27 juin 1954 : Le président élu du Guatemala Árbenz Guzmán est obligé par les USA de démissionner et de quitter le pays

mercredi 5 juillet 2023.
 

Les États-Unis sont nés dans, de et par la violence extrême : massacre génocidaire des Indiens, maintien du peuple noir dans l’esclavage, répression féroce – parfois par les armes – de la classe ouvrière, irrésistible et brutal Drang nach Westen, application sans faille de la politique du gros bâton en Amérique latine.

Selon la doctrine exposée par le président James Monroe en 1823, tout le continent américain devient une chasse gardée des États-Unis. Pour l’anecdote, de nombreux épisodes de la célèbre série télévisée “ Les Mystères de l’Ouest ” (1965-1969) étaient une légitimation de cette doctrine : deux agents secrets, au service direct du président des États-Unis Ulysses Grant (1869-1877), débusquaient les ennemis intérieurs et extérieurs du pays, en particulier ceux qui, d’origine européenne plus ou moins déterminée, considèraient que la colonisation du continent n’était pas achevée. Ce n’est pas un hasard si James West et Artemus Gordon vivaient dans un train et étaient en déplacement permanent dans un Ouest vierge, sauvage pour eux (le titre original de la série étant The Wild Wild West).

Impériale, cette violence est devenue impérialiste. Nombreux seront les États souverains du continent américain (puis de la terre entière) qui verront leur destin bouleversé par l’action belliqueuse d’une nation s’étant arrogé le droit … de dire le droit selon ses intérêts économiques et stratégiques

Je voudrais revenir ici sur un épisode de 1954 : la démission contrainte de Jacobo Árbenz Guzmán, président du Guatemala de 1951 à 1954. Pourquoi cet exemple parmi bien d’autres ? Parce qu’il fut fondateur d’une politique très pensée après la Seconde Guerre mondiale.

Le 27 juin 1954, Árbenz remet sa démission et quitte le pays. Les militaires guatémaltèques, aidés par la CIA et sur l’ordre du président des États-Unis Eisenhower, mettent fin brutalement au mandat parfaitement légal du président élu démocratiquement. Par une action de propagande particulièrement habile, la CIA a réussi à faire croire à « l’opinion publique internationale » (en fait les électeurs étatsuniens) qu’un homme politique modéré, ancien militaire exemplaire et vrai patriote, était un agent de l’impérialisme soviétique.

Déjà en 1944, le Guatemala avait causé quelques soucis à la puissance impériale : un professeur de philosophie du nom de Juan José Arévalo avait remporté la première élection présidentielle réellement démocratique à la tête d’une coalition de gauche (le Parti d’Action Révolutionnaire), par 85% des suffrages. Arévalo avait lancé des réformes structurelles concernant le droit du travail et l’accès à l’éducation. Malgré la modestie de ses réformes, Arévalo s’était mis à dos les propriétaires terriens, l’Église catholique, les officiers et, bien sûr, la United Fruit Company, dont l’un des gros actionnaires n’était autre que le futur directeur de la CIA Allen Dulles, frère de John Foster Dulles, secrétaire d’État sous la présidence d’Eisenhower.

Les dirigeants, qui avaient gouverné le pays par la dictature à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, n’avaient été que des fantoches au service des intérêts économiques et politiques des États-Unis. Au point que, contrairement à ce qui s’était passé en Haïti et à Cuba, la puissance impériale n’avait pas eu besoin de recourir à la force militaire pour préserver son autorité dans le pays. La police et l’armée guatémaltèques étaient directement sous la coupe des États-Unis. Par ailleurs, le gouvernement avaient exempté d’impôts plusieurs sociétés nord-américaines à qui il avaient bradé d’importantes portions de terres publiques. En 1930, le pays était gouverné par le général Jorge Ubico, un dictateur très brutal, complètement à la solde des États-Unis. Ce grand propriétaire terrien, qui avait donné à la United Fruit des centaines de milliers d’hectares, perfectionna un système de servitude pour dette, en vigueur par exemple dans la Grèce ou la Rome antiques. Grand admirateur de Mussolini et d’Hitler, sa devise était : « D’abord je tue et ensuite je pose des questions. » Une grève générale, une insurrection populaire de masse eurent raison de ce tyran qui continua, malgré tout, à gouverner le pays en sous-main pendant plusieurs années. Ubico mourut en exil aux États-Unis.

