Que révèle la crise du CPE ? "Les Français sont viscéralement opposés au libéralisme » par MICHEL ONFRAY

vendredi 7 avril 2006.
 

Que révèle la crise du CPE ?

Michel Onfray. Que les Français sont viscéralement opposés au libéralisme. Le conflit actuel dépasse la question du CPE. Les Français n’ont aucun désir pour la formule libérale de la mondialisation. Ils ne refusent pas la flexibilité, mais ils voudraient qu’on paie cette acceptation par de la sécurité. Les Français veulent de la loi qui protège, de la République sociale, de l’Etat protecteur. Ce n’est pas la première fois qu’ils le disent. Qui a tiré les conclusions de Le Pen au deuxième tour et du non majoritaire au référendum sur la Constitution européenne ?

Cela dépasserait donc le conflit de générations ?

Oui, bien sûr. Même si c’est le CPE qui a cristallisé tout ce mouvement. La jeunesse ne refuse pas le monde comme il est, elle n’a pas l’air vraiment révolutionnaire avec son désir de trouver un travail sûr afin de gagner de l’argent pour pouvoir consommer ! Les jeunes veulent moins de brutalité libérale et un peu plus de tranquillité et de sûreté pour leur existence...

La flexibilité est-elle possible en France ?

Oui, si on assortit cette flexibilité nécessaire au monde de l’entreprise à une sécurité du travail, de l’emploi, des salaires. Donnant-donnant : les patrons peuvent compter avec la flexibilité, les employés avec la sécurité du travail.

Sommes-nous en déclin ?

Non, pas du tout. Il y a dans ce pays une foule de gens de valeur. Il y a également un peuple politisé qui en a assez de la politique politicienne mais qui souhaite un retour à la politique au sens noble du terme : des débats pour des projets de société. Le prétendu déclin, c’est la crise institutionnelle engendrée par la fin du règne de Chirac. La V e République avait été créée par de Gaulle dans l’esprit de l’intérêt collectif. La Constitution a été dévoyée depuis longtemps... Cela fait un quart de siècle que les présidents ont cassé la nation pour leurs petits intérêts personnels.

Voyez-vous un lien entre cette crise et les émeutes de banlieue ?

C’est le même mouvement sous une autre forme. Dans les deux cas, on entend la voix « d’individus-déchets » produits par le monde libéral. On voudrait les enfouir comme des déchets nucléaires. Attendre qu’ils se désactivent. Or ce sont à chaque fois des individus à qui on a dénié la dignité républicaine, l’existence citoyenne, sous prétexte qu’ils n’étaient pas blancs ou que leurs parents n’étaient pas français de souche.

Pensez-vous qu’on n’entend pas assez les intellectuels ?

Les intellectuels les plus exposés médiatiquement sont les plus complices du système libéral, droite et gauche confondues. Leur fort pouvoir d’achat n’a pas baissé lorsqu’on est passé du franc à l’euro et ils ont trouvé commode de payer avec la même monnaie leurs hôtels chics dans les capitales européennes. En fait, nombreux sont ceux qui ont plein de choses à dire. Mais on ne les invite jamais nulle part.

Vous êtes devenu philosophe grâce à l’école. Votre parcours serait-il possible aujourd’hui ?

Non. Aujourd’hui je n’aurais aucune chance. Mon père était ouvrier agricole, ma mère femme de ménage. De nos jours, un enfant des milieux modestes ne s’en sort plus par l’école. L’école a été trop affaiblie.

Vous militez pour la philosophie pour tous, est-ce possible ?

Oui, la preuve avec l’université populaire de Caen, créée avec des amis il y a trois ans, ouverte à tous et gratuite. Je fais cours chaque semaine devant plus de 500 personnes. La philosophie est une discipline qui permet de mieux vivre et de pouvoir être debout dans un monde où on nous demande trop souvent de ramper. Elle peut être l’occasion de créer la liberté pour le plus grand monde.

Propos recueillis par Nelly Terrier Le Parisien, jeudi 6 avril 2006


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