ELEMENTS SUR L’ALTER-REPUBLIQUE (Christian Delarue ATTAC)

samedi 11 août 2007.
 

La République pose la question de l’organisation de l’Etat, sous divers aspects mais la République comme l’Etat peut aussi bien être monarchique ou démocratique. Or le Manifeste d’ATTAC porte sur l’exigence de « pleine démocratie », sur « l’intervention citoyenne généralisée contre la mise sous tutelle de la démocratie » mais pas sur la République. Au plan de l’organisation du pouvoir, le Manifeste d’ATTAC veut « remettre à plat les institutions européennes » (mesure 37 et suivantes) mais se tait sur les institutions françaises, sur la VI République discutée dans la gauche française. ATTAC n’a pas une position unanime sur la forme de l’Europe (confédérée ou non par exemple). ATTAC veut une « autre Europe », pas une Europe ultra-libérale, pas une Europe social-libérale , pas une Europe capitaliste.

Comme militant altermondialiste j’ai défendu l’idée d’une alter-république, d’une république post capitaliste de nature écosocialiste. ; donc pas la VI République généralement conçue comme une nouvelle « République sociale », sociale mais pas socialiste, une République avec une meilleure démocratie représentative et plus forte en démocratie participative (DP), plus forte en économie sociale et solidaire (ESS), en commerce équitable mais in fine laissant toujours une part prépondérante au marché et au capitalisme ; bref une conception néosolidariste d’altermondialisation en vue d’une « économie mixte » principalement capitaliste. Je ne suis pas contre la DP, l’ESS, le commerce équitable... mais dans la perspective réellement altermondialiste je suis pour la maîtrise citoyenne de la production donc pour sortir la production de la tutelle du capital, donc pour la généralisation des services publics dégagés de la logique marchande qui les dénature.

Ici j’aborde simplement sous un double angle - critique et « alter » - deux thèmes du droit constitutionnel : la séparation des pouvoirs (I) et l’Etat-nation (II).

I - LA SEPARATION DES POUVOIRS : EN PRENDRE ET EN LAISSER !

Elle serait une garantie contre l’arbitraire et la tyrannie. Pour la justifier, on évoque évidemment Montesquieu comme auteur d’une théorie de l’équilibre et de la séparation rigoureuse des pouvoirs que sont le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Rappelons que « c’est à Montesquieu que l’on doit l’élaboration de ce langage que j’appellerais - Pierre MANENT dixit - le langage « « définitif » du libéralisme ». Ce qui n’est pas suffisant pour le discréditer à priori sauf à se montrer plus dogmatique que critique mais qui justifie un doute légitime de conservatisme incompatible avec la perspective altermondialiste.

A - La mise au point de Charles Eisenmann (1)

Charles Eisenmann a montré d’une part que cette théorie n’existait pas chez Montesquieu : L’exécutif empiète sur le législatif puisqu’une le roi dispose d’un droit de véto. Le législatif peut, exercer un droit de regard sur l’exécutif puisqu’il contrôle l’application des lois. Le législatif empiète sérieusement sur le judiciaire dans un certain nombre de circonstances. Charles Eisenmann a précisé d’autre part qu’il s’agissait plutôt chez Montesquieu d’une combinaison de pouvoirs, un partage des pouvoirs. Chez Montesquieu il y a trois puissances mais deux pouvoirs, le législatif et l’exécutif, le judiciaire n’étant pas à proprement parler un pouvoir. Enfin Montesquieu parle en terme de rapport de force, en terme de politique et non en terme juridique. Ce qu’il veut c’est un gouvernement modéré.

B - Au profit de qui s’exerce ce partage des pouvoirs ?

Le partage des pouvoirs s’opère-t-il en faveur du roi ou du peuple ? La question que se pose Althusser (2) en 1959 reste d’actualité : il suffit de remplacer Président par Roi ou Exécutif au sens large par Roi. Pour Montesquieu, "si la puissance législative prend part à l’exécution, la puissance exécutrice sera... perdue" (XI 6) Mais l’inverse n’est pas vrai : le Prince a les deux pouvoirs mais la modération n’est pas menacé car la tyrannie ne peut selon lui venir que du peuple. Montesquieu défend la monarchie et la noblesse mais pas le tiers-état. Il dirait probablement aujourd’hui vive la démocratie représentative présidentielle (ou une de ses variantes notamment celle qui accepte deux chambres dont un Sénat) ; une formule démocratique qui verrouille la distribution du pouvoir au profit de couches sociales largement positionnées au-dessus du peuple, le peuple étant ceux qui sont dirigés, qui ne décident pas ni politiquement ni économiquement !

C - Maintenant , que faire de la théorie de la séparation des pouvoirs ?