En 1951, Árbenz remporte l’élection présidentielle avec 60% des suffrages. Sa femme est une très grande propriétaire foncière animée d’idéaux nettement de gauche. Árbenz va bientôt n’avoir « qu’un seul ennemi » : la United Fruit. État dans l’État, cette société est en partie propriétaire du port de Puerto Quetzal et elle détient des parts dans de nombreuses industries locales. Lors de sa campagne, Árbenz s’est engagé à redistribuer les terres non exploitées. Il commence d’ailleurs par mettre à la disposition du pays une partie des propriétés de sa femme.

La tâche semble rude pour la United Fruit : comment convaincre l’opinion et le gouvernement étasuniens qu’Árbenz est le diable incarné ? La société fait appel au publicitaire Edward Bernays.

Cet homme, qui mourra à 104 ans en 1995, fut un pionnier en matière de propagande et de relation publique. Il était deux fois – on n’est jamais trop prudent – neveu de Sigmund Freud. Son père, Ely Bernays, était le frère de Martha, la femme de Freud. Sa mère n’était autre qu’Anna, la sœur de Freud. Bernays s’inspira à la fois du psychologue et sociologue français Gustave Le Bon (La Psychologie des foules), du neuropsychologue britannique Wilfred Trotter (L’Instinct grégaire en temps de paix et de guerre) et, naturellement, des travaux de Sigmund Freud. Bernays décide qu’il ne faut pas brouiller l’écoute et qu’il convient de ne faire passer qu’un seul message : Árbenz, c’est le communisme dans l’arrière-cour des États-Unis. Il utilise par ailleurs des agents provocateurs qui collent des affiches « communistes » dans Guatemala, la capitale. Une radio clandestine diffusent des programmes d’une mystérieuse « guérilla ».

Désormais directeur de la CIA, Allen Dulles envisage deux actions : d’abord regrouper les adversaires d’Árbenz pour fomenter un coup d’État violent en éliminant physiquement les principaux opposants (c’est-à-dire les Guatémaltèques élus démocratiquement). Cette première tentative est jugée trop risquée car, trop grossière, elle risque d’enflammer la région. Dulles lance une seconde opération (censément de l’intérieur du pays) : PBSUCCESS. Le chef d’un putsch à venir est choisi en la personne de Carlos Castillo Armas, très introduit dans les milieux de l’armée qu’il devra convaincre du danger communiste que représente Árbenz. Armas forme une « Armée de libération » de 400 hommes. Le 18 juin 1954, il lance ses rebelles, aidés par des mercenaires entraînés au Honduras et au Nicaragua par la CIA, et appuyés par des avions de combats étatsuniens pilotés par des Étatsuniens. Les 400 hommes (à qui la CIA a fourni un Manuel d’assassinat où il leur est explqué qu’on attend d’eux le sacrifice de leur vie) doivent à tout prix éviter l’armée régulière pour que celle-ci ne réplique pas. La rébellion connaît la déroute. Mais une habile propagande radiophonique (prenant prétexte d’une petite livraison d’armes Škoda en provenance de Tchécoslovaquie) retourne la population. Les États-Unis prennent les choses en main en intimant l’ordre à l’armée régulière de laisser les rebelles progresser. La peur d’une guerre civile amène une garnison à se rendre aux hommes d’Armas. Árbenz démissionne le 27 juin et quitte le pays.

La presse européenne critique vivement le coup d’État. La CIA tente – sans y parvenir – d’établir une filiation entre Árbenz et l’Union soviétique. Au nombre des témoins du succès de cette junte militaire figure le jeune médecin argentin Ernesto Guevarra. Il s’était rendu au Guatemala pour se « perfectionner et accomplir tout ce qui est nécessaire pour devenir un vrai révolutionnaire ». Le renversement du gouvernement Arbenz qui, à ses yeux, aurait pu et dû se défendre plus vigoureusement, le convainc que les États-Unis s’opposeront désormais à tous les gouvernements progressistes en Amérique du Sud et ailleurs. Il pense également que le socialisme ne peut être défendu que par une population armée et que toute opération militaire est indissociable d’une bonne propagande.


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