Honoraires libres des médecins Ça dépasse les bornes

lundi 10 septembre 2012.
 

En trente ans, 
les dépassements d’honoraires pratiqués par 
les médecins ont explosé. Conçue au départ comme une solution budgétaire, l’autorisation donnée aux praticiens de fixer des tarifs libres est devenue un réel problème pour l’accès aux soins, notamment des plus précaires.

« Quand on vous demande 150 euros de dépassements pour une opération de la cataracte et que vous n’avez que 700 euros de retraite, le calcul est vite fait.  » Comme beaucoup de Français, Colette, soixante-seize ans, a été contrainte d’annuler son opération, en attendant de trouver un chirurgien qui ne lui demandera pas d’honoraires supplémentaires. François Hollande l’avait annoncé pendant la campagne présidentielle  : il compte encadrer les dépassements d’honoraires, qui constituent un frein à l’accès aux soins. Depuis, Marisol Touraine, la ministre de la Santé et des Affaires sociales, l’a réaffirmé  : «  Les Français doivent pouvoir se soigner quel que soit l’endroit où ils habitent ou le montant de leurs revenus.  » Des négociations sur cette épineuse question doivent justement s’ouvrir demain, mercredi 25 juillet, entre l’assurance-maladie, les syndicats de médecins et les mutuelles. Le gouvernement a d’ores et déjà prévenu qu’en l’absence d’accord, il passerait par des dispositions législatives.

Il y a urgence, il faut le dire. Entre 1990 et 2010, les dépassements ont plus que doublé, passant de 900 millions à 2,5 milliards d’euros. Dans certains cas, ces dépassements atteignent des niveaux abusifs, en contradiction manifeste avec l’obligation déontologique des médecins de procéder «  avec tact et mesure  ». Ils se sont même envolés dans certaines spécialités comme la gynécologie ou l’ophtalmologie, créant une vraie difficulté pour l’accès aux soins. En orthopédie, 72 % des patients ont dû s’acquitter de dépassements d’un montant moyen de 225 euros dans le public et de 454 euros dans le privé. Et 66 % des patients ayant subi une coloscopie ont dû payer un dépassement de 60 euros dans le public et de 105 euros dans le privé. Parfois même certains patients se voient demander «  une enveloppe  ». Par conséquent, l’écart se creuse entre le tarif de la Sécurité sociale et les honoraires des médecins  : en moyenne, le montant des dépassements d’honoraires est passé de 25 % du tarif de la Sécu en 1990 à 54 % en 2010, et 56 % en 2011.

Si le montant des honoraires libres s’envole, la part des médecins, spécialistes notamment, installés en secteur 2, est, elle aussi, en constante augmentation  : elle est passée de 37 % à 42 % entre 2000 et 2011. Au total, aujourd’hui, un médecin sur quatre a le droit de fixer librement le montant de ses honoraires et de facturer des dépassements à ses patients. Cela représente 40 % des médecins spécialistes installés en libéral (cabinet ou clinique). La proportion est encore plus importante pour les chirurgiens libéraux, dont 79 % ont choisi de pratiquer des dépassements. Cette évolution s’accentue car les médecins spécialistes qui s’installent le font majoritairement en secteur 2  : en 2010, six sur dix ont fait ce choix. Et ceux-ci se concentrent essentiellement dans les grands centres urbains et dans plusieurs départements.

Bernard Coadou, médecin bordelais retraité, fondateur de la coordination Gironde du mouvement Notre santé en danger, peut en témoigner. «  Chez nous comme partout ailleurs, le phénomène progresse en volume et en nombre de praticiens. D’une part, les médecins pratiquant les honoraires libres ont augmenté le montant de leurs dépassements et, d’autre part, les praticiens nouvellement installés s’inscrivent majoritairement en secteur 2. Et chose nouvelle, les dépassements gagnent de nouvelles spécialités, comme les radiologues ou les anatomopathologistes. Leurs actes sont payés 145 euros par la Sécu, mais certains n’hésitent pas à demander 150 euros de dépassements.  »

Selon l’Igas, le nombre moyen de médecins en secteur 2 varie aussi en fonction des régions  : alors qu’il avoisine 25 % des médecins en Poitou-Charentes, dans le Limousin et en Bretagne, il atteint 43 % dans le Nord-Pas-de-Calais et en Paca, et 63 % en Île-de-France, 90 % à Paris. Ces régions se caractérisent par des niveaux de dépassements très élevés. Ils atteignent 150 % du tarif Sécu à Paris ou dans les Hauts-de-Seine, 110 % dans le Rhône, près de 90 % en Alsace, 80 % dans les Alpes-Maritimes. Dire que la santé n’a pas le même prix d’une région à l’autre est un euphémisme. Dans vingt départements, moins de 40 % des opérations de la cataracte sont réalisées au tarif de base. Très clairement, certains départements ne garantissent plus une offre suffisante au tarif opposable. D’ailleurs, certains praticiens abusent tellement qu’en janvier, la Cnam a lancé une instruction contre 249 médecins, susceptibles d’être déférés devant le conseil de l’ordre pour des pratiques tarifaires abusives. La moitié sont des spécialistes et 28 des praticiens hospitaliers qui exercent une activité libérale à l’hôpital, principalement à Paris, Lyon et Marseille.

