l’alimente aujourd’hui, sous une forme plus soft, dans des pays comme la Hongrie ou la Pologne. Or Marine Le Pen sait admirablement jouer des conséquences de la crise pour séduire d’un même mouvement les pauvres en déshérence et les riches hostiles au partage des richesses, réunissant ceux dont les intérêts sont pourtant opposés  ! La responsabilité du PS est donc considérable. Saura-t-il affronter la question sociale dans toute sa crudité  ? Cela supposerait qu’il abandonne sa grille libérale de lecture de l’économie et sa grille d’analyse de la société qui masque ce que Bourdieu appelait « la misère du monde ». Et qu’il entende le projet alternatif du Front de gauche, seul à même d’éviter le retour, qu’on croyait impossible, de la peste brune.

Yvon Quiniou


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