Mon propos ne vise pas au rejet complet de la séparation des pouvoirs mais à bien montrer qu’elle est un enjeu politique pour l’émancipation du peuple. Les élites ou l’aristocratie ou la classe dominante (la bourgeoisie ou la caste bureaucratique dans les régimes staliniens) se méfient du peuple - au besoin en se réclamant de lui - et veulent le tenir assujetti. La théorie de la séparation des pouvoirs constitue une entourloupe politico-juridique visant au maintien du peuple comme tiers-état exclus. Il ne faut sans doute pas "jeter le bébé avec l’eau du bain" mais il ne faut sans doute pas répéter naïvement le mythe de la séparation des pouvoirs. Il y a en la matière à prendre et à laisser pour qui souhaite aller vers une alterdémocratie.

II - DE LA NECESSITE DE SORTIR DE LA CONCEPTION DE L’ETAT-NATION

D’emblée je préviens que je ne « brade » pas « tout » de la « nation », qui conserve encore de sa pertinence sur certains sujets comme l’égalité des droits sur tout le territoire ou l’égalité d’accès aux service publics. Il est exact que j’en réduis sa portée.

Aborder la question de la République incline moins me semble-t-il à faire l’impasse sur la nation ou l’état nation.. D’après Wikipédia « une république n’implique pas forcément une démocratie. Un État de forme républicaine peut être une démocratie limitée, où de tels droits ne sont réservés qu’à un groupe restreint : la république est alors dictatoriale ou totalitaire. » . Mais la démocratie représentative est une démocratie restreinte comparativement à l’alterdémocratie. Pourtant la démocratie représentative s’adresse théoriquement à tous (sauf exceptions) peuple et élite alors que l’alterdémocratie s’adresse principalement à la plus grande fraction de la population y compris les résidents non européens mais pas les élites qui empêchent son avènement.

On peut plus aisément élaborer une théorie de la démocratie - qui n’est pas la République - sans passer par la Nation mais en réhabilitant la notion de peuple. Ce que j’ai d’ailleurs fait dans ma présentation sur la démocratie dans le Manifeste à Rennes (1). J’y ai volontairement occulté la problématique de la citoyenneté issue de l’histoire de l’Etat-nation pour m’en tenir à une définition de la démocratie issue du peuple.

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En fait je pense comme d’autres issus du mouvement de lutte pour l’insertion des immigrés que le mouvement altermondialiste doit sortir du modèle de l’Etat-nation. Daniele LOSCHAK a passé de longues années à expliciter cette nécessité. Cependant les propos qui suivent doivent beaucoup à Michel Terestchenko (2)

A - UNE COMPREHENSION ISSUE DU MILITANTISME EN DEFENSE DES MIGRANTS

La situation présente et historique

L’immigration est une manière de vivre, une manière douloureuse d’être au monde. La condition d’immigré au plan juridique et social - donc existentiel - est un mélange d’être et de néant. Plus précisément il est un être en chemin, en chemin vers la naturalisation, l’insertion, l’intégration. Du coup l’immigration peut se définir à la fois comme transition et comme fragilité. La conception de la nationalité comme condition de la citoyennté fait de l’immigré un être illégitime : il n’est pas le national dans lequel l’immigration l’a placé et l’a amené à vivre. Il est présent exclus.

Le mouvement pour en sortir

Le national est le produit historique de l’Etat-nation. Au national le mouvement antiraciste et pour l’égalité oppose le résident, celui qui vit sur un territoire donné, qui produit et paie des impôts. Le résident a vocation a disposer des droits étendus de la citoyennté.Il circule librement, il s’installe et passé un certain temps - de 3 à 5 ans - il devient pleinement citoyen . C’est une revendication que les citoyens rabougris que nous sommes aussi ont intérêt à soutenir (cf l’altercitoyen 2)

B - DE L’ETAT-NATION A LA CITOYENNETE

Etat-nation à nationalité :

C’est l’Etat qui confère la nationalité et donc l’étrangeté soit en vertu du jus sanguinis, soit en vertu du jus solis. Le droit du sang détermine l’appartenance à la communauté sociale et politique par la filiation. Le droit du sol opère cet effet d’appartenance -exclusion par la naissance de l’individu sur le territoire (français).

Nationalité à citoyenneté

L’attribution de la nationalité confère des droits civiques et politiques qui caractérisent la citoyennté stricto sensu. Mais la citoyenneté lato sensu comprend trois niveaux distingués par D. Loschak :

Citoyenneté-égalité dans l’exercice des droits

Citoyenneté-participation à la vie sociale

Citoyenneté-exercice de la souveraineté nationale .

Christian DELARUE

Juriste de formation mais surtout militant altermondialiste


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