Lutte des classes, socialisme et Jérôme Cahuzac

dimanche 15 avril 2018.
 

Lors de son débat avec Jean Luc Mélenchon dans Mots croisés le 7 janvier 2013, Jérôme Cahuzac a lancé avec aplomb « C’est notre principale divergence : la lutte des classes. Vous, vous y croyez toujours. Moi, je n’y ai jamais cru. Jamais. »

Voilà une affirmation totalement contradictoire avec les fondements du socialisme comme avec la réalité d’aujourd’hui.

Notre site a déjà mis en ligne plusieurs articles sur le sujet ces dernières années :

La lutte des classes n’est pas une "vieille lune" (réponse de Robert Mascarell à Guy Sorman)

PEDAGOGIE DE LA LUTTE DES CLASSES (débat avec Guy Sorman et lecteurs de son blog)

1) Socialisme et lutte de classes

Dès sa naissance, le socialisme est inséparable des luttes menées par les ouvriers pour gagner un salaire le moins misérable possible, pour des conditions de travail les moins ignobles possibles.

C’est le cas dès l’apparition des premières formes de capitalisme, par exemple à Lyon.

18 avril 1529 Grève générale et émeute des ouvriers imprimeurs de Lyon

7 août 1786 Insurrection ouvrière de Lyon L’émeute des deux sous

C’est le cas en Angleterre où le mouvement ouvrier marque sa solidarité avec la Révolution française même en pleine guerre dirigée par la monarchie londonnienne contre la République.

Angleterre : le premier mouvement ouvrier et socialiste de masse

La création des premiers groupes et partis socialistes est également très liée aux luttes ouvrières. C’est le cas en Allemagne, en Autriche, en Scandinavie... C’est le cas, tout autant en France. Les exemples sont nombreux.

26 janvier 1886 Grande grève des mineurs de Decazeville, Aubin, Firmi et percée du socialisme en France

Très tôt, des penseurs libéraux et conservateurs ont compris la contradiction inhérente au système capitaliste entre patron et salarié.

"La société moderne périra par ses prolétaires, si elle ne cherche pas... à leur faire une part dans la propriété" (texte de 1831)

2) Parti Socialiste et lutte de classes en France

Lors de la création du Parti Socialiste, Section Française de l’Internationale Ouvrière, en 1905, la Déclaration de Principes validée par toutes les forces politiques françaises se reconnaissant dans le socialisme stipulait (petit extrait de l’introduction) :

« Les délégués des organisations socialistes françaises ... affirment leur commun désir de fonder un parti de lutte de classe qui... reste toujours un parti d’opposition fondamentale et irréductible à l’ensemble de la classe bourgeoise et à l’Etat qui en est l’instrument.

Le parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste, et pour moyen l’organisation économique et politique du prolétariat. Par son but, par son idéal, par les moyens qu’il emploie, le parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution...

Le groupe socialiste au parlement doit refuser au gouvernement tous les moyens qui assurent la domination de la bourgeoisie et son maintien au pouvoir. Ildoit se consacrer à la défense et à l’extension des libertés publiques et des droits des travailleurs, à la poursuite et à la réalisation des réformes qui améliorent les conditions de vie et de lutte de la classe ouvrière. »

Parmi les signataires : Edouard Vaillant, Jules Guesde et Jean Jaurès

3) La lutte des classes pour les Français d’aujourd’hui

Rappelons tout d’abord à Monsieur Cahuzac la déclaration de Warren Buffet, première fortune mondiale : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la remporter » .

Quant aux Français d’aujourd’hui pratiquent-ils la lutte des classes ? Bien sûr ! demandez à Parisot ou Mittal ! Demandez aux salariés de Sanofi, Petroplus, Fralib ou Florange !

Quant aux Français d’aujourd’hui croient-ils en l’existence d’une lutte de classes entre salariés et patronat ?

Une récente enquête de l’IFOP pour l’Humanité nous donne les estimations suivantes :

- en 1964, 40% des Français considéraient que la lutte des classes était une réalité, 39% pensaient l’inverse et 21% ne se prononçaient pas.

- en 1967, 1 an avant l’explosion sociale de 1968, 44% des Français considéraient que la lutte des classes était une réalité, 37% pensaient l’inverse et 25% ne se prononçaient pas.

- dans les années 1980, les enquêtes d’opinion donnaient 48% à 50% des Français se situant dans un contexte de classes sociales.

- en janvier 2013, 64% des Français considèrent que la lutte des classes est une réalité, 25% pensent l’inverse et 11% ne se prononcent pas.

Ce sondage donne une autre indication intéressante.

En janvier 2013, 68% des employés et professions intermédiaires considérent que la lutte des classes est une réalité (contre 53% en 1967), 63% des ouvriers (contre 47% en 1967), 62% des "inactifs" (chômeurs...) contre 40% en 1967.

4) Jérôme Fourquet : "La lutte des classes est un constat"

Jérôme Fourquet « En 2013, le vocable de classe sociale n’est pas périmé »

Pour le directeur du département opinion de l’Ifop, qui a mené cette étude sur les Français et la lutte des classes, « la perception d’une société divisée en classes reste opérante ».