Les dépassements ont des conséquences directes sur l’accès aux soins. 40 % des Français ont déjà renoncé à se soigner pour des raisons financières. Ces difficultés concernent particulièrement les patients qui ne disposent pas d’une couverture 
complémentaire prenant en charge ces dépassements d’honoraires. «  En Gironde, dans certaines spécialités comme l’urologie, il n’y a plus d’autres alternatives que celle du privé. Ainsi, récemment, un bénéficiaire de l’aide médicale d’État (AME) s’est vu facturer près de 1 800 euros de dépassements  : une partie pour le chirurgien urologue, l’autre pour l’anesthésiste  », rapporte Bernard Coadou, qui s’insurge  : «  On ne se gêne même plus pour demander des dépassements aux personnes à faibles revenus  ! Les exemples ne manquent pas. En décembre dernier, un autre chirurgien urologue a demandé près de 200 euros pour un acte chirurgical tarifé 93 euros à la Sécu. Il réclamait un dépassement classique de 49 euros et un honoraire de notoriété de 150 euros. C’est complètement illégal  !  »

Jusqu’à présent, aucun gouvernement n’a vraiment souhaité s’attaquer à la question. Et la mise en place du secteur optionnel, l’an passé, n’a pas réglé la question. Porté par le précédent gouvernement, ce dispositif, qui limitait certains dépassements d’honoraires et contraignait les complémentaires à les rembourser, a d’ailleurs été suspendu. Dans une lettre de cadrage transmise à l’assurance-maladie, Marisol Touraine estime que «  l’instauration récente d’un secteur optionnel ne permet pas de répondre  » à la situation.

La profession est très frileuse sur le sujet. Non sans avoir souligné que 5 % seulement des médecins abusent spectaculairement, le conseil national de l’ordre des médecins propose que les dépassements soient limités à 3 à 4 fois le montant opposable de la Sécurité sociale pour l’acte concerné. Et que le médecin fasse au moins 30 % de ces actes au tarif opposable et tienne compte de la situation de chaque patient. Une proposition qui écrêterait certes les dépassements les plus scandaleux, mais risquerait surtout de déboucher sur une nouvelle échelle de dépassements d’honoraires.

Pour MG France, premier syndicat de médecins généralistes, qui dénonce les inégalités d’accès aux soins occasionnées par ce phénomène, la solution passerait par la revalorisation des tarifs du secteur 1, la création d’un parcours de santé entièrement remboursable et d’une contractualisation régionale. De son côté, pour le syndicat Le Bloc, qui représente les praticiens de blocs opératoires – ceux qui pratiquent le plus de dépassements –, il faut une revalorisation des tarifs. Il rappelle que les dépassements d’honoraires sont «  la conséquence du déremboursement depuis plus de trente ans des actes du plateau technique par le blocage sans fin de leur tarif opposable  ». Une requête partagée par la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui exige aussi une distinction entre dépassements abusifs et dépassements autorisés, une augmentation de la valeur des actes, et une augmentation du reste à charge par les complémentaires. Enfin, dans la droite ligne du gouvernement, la Fédération hospitalière de France (FHF) condamne les dépassements d’honoraires «  lorsqu’ils résultent de comportements abusifs et qu’ils représentent un acteur d’inégalité de l’accès aux soins  ». Et prône un «  encadrement strict  » des dépassements.

«  Le vrai problème, c’est que les dépassements d’honoraires se banalisent sans que l’on en mesure les conséquences. Nous sommes aujourd’hui dans une situation qui s’aggrave considérablement. Il y a de plus en plus de médecins en secteur 2, surtout chez les jeunes. Et le montant des dépassements est de plus en plus important  », déplore Étienne Caniard, le président de la Mutualité française. Favorable à une logique de rattrapage de l’absence de revalorisation des honoraires, mais dans un cadre qui tende vers l’opposabilité, le mutualiste prône la «  revalorisation des actes cliniques, qui sont sous-évalués par rapport aux actes techniques et la réhabilitation de la médecine de premier recours qui est laissée-pour-compte par rapport aux spécialités  ».

Plus radicaux que les médecins, car c’est sur eux que pèsent les charges, les usagers sont pour la suppression pure et simple des dépassements. En contrepartie, le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) estime néanmoins que certains actes pourraient être revalorisés, notamment en chirurgie  : «  Le système des dépassements est vicieux et intrinsèquement inflationniste. Il arrange tout le monde, sauf l’usager.  »

Alors que les négociations démarrent, le gouvernement a déjà montré quelques pistes, à commencer par la chasse aux médecins pratiquant des dépassements abusifs. La ministre de la Santé estime que des sanctions pourraient être prises à l’encontre du praticien, allant jusqu’à un «  déconventionnement temporaire  ». Un déconventionnement signifiant que la Sécurité sociale ne rembourse plus les actes pratiqués par le médecin. Cette orientation inquiète quant à la réelle volonté du gouvernement de mettre fin aux dépassements. «  Notre crainte, à ce rythme, c’est la généralisation des dépassements, réagit Bernard Coadou. C’est pourquoi nous exigeons la suppression des dépassements d’honoraires, car c’est un outil de démolition de la solidarité  ! Quand on est médecin, on a quand même les moyens de gagner sa vie sans pratiquer de dépassements  ! Mais que la ministre dise avant même les négociations “on va s’attaquer aux dépassements abusifs”, c’est un problème. Cela signifie que le gouvernement a déjà fait un compromis.  »

êtes-Vous en secteur 1 ou secteur 2  ?

Pour que leurs soins soient remboursés par la Sécurité sociale, les médecins doivent être «  conventionnés  » avec l’assurance-maladie. Le secteur 1 
rassemble les médecins qui facturent leurs honoraires au tarif de la Sécurité sociale, dits «  tarifs opposables  ». Le secteur 2, créé en 1980, 
regroupe les médecins qui ont choisi de facturer à leurs patients 
des dépassements d’honoraires, c’est-à-dire un supplément par rapport 
au tarif de la Sécurité sociale. On parle «  d’honoraires libres  ». 
Le dépassement n’est pas remboursé par l’assurance-maladie mais 
peut l’être en tout ou partie par les complémentaires santé.

Alexandra Chaignon


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