Fascisme et communisme  : peut-on les comparer  ?

vendredi 30 novembre 2012.
 

Table ronde avec Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. Sophie CŒuré, maître de conférences à l’université Paris-VII (Diderot). Romain Ducoulombier, chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences-Po. Nicolas Werth, directeur de recherches à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS).

La question « Fascisme et communisme, actualité d’une comparaison » est revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la campagne présidentielle, quand la droite a accusé le PS de faire une alliance honteuse avec «  l’extrême gauche  » et les communistes. Or, cette comparaison entre les deux «  fronts  » (Front de gauche et Front national) ainsi renvoyés dos à dos n’a pas suscité de controverse d’ampleur. Le communisme et ses incarnations dans les sociétés du XXe siècle seraient-ils devenus des objets d’histoire «  froids  »  ? La comparaison entre les deux types de régime est-elle légitime  ? Les comparer signifie-t-il les assimiler  ? Telles étaient les questions en débat, vendredi dernier, entre trois spécialistes de l’histoire du communisme et Pierre Laurent, secrétaire national du PCF.

Le fait que le retour de flamme de la comparaison entre fascisme et communisme 
ne suscite plus de polémique signifie-t-il qu’elle est devenue une évidence familière  ?

Pierre Laurent. Ce thème est réapparu de manière significative dans la campagne électorale du printemps dernier. La droite l’a fait ressurgir, en essayant de l’instrumentaliser, précisément entre les deux tours de l’élection présidentielle, quand Nicolas Sarkozy est venu directement sur le terrain idéologique de l’extrême droite. Historiquement, ce thème a été instrumentalisé à chaque fois pour dédouaner les responsabilités des forces de droite dans leur rapprochement avec celles de l’extrême droite. Pour se dédouaner, mais aussi pour disqualifier l’alternative que représente le Front de gauche. Cette assimilation entre fascisme et communisme est une arme qui a de tout temps été utilisée, par exemple à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1970, les nouveaux philosophes comme Bernard-Henri Lévy l’ont utilisée pour disqualifier la composante communiste du programme commun. Ce thème est encore utilisé aujourd’hui par les dirigeants de droite de l’Union européenne, comme on le voit avec la résolution adoptée par le Parlement européen en 2009 qui assimile fascisme et communisme. Je récuse donc cette assimilation. De même, le racisme est revendiqué par les fascistes. À l’inverse le communisme revendique l’exact opposé  : la libération humaine. Et quand les phénomènes totalitaires se développent dans les régimes qui se réclament du communisme, cela se fait contre les idéaux communistes, et même les communistes eux-mêmes que Staline a exterminés en masse. Ces pouvoirs totalitaires ont tué le système lui-même. Il y a donc une opposition entre deux systèmes de valeurs qui est fondamentale.

Romain Ducoulombier. Ce concept est, pour l’enseignant que je suis, un raccourci. On nous demande d’enseigner l’idée selon laquelle l’Union soviétique était un pays totalitaire, non seulement sous Staline, mais intégralement, de 1917 à 1991, ce qui, pour le moins, fait débat. Parmi nos élèves, cela semble entré dans les mœurs. C’est une évolution frappante. Pourtant, le concept de totalitarisme n’est pas un concept de guerre froide. Il est inventé en Italie par les fascistes qui le revendiquent…

Sophie Cœuré. Il faut tenter de comprendre pourquoi ces questions font l’objet d’une «  mémoire froide  ». La résolution du Parlement européen évoquée par Pierre Laurent a été largement poussée par les nouveaux entrants dans l’UE que sont les pays Baltes, pour lesquels la mémoire de la double occupation nazie puis soviétique est loin d’être une question froide. Pour la France, cette question est liée au Parti communiste. Sur un plan historiographique, cette comparaison nous aide à travailler, par exemple pour comparer les modes de pouvoir et de décision, réfléchir sur une question comme la peur en politique, etc. C’est un outil de réflexion  ; mais cette réflexion, nous la menons aussi par rapport à cet investissement mémoriel. Si le fascisme n’est plus un enjeu politique au sens où plus personne ne s’en réclame, l’antifascisme, lui, reste un enjeu politique. Vous vous revendiquez, Pierre Laurent, comme antifasciste. Vous faites référence à la guerre froide. Les fondations américaines ont largement subventionné le Congrès pour la liberté de la culture, qui a importé en France le concept de totalitarisme. Raymond Aron a usé de ce concept, mais il distingue les intentions entre un projet généreux et un projet destructeur. Quand vous dites que c’est toujours du côté de la droite qu’est utilisé cet argument pour disqualifier son opposition, ce n’est pas juste du point de vue historique  : le terme de «  fasciste  » est également employé par les communistes pour disqualifier, dès 1945, Tito, les Américains, etc. Ce qui intéresse les historiens est de revenir sur ces débats de façon très pratique (qui finance quoi  ?), mais aussi sur le contexte politique et intellectuel, de manière à expliquer leur développement dans les années 1970, chez ceux qu’on a appelés les «  nouveaux philosophes  », avec le prix Nobel attribué à Soljenitsyne, etc.

Que vous inspire, Nicolas Werth, 
ce débat autour du concept 
de totalitarisme  ?