N’est-il pas surprenant 
de constater que le sentiment d’appartenance 
à une classe sociale 
ne recule pas  ?

Jérôme Fourquet. Quand on voit ces chiffres, cela remet un peu en cause ce que l’on disait du déclin de la conscience de classe qui allait avec le déclin du marxisme. Au milieu des années 1980, un Français sur deux disait avoir le sentiment d’appartenir à une classe. Cette année, vingt-six ans plus tard, ces chiffres n’ont pas bougé. Cette perception d’une société divisée en classes et de l’appartenance à une classe reste opérante. Cela, sans le contredire, permet de remettre légèrement en question l’idée d’une montée des classes moyennes qui marcherait de pair avec une société de plus en plus individualisée. Je pense que l’élément à retenir, c’est que le vocable de classe sociale n’est pas périmé.

Compte tenu des résultats sur la question 
de l’appartenance à une classe sociale, 
les réponses à votre question sur l’actualité de la lutte des classes sont surprenantes…

Jérôme Fourquet. À la veille de 1968, nous étions 20 points plus bas qu’aujourd’hui  ! La lutte des classes est un terme connoté au marxisme. Sans doute, cette doctrine a beaucoup perdu de son influence, mais pour autant, l’idée d’antagonismes d’intérêts entre les groupes sociaux est très nettement majoritaire aujourd’hui. Sans doute la crise n’y est-elle pas pour rien : une partie de la campagne présidentielle s’est faite sur la fiscalité avec des propositions fortes (taxe à 75%, salaire maximum…). Si l’idée de la lutte des classes comme moteur historique 
de l’évolution des sociétés a perdu du terrain, l’idée qu’il y a des conflits 
de classes se porte bien.

Que peut-on conclure de cette progression  ?

Jérôme Fourquet. Avec une acception qui n’est plus tout à fait celle du marxisme, la lutte des classes est sans doute moins un fait qu’un constat. Certains peuvent reconnaître l’actualité de la lutte des classes pour la regretter, comme quand on entend à droite que « la France n’aime pas les riches ». La conclusion que nous pouvons tirer est que nous ne vivons pas dans une société apaisée. La crise a accru les inégalités. Cela ne fait qu’aggraver les tensions. On retrouve cela politiquement en voyant une courbe en U sur l’échiquier politique : l’existence de la lutte des classes est plus fortement reconnue aux deux extrêmes.

5) La lutte des classes aujourd’hui analysée dans la presse

Sous le titre "Non, non, la lutte des classes n’est pas morte" le site Rue 89 a mis en ligne le point de vue de l’économiste (absolument pas révolutionnaire) Thomas Piketty :

« Par rapport à l’immense espoir méritocratique sur lequel sont fondées nos sociétés démocratiques, les transformations ont été plus limitées qu’on ne l’imagine souvent. Et surtout, on assiste aujourd’hui à une vraie régression. Les privilèges de naissance et le patrimoine viennent concurrencer le capital humain, le mérite. C’est un type d’inégalité violent, que l’on croyait avoir dépassé. Je pense possible un retour des structures de classes plus proches du XIXe siècle que de celles des Trente Glorieuses. »

Sous le titre la lutte des classes de retour dans le débat, l’éditorial de L’Humanité du 9 janvier 2013 dégage quelques enseignements des luttes actuelles comme de l’enquête IFOP

On a tellement glosé sur la disparition de la classe ouvrière  ; tellement caché combien la précarisation du travail a aggravé la dépendance des salariés vis-à-vis des employeurs  ; tellement traité de ringards celles et ceux qui n’ont cessé de dénoncer l’énorme captation de richesses opérée par les propriétaires de capitaux sur les travailleurs… que le résultat de ce sondage peut surprendre jusqu’aux militants les plus aguerris.

Ils seront pourtant heureux de constater que l’opinion publique se range du côté des résistants qui continuent de dire et de lire la politique à partir et à travers la lutte des classes... L’économie s’est mondialisée, complexifiée, mais aujourd’hui, plus encore depuis l’éclosion de la crise de 2008, il existe bien des classes sociales dont les intérêts sont antagonistes... Alors que la financiarisation de l’économie a provoqué une des pires crises de l’histoire, les responsables de ce chaos économique sont en train de devenir les hyperriches du monde contemporain. Selon le dernier indice des milliardaires compilé par Bloomberg, 2012 a été une année très faste. Les 100 plus grosses fortunes mondiales ont augmenté leur patrimoine de 241 milliards de dollars.

Le regain de conscience de classes s’ancre dans ce sentiment d’injustice. « Eux », les riches, sont toujours épargnés, alors que les peuples, les salariés, qui ne sont en rien responsables de la crise économique, doivent payer les pots cassés et se voient décrocher. Ce sentiment fut aussi un des marqueurs de l’élection présidentielle. La gauche a été élue sur la promesse du redressement dans la justice. Mais que vaut cette idée si

6) Résultats de l’enquête IFOP

Cliquer sur l’adresse ci-dessous pour y accéder :

http://www.ifop.fr/media/poll/2105-...


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