Les dessous de l’éviction de Nicole Bricq du ministère de l’écologie MERCIER Anne-Sophie

mardi 7 août 2012.
 

Tout avait pourtant très bien commencé. Le 16 mai, en annonçant qu’il confiait à Nicole Bricq le portefeuille de l’écologie, Jean-Marc Ayrault faisait ministre une sénatrice estimée de ses pairs pour son sérieux, ancienne strauss-kahnienne ralliée à François Hollande dès 2009 et - ce qui ne gâtait rien - appréciée des milieux de défense de l’environnement pour son combat contre le gaz de schiste. Chargée également du délicat dossier de l’énergie, Mme Bricq avait une autre vertu : sa position, jugée « équilibrée », sur le nucléaire. Assez ouverte et crédible pour discuter avec les « anti », suffisamment pronucléaire pour rassurer un PS majoritairement nucléariste.

Ce que MM. Hollande et Ayrault, séduits par ces qualités, n’avaient peut-être pas mesuré, c’est la très grande détermination de la ministre à modifier en profondeur le système des forages en France. Mme Bricq y avait réfléchi, et elle n’en démordait pas : il fallait obtenir davantage de garanties environnementales et un partage de la rente différent avec les compagnies pétrolières, bref, une remise à plat du fameux « code minier ». Le code minier ? Un long texte d’une centaine de pages, extrêmement technique, qui définit ce qu’est une mine, et ce que sont les conditions de son exploitation.

RÉFORME DU CODE MINIER

A l’image de nombreux experts, Mme Bricq et son directeur de cabinet, Géraud Guibert, un magistrat de la Cour des comptes très pointu sur les dossiers, fondateur du pôle écologiste du PS, estiment que le code est par trop favorable aux exploitants, tout simplement parce qu’une compagnie qui découvre un gisement est aujourd’hui quasi certaine de l’exploiter. Mme Bricq, elle, souhaite mettre les compagnies en concurrence pour l’exploitation des gisements. Les forages effectués par Shell en Guyane vont permettre, pense-t-elle, de nouvelles discussions.

Mme Bricq n’est pas seule à souhaiter cette modification du code minier. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, est sur la même longueur d’onde. Les deux ministres déjeunent ensemble au tout début du mois de juin, avec leurs directeurs de cabinet. Ils définissent une ligne commune : la transparence (les permis seront publiés sur le site Internet du ministère), une réforme du code minier et une révision des permis en cours. Les activités de la compagnie Shell en Guyane sont concernées. Ce qui lie les deux ministres dans cette affaire, c’est la certitude que face aux entreprises, l’Etat n’est pas condamné à sans cesse subir.

LE CHOC DES PRÉOCCUPATIONS CONTRAIRES

Tous deux préviennent Matignon de leurs intentions. Réaction de l’équipe du premier ministre : négociez si vraiment vous le souhaitez, mais sans perturber le climat de confiance avec Shell. Toute l’ambiguïté est là. D’un côté, deux ministres soucieux d’un autre rapport de forces, de l’autre un chef de gouvernement et des élus guyanais ayant constamment en tête la défense de l’emploi et le redressement de l’industrie.

Entre M. Ayrault et Mme Bricq, c’est le choc des préoccupations contraires, au moins à ce moment précis, mais aussi de deux tempéraments. M. Ayrault n’aime pas les éclats de voix, mais il se heurte à la rugosité de sa ministre, toute à ses convictions. Il y aura deux échanges très tendus entre eux, les 13 et 17 juin.

Shell et le lobby pétrolier ne sont pas restés inactifs. D’un côté, Shell France accepte, par la voix de son président, Patrick Romeo, de faire de substantielles concessions, qu’il synthétise dans un e-mail envoyé au cabinet de Mme Bricq le 20 juin. En apparence, le document peut faire croire à Mme Bricq qu’elle a eu finalement gain de cause. En apparence seulement. Car, en coulisse, Shell s’agite. Tout le gratin du petit monde pétrolier décroche son téléphone.

DELPHINE BATHO POUR LA REMPLACER

En réalité, dès le 19 juin, le sort de Mme Bricq est scellé. Le jour même, Laurence Parisot se félicite devant l’assemblée permanente du Medef des interventions efficaces de son organisation auprès du gouvernement, pour relayer les doléances de Shell. M. Montebourg, qui a su éviter les affrontements avec M. Ayrault, ne doit qu’à son poids politique de conserver son poste, estime-t-on dans son entourage.

Pour Mme Bricq, le choc est violent. Lors de son voyage à Rio, au Sommet de la Terre, elle discute avec le chef de l’Etat, qui ne lui parle de rien. La ministre de l’écologie n’apprend le sort qui lui est réservé que vers 17 heures, par téléphone, le 21 juin, jour du remaniement. Estomaquée, elle demande cinq minutes de réflexion à M. Ayrault, puis accepte de prendre le poste de ministre du commerce extérieur. Dans son malheur, Mme Bricq a une satisfaction : elle travaillera avec Pierre Moscovici à Bercy, et les deux ministres ont l’un pour l’autre une solide estime.

Delphine Batho prend désormais les rênes du ministère de l’écologie. La nouvelle ministre peut certes arguer d’une certaine sensibilité sur le sujet, puisqu’elle s’est illustrée par la défense du marais poitevin, ainsi que par des prises de position anti-OGM répétées. Mais elle n’a pas l’expérience des dossiers de Mme Bricq. L’affaire laissera suffisamment de traces pour que le très politique sénateur écologiste Jean-Vincent Placé puisse lancer : « C’est quand même un drôle de message. »

Anne-Sophie Mercier


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