Nicolas Werth. En tant qu’historien, je ne réfléchis pas selon les mêmes catégories que les politiques. D’énormes progrès ont été réalisés en matière d’historiographie. Autant il était possible de travailler sur la réalité sociale du nazisme, autant il était difficile, du fait de la fermeture des archives, de travailler sur l’histoire de l’Union soviétique. Désormais, plus les historiens travaillent sur les sociétés est-européennes, plus on s’aperçoit que, derrière un cadre en apparence figé, on s’enfonce en fait dans des histoires nationales profondes car, au fond, le communisme fait partie de ces histoires beaucoup plus longues, même si des différences existent dans le fonctionnement des dictatures, la réponse aux besoins de la société, l’adhésion à la résistance, etc., toutes sortes de paramètres qui sont différents. Cela étant dit, je ne suis pas d’accord avec Pierre Laurent quand il affirme que les bolcheviques ne revendiquent pas la violence politique. Il suffit de lire les écrits de Lénine, la violence y est le moteur de l’histoire. Cette violence revendiquée n’est pas seulement présente chez Staline, mais aussi chez Lénine. Les choses sont donc un peu plus compliquées que ce que vous suggérez  : d’un côté, on dénonce la violence fasciste et nazie, mais cette revendication de la violence comme moteur de l’histoire et de la lutte des classes est au cœur de la pratique 
léniniste.

Vous êtes, Pierre Laurent, l’incarnation d’un Parti communiste qui se dit très ouvert, qui ne se réclame plus de la dictature du prolétariat, mais qui décrit le communisme comme une autre manière de vivre ensemble. Êtes-vous prêt à tourner certaines pages du passé  ? Comment se fait-il que vous n’en profitiez pas pour vous mettre «  au clair  » avec une certaine tradition qui a maintenu une espérance révolutionnaire et socialiste, par-delà l’expérience du stalinisme  ? Pourquoi continuez-vous à tenir un discours sur le mode de la guerre froide, selon lequel le concept même de totalitarisme serait une invention de la CIA, comme s’il s’agissait de discréditer toute expérience autre du socialisme  ?

Pierre Laurent. Suis-je l’héritier d’un courant socialiste démocratique tel que vous le décrivez  ? La réponse est oui. Mais la question que vous posez ensuite est la suivante  : les communistes du XXe siècle ont-ils souhaité ce qui est arrivé  ? Là, je récuse votre réponse. L’histoire montre que les phénomènes totalitaires vont dénaturer le système et le tuer, la disparition de l’URSS constituant le point ultime de ce naufrage. Pourquoi est arrivé cet effondrement  ? Parce qu’il s’est développé contre l’idée communiste. Nous pensons que tous ceux qui gardent une ambition émancipatrice de dépassement du capitalisme ont vocation aujourd’hui à se retrouver, s’ils partagent le combat des communistes.

Nicolas Werth. L’ouverture des archives soviétiques nous a permis de conserver une certaine fraîcheur. Nous avons pris une certaine distance avec le concept de totalitarisme, qui, cela étant dit, implique nécessairement une forme de comparaison. Par ailleurs, il est clair que la mémoire d’un communiste français n’est pas celle d’un Roumain ou d’un Hongrois, pas seulement parce que le PCF, en France, n’a jamais pris le pouvoir, mais parce qu’il faut se poser la question de la nature du PCF et de sa dépendance à Moscou. L’ouverture des archives a permis de se rendre compte de l’importance déterminante de la formation en Russie des cadres du PCF. Cette dépendance est donc réelle et incontestable. Mais la question est  : quel est donc ce Parti communiste qui dépend à certains égards de Moscou et qui revendique en même temps son originalité et son appartenance à la nation française  ? Nous avons affaire à un parti de nature hybride, sa dette envers le guesdisme et le syndicalisme révolutionnaire est aussi importante que ce qu’il doit au transfert des pratiques bolcheviques en France.

Comment expliquez-vous le paradoxe d’un PCF qui tend vers un retour 
au bercail social-démocrate, et, 
en même temps, peine à faire retour sur ses pulsions les plus «  totalitaires  », pour reprendre 
un mot que vous employez…

Romain Ducoulombier. La grande erreur historique des générations de Thorez et de Waldeck-Rochet a été de ne pas comprendre que les intérêts du PCF étaient incompatibles avec ceux de l’Union soviétique. Une évolution à l’italienne aurait été possible, mais l’affaire de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, même condamnée dans les mots par la direction du PCF, a réglé le problème. Et quand le Parti communiste tente de venir sur le terrain de ses racines les plus profondes, il trouve toujours le jacobinisme sur son chemin.

Pierre Laurent. Vous parlez de parti hybride, dans la mesure où le choix se résumerait entre une voie révolutionnaire violente et une voie sociale-démocrate. Mais celle du socialisme français s’enracine dans une tradition de transformation très profonde de la société, qui date d’au moins la ­Révolution française et qui se base sur l’anticipation géniale de Marx et Engels d’un après-capitalisme. Marx pense dès ce moment le dépassement des contradictions de ce système. Nous nous situons dans cette lignée marxiste. Ce courant n’a rien à voir entre le pseudo-choix entre totalitarisme et social-démocratie  : nous nous situons dans une ambition de transformation de la société, qui ne met jamais, même transitoirement, la question démocratique entre parenthèses. Je dirige un parti qui, il me semble, participe d’une nouvelle époque du communisme, et qui retrouve en cela ses ambitions fondatrices.

Entretien réalisé par 
Sébastien Crépel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message