Le PCF, la guerre, la Résistance

mercredi 1er août 2012.
 

Entretien avec Roger Bourderon à propos de son dernier ouvrage : Le PCF à l’épreuve de la guerre. 1940-1943

BE. L’histoire du PCF n’a jamais été un objet d’étude « froid ». Il semble que la vie politique récente en France ait plus que jamais « réchauffé » la question. Dans quel contexte avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

RB. Plusieurs incitations m’y ont conduit : la publication en 2003 des télégrammes de l’Internationale communiste de 1939 à 1941, qui montrent que les « ordres de Moscou », où se trouve Maurice Thorez, secrétaire général du parti, ne se ramènent pas à la seule exigence de l’alignement sur la politique extérieure soviétique ; après les propos de Sarkozy sur Guy Môquet en 2007, des travaux caricaturant, sous couvert d’histoire, la politique du PCF en 1940-1941 ; la qualification d’ « appel à la résistance » donnée à un tract de Charles Tillon du 17 juin 1940 – un jour donc avant l’appel du 18 juin.– et reprise à l’occasion du 70e anniversaire de la défaite en 2010. Dubitatif sur cette qualification, je me suis penché sur le texte intégral des publications communistes à Bordeaux à l’été 1940.

Au-delà du contexte actuel, il y a aussi une lecture plus ancienne et si répandue qu’on peut parler d’une « vulgate » sur l’activité du PCF sous la Guerre et l’Occupation. Cette vulgate fait du PCF un parti inféodé à l’URSS qui, en conséquence, aurait adopté la politique du Pacte de non agression germano-soviétique. Son entrée en Résistance aurait été uniquement provoquée par l’invasion de l’URSS le 22 juin 1941 – elle aurait été imposée en quelque sorte. Votre dernier ouvrage remet sensiblement en question cette vulgate…

Depuis septembre 1939, le PCF a assumé totalement la ligne de l’Internationale fixée par Staline suite au pacte germano-soviétique, à savoir que la guerre est « impérialiste des deux côtés » – cela d’autant plus que la répression (saisie de l’Humanité dès le 26 août, puis dissolution du parti le 26 septembre) le conforte dans l’idée que la guerre est d’abord faite à la classe ouvrière. La situation nouvelle créée par la défaite de 1940 ne modifie pas cette ligne, d’où le refus de toute participation au conflit, impasse stratégique qui fragilise considérablement la revendication majeure de l’indépendance nationale – continûment réaffirmée, ainsi que la dénonciation du gouvernement « de traîtres et de valets » siégeant à Vichy –, dont la réalisation est liée initialement au préalable irréaliste de la « libération sociale » du joug capitaliste. D’où également les négociations avec l’occupant pour la reparution de l’Humanité, en vertu du principe léniniste d’exploitation de toutes les possibilité légales, initiative lourde de risques de compromission à laquelle l’Internationale met fin le 7 août, après des mises en garde, par une consigne impérative. Il faut avoir à l’esprit ces contradictions pour ne pas tomber dans une vision unilatérale des événements et pour percevoir comment se constitue la résistance communiste de l’automne 1940 à l’été 1941. L’entrée en guerre de l’URSS mettra fin à toute référence à la « guerre impérialiste ».

Dans une version plus souple de cette vulgate, on concède des activités résistantes à certains membres du PCF en désaccord avec leur direction. Charles Tillon, à Bordeaux, aurait constitué un exemple d’une telle attitude. Vos recherches permettent-elles de corroborer une telle assertion ?

La comparaison entre les textes publiés à Paris et à Bordeaux pendant l’été 1940 – notamment l’appel « Peuple de France » signé Thorez et Duclos (dit « Appel du 10 juillet ») et la brochure « Union du Peuple pour libérer la France » (dite « Manifeste de Bordeaux ») de Charles Tillon – montre une culture politique commune et la même analyse de la situation issue de la défaite. L’incontestable originalité de la brochure de Tillon – la dénonciation du fascisme, en filigrane seulement dans l’appel de Thorez-Duclos – ne fait nullement du dirigeant bordelais un opposant à la politique du PCF. Tillon sera d’ailleurs membre de la direction nationale dans le courant de l’automne, aux côtés de Jacques Duclos et de Benoît Frachon.

La question de la position à l’égard de De Gaulle et du gaullisme occupe une partie significative de votre recherche. Comment caractérisez-vous cette position ? Qu’est-ce qu’il se joue derrière cette dernière ?

L’hostilité immédiate, fondée sur le refus de la « guerre impérialiste », est bien résumée par le slogan de l’Humanité « Ni soldats de l’Angleterre avec de Gaulle ! Ni soldats de l’Allemagne avec Pétain ! ». Cette attitude perdure malgré les consignes de prudence de l’Internationale, qui voit rapidement l’intérêt que peut présenter la France libre, la guerre continuant et la question de la lutte pour la libération nationale, et donc le rassemblement de toutes les forces y participant, se posant de plus en plus fortement : dès le 20 juillet 1940, un télégramme précise qu’il vaut mieux faire silence sur de Gaulle et sur l’Angleterre, pour ne pas « faciliter politique Pétain et ses protecteurs », c’est-à-dire l’occupant ; le 27 janvier 1941, un autre télégramme estime que de Gaulle joue « actuellement rôle objectivement positif ». Le PCF évolue quelque peu après la formation du Front national en mai 1941, mais le pas décisif pour un rapprochement avec les gaullistes ne sera franchi qu’après le 22 juin 1941.

Votre livre ne se contente pas d’une étude des textes et des déclarations puisqu’il s’attarde sur l’activité concrète des communistes. Quels changements cette activité a-t-elle pu connaître entre 1940 et 1943 ?

Cette activité est perçue à travers les tracts, brochures et journaux émis par la direction et les structures officielles du parti. Le thème de la guerre impérialiste, présent jusqu’en juin 1941, reste porteur de contradictions, mais devient vide de sens, car s’affirme de plus en plus clairement la volonté et la nécessité de lutter pour l’indépendance nationale contre le nazisme, le vichysme et la collaboration, et de rassembler toutes les forces œuvrant dans ce sens. Dans le cadre de ce combat politique, la résistance communiste se développe sur trois secteurs essentiels : les luttes revendicatives, terrain privilégié de l’action communiste, pour les salaires, contre la vie chère et la pénurie ; les appels aux intellectuels de tous ordres contre l’obscurantisme et pour la liberté de pensée ; la dénonciation de l’antisémitisme et des persécutions contre les juifs. Viendra enfin, après le 22 juin 1941, la naissance de la lutte armée.

Vous vous attachez tout particulièrement dans un dernier chapitre à la lutte armée. Vous remettez en question un certain nombre d’assertions sur la constitution de la lutte armée contre l’occupant pour en dresser un contour beaucoup plus « réaliste ». À quelles conclusions arrivez-vous ?

J’ai voulu faire le point sur des questions qui font débat jusque dans la résistance communiste. Après avoir rappelé les circonstances du passage à la lutte armée, j’aborde deux importantes questions, à partir de l’exemple des FTP de la région parisienne : celle de la responsabilité hiérarchique dans les « triangles de direction » – j’en conclus qu’elle est exercée par le responsable « politique » ; celle de l’évolution de la tactique – passage de l’action par un groupe de trois à des actions impliquant plusieurs groupes, l’un d’eux attaquant, les autres assurant la protection et le repli – dont l’origine remonte à la manifestation de ménagères, rue Daguerre à Paris, en août 1942, et qui sera déployée notamment en 1943.

Entretien mené par Baptiste Eychart


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