Un troisième pôle nationaliste en formation au Japon ?

samedi 3 novembre 2012.
 

Shintarô Ishihara a démissionné de son poste de gouverneur de la préfecture-ville de Tôkyô qu’il assurait depuis 1999. Ishihara souhaite fonder un « troisième pôle » (第三極) dans le paysage politique japonais dominé par les deux mastodontes que sont le Parti Démocrate (de centre-droit) et le Parti Libéral Démocrate (droite). Cette notion de troisième pôle n’est pas sans rappeler la troisième voie dont se réclament nombre de partis nationalistes et groupuscules fascistes de par le monde. Ishihara a fondé en 2010 son propre parti, Tachiagare Nippon, qui semble t-il sera le noyau dur de ce courant unitaire nationaliste qui est déjà en discussion avec d’autres organisations politiques dont le très libéral « Minna no tô » (みんなの党 – Votre Parti). Le secrétaire général de « Tachiagare Nippon » a interpellé Ishihara s’est demandé si la différence idéologique n’était pas trop grande entre les deux partis. L’intéressé a rétorqué que “ce courant unitaire n’aurait aucun sens si il n’y avait pas de collaboration électorale”.

Écrivain et journaliste de métier, il obtient le prix Akutagawa (équivalent du Goncourt) pour son roman « La saison du soleil » à 23 ans. En 1965, il adhère au Parti Libéral Démocrate et couvre la guerre du Vietnam en 1967 pour le journal libéral Yomiuri (vendu à des millions d’exemplaires, beaucoup plus que les quotidiens nationaux français). Il abandonnera sa carrière de journaliste pour faire de la politique. Son ami, l’écrivain Yukio Mishima, regrettera cette décision. Ce dernier est connu pour être l’une des dernières personnes à s’être suicidée par le rituel du seppuku (éventrement) - un geste glorifié par de nombreux nationalistes pendant la période d’expansionnisme du Japon entre 1930 et 1945 – suite à un mauvais accueil de son discours en faveur du Japon traditionnel et de l’Empereur lors d’une prise d’otage au ministère de la Défense.

Il est élu député du Parti Libéral Démocrate en 1968 à la chambre des conseillers (assemblée nationale). En 1972, c’est à la chambre des représentants (sénat) qu’il est élu puis sera réélu sept fois de suite en tant que député. Il échoua à l’accession à la gouvernance de Tôkyô en 1975 par le socialiste sortant. C’est alors qu’il fonde un courant hostile à la République Populaire de Chine et proche de Taïwan avec d’autres du PLD. Il fera partie également deux fois du gouvernement pendant les décennies 70 et 80 en tant que directeur de l’agence de l’environnement puis ministre des Transports. À noter qu’en 1988, il est élu président de la Japan-Israel Friendship Association (http://www.israel-japan.org/).

Élu une première fois avec 1,6 million de voix à la gouvernance de la préfecture-ville de Tôkyô il sera largement réélu en 2003 avec 3 millions de voix puis en 2007. Pendant cette dernière campagne électorale, le premier ministre de l’époque Shinzô Abe a fait campagne avec lui. Monsieur Abe est également issu du Parti Libéral Démocrate et est connu pour ses relants nationalistes et ses visites régulières au sanctuaire Yasukuni de Tôkyô qui vénère des criminels de guerre japonais ayant commis des atrocités dans les pays colonisés par le Japon dans les années 30 et pendant la seconde guerre mondiale. Shinzô Abe a été réélu à la présidence du Parti Libéral Démocrate le 26 septembre 2012 alors que des élections législatives anticipées devraient avoir lieu suite à une dissolution de la diète (chambre basse du Parlement japonais). Ces élections anticipées seront convoquées en novembre par le premier ministre Yoshihiko Noda (Parti Démocrate), élu en septembre 2011, en contrepartie de l’adoption avec le Parti Libéral Démocrate et ses alliés de la loi sur l’augmentation de la TVA japonaise (dont le taux a doublé).

Il quitte le navire du Parti Libéral Démocrate le 10 avril 2010 avec d’autres membres pour fonder le parti « Tachiagare Nippon » (立ち上がれ日本 - « Debout, Japon ! ») dont le nom ainsi que la position sur l’échiquier politique n’est pas sans rappeler le parti « Debout la République » de Nicolas Dupont-Aignan dont les propos récents étaient en faveur d’un rapprochement avec le Front National. Tachiagare Nippon a deux représentants à la diète et trois conseillers au sénat. C’est un parti constitué de nombreux conservateurs et nationalistes qui aspirent à retrouver un Japon ancestral basé sur le système patriarcal. Malgré sa dissidence avec le Parti Libéral Démocrate il est soutenu par ce dernier ainsi que par le New Komeitô et remporte une quatrième fois la gouvernance de Tôkyô en 2011. Face à lui, l’ancien conseiller communiste Akira Koike fait 10,35 %. En 2012, pendant ce qui a été perçu à l’étranger comme une crise diplomatique pour la souveraineté de quelques rochers abritant des ressources en mer de Chine (les îles Senkaku officiellement sous administration japonaise mais revendiquées depuis peu par la République Populaire de Chine), il en profite pour déverser sa haine à l’encontre de la Chine et déclare qu’il rachètera les îles à son propriétaire. Le premier ministre, Yoshihiko Noda, le prend de court et les rachète au nom de l’État japonais.

Nos camarades du Parti Communiste Japonais tirent un bilan désastreux du passage de Ishihara à la tête de Tôkyô : arrêt des constructions de nouveaux logements, suppression de moyens à l’hôpital pour enfants et dans la formation, baisse du budget des mesures de prévention des catastrophes naturelles et affaiblissement du filet de sécurité des citoyen-ne-s de Tôkyô.

Le train de vie luxueux de Ishihara et son absentéisme en mairie sont également critiqués de même que le népotisme qui favorise ses proches collaborateurs et sa famille. Il part également en laissant un déficit de 150 milliards de yens (environ 1,5 milliard d’euros) pour l’accueil des Jeux Olympiques de 2016 à Tôkyô. Et ce, au détriment des mesures envers les personnes âgées dans le besoin, dont le nombre est en hausse à Tôkyô comme partout au Japon. Ses petites phrases font également l’objet de vives critiques. Ishihara se demande en effet si les personnes handicapées lourdement ont une personnalité. Il a également remis en question la prostitution de femmes de confort coréennes et chinoises pendant la seconde guerre mondiale. Enfin, il s’est fait remarqué au lendemain du séisme du 14 mars 2011 en estimant qu’il s’agissait d’une punition divine. Son négationnisme est sans faille. En effet, il a insisté pour que que la guerre d’agression menée par le Japon pendant la seconde guerre mondiale soit embellie dans les manuels scolaires en prenant des mesures contre les professeurs s’y opposant.

La formation de ce « nouveau parti unitaire de Ishihara » est à surveiller de près.

La solution n’est pas dans le repli nationaliste mais dans l’ouverture et l’entraide entre peuples.

François Delbrayelle


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