Sauver le service public postal

samedi 27 janvier 2007.
 

Comme à Firmi en Aveyron ou encore dans la cinquantaine de centres de tris postaux actuellement en grève tournante, les mobilisations pour la défense du service public postal s’amplifient. Ces mouvements sèment des cailloux dans la chaussure de la Direction de la Poste qui est fortement freinée dans ses projets de restructuration et notamment son plan de fermeture de 6 000 bureaux de poste avancé en 2004. Ces mobilisations ont aussi contraint la droite à la prudence face au nouveau projet de directive postale européenne.

Le monstre froid de la libéralisation

La Commission européenne semble la dernière institution du continent à ne pas avoir été ébranlée par les mobilisations des populations pour défendre leurs services publics. Elle veut faire de l’Europe la seule région du monde à libéraliser intégralement le marché du courrier domestique, alors que même les Etats-Unis ont eu la sagesse de conserver un monopole pour la distribution du courrier. Au mépris de toutes les leçons de l’expérience, et notamment de l’échec de la concurrence en Suède et au Royaume Uni, elle poursuit la libéralisation totale des postes en n’hésitant pas à pratiquer une véritable stratégie de coup de force.

Quand le Parlement européen exprime en 1997 et encore plus en 2000 les plus vives réserves sur l’utilité de la libéralisation postale, la Commission soumet quand même au Conseil de nouvelles directives de libéralisation. Et quand le Conseil lui-même, sous l’impulsion de la présidence française de Lionel Jospin refuse aussi fin 2000, la Commission fait le dos rond et ressort les mêmes textes en 2002 en profitant de l’arrivée de la droite au pouvoir en France. Les électeurs peuvent bien changer de gouvernements ou élire de nouveaux députés européens, la Commission inébranlable poursuit toujours la même politique dans sa tour d’ivoire libérale.

Après deux premiers paquets de directives en 1997 et 2002 ouvrant progressivement à la concurrence jusqu’à 45 % du marché postal (plis de plus de 50 g), la Commission est maintenant bien décidée à aboutir à la libéralisation totale pour l’horizon 2009. Elle a présenté pour cela un troisième paquet de directives postales en octobre 2006. Alors qu’elle avait avalé tout rond les précédentes libéralisations, la droite française est maintenant plus prudente. Avec une dizaine d’autres Etats de l’Union, la France résiste ainsi mollement à cette dernière étape en s’opposant non pas au principe de la libéralisation totale mais à ses modalités de mise en œuvre. Bien que timide, ce retournement de la droite libérale française devrait inciter le reste de la gauche, à commencer par le PS, à se prononcer clairement contre la poursuite de la libéralisation elle-même. D’autant que ses effets, précoces dans certains pays anglo-saxons et en cours en France, sont calamiteux.

Une libéralisation incompatible avec le service public

Le secteur postal est peut-être celui où la logique de la concurrence est la plus incompatible avec celle du service public. A commencer par le principe du tarif unique et égalitaire des prestations que vous habitiez en plein centre de Paris ou au fin fond de la Lozère. Or la libéralisation postale suppose l’abandon de la péréquation que rend possible le prix unique du timbre. En mettant fin à l’encadrement des prix, elle permettra à terme au marché de fixer les tarifs en fonction des coûts réels, c’est-à-dire de moduler le coût du timbre selon la distance à parcourir ou l’accessibilité du point de départ ou d’arrivée. Cette logique d’ « adaptation du service au plus près du client », comme la vante la Commission, permettra aussi de moduler la qualité du service lui-même.

Dans sa préparation forcée à la concurrence, la Poste française a déjà engagé cette différenciation à outrance de ses services en fonction de la rentabilité de la clientèle. Elle est ainsi en train de démanteler son réseau national de tri postal, qui prévoyait un centre de tri par département, pour assurer l’égalité de tous les habitants devant l’acheminent du courrier. Le découpage du pays en département par la Constituante en 1790 répondait en effet à l’impératif de ne mettre aucun point du pays à moins d’une journée de route (à cheval à l’époque) des principales fonctions et services de la ville chef lieu de département. Au mépris des principes constitutifs de l’organisation républicaine de notre pays, la Poste est ainsi en train de passer à 30 centres régionaux de tri, qu’elle a localisé en fonction des flux les plus rentables de courrier. Pour toutes les zones isolées ou enclavées, la délais d’acheminement risquent d’augmenter fortement au mépris de l’égalité des citoyens sur le territoire.

Au-delà de l’exemple emblématique du tri postal, toutes les fonctions de la Poste sont aujourd’hui affectées par la marche à la concurrence. La distribution du courrier, avec le profilage du rythme des tournées en fonction du volume du courrier et du type de client (tournées renforcées à la Défense et allégées en Seine Saint Denis ou dans la Creuse), avec comme conséquence le non portage des recommandés et des colis dans certains quartiers ou communes. Les points de contact postaux qui sont en train de descendre de 17 000 à 14 000 pour éliminer les bureaux jugés non rentables dans l’univers concurrentiel. Les prix enfin puisque La Poste, bien qu’encore liée par le prix unique du timbre, est engagée dans un plan de hausse rapide de ses tarifs depuis 2003 (passage de 0,5 euro à 0,54 euros aujourd’hui) pour atteindre un seuil de rentabilité d’au moins 5 % (2,8 % aujourd’hui) jugé critique en contexte concurrentiel.


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