Sur 8 à 10 points de valeur ajoutée "volés" aux travailleurs en 20 ans (grosso modo entre le début des années 80 et maintenant)...

jeudi 24 septembre 2015.
 

Un argument souvent invoqué pour voir réhabilitée la valeur du travail ou pour justifier l’existence d’un gisement d’argent à récupérer pour financer par exemple la protection sociale (les retraites ou les dépenses de santé).

Un peu de pédagogie est nécessaire pour mieux maitriser ce dont on il s’agit et savoir, si, et comment, le travail peut récupérer cet argent.

L’entreprise crée de la richesse (la valeur ajoutée) et elle la partage

Chacun des biens et services produits par l’entreprise a une valeur marchande, tout comme chacun des biens et services consommés par cette entreprise. En évaluant respectivement la valeur totale des uns et des autres aux prix du marché, c’est à dire aux prix facturés, on détermine la production et la consommation intermédiaire. Par définition, la valeur ajoutée par l’entreprise est la différence entre ces deux valeurs.

Pour faire simple (et sans entrer dans les détails des types d’entreprises, des sous catégories, des calculs bruts et nets, en argent courant ou constant, etc. ...), l’entreprise partage cette richesse essentiellement entre ses salariés, son capital, le remboursement de ses emprunts, ses impôts (éventuellement diminués de subventions). L’INSEE calcule l’ensemble de ces ressources qui constituent le PIB (Produit Intérieur Brut) français.

Les " salaires " pris en compte dans les chiffres de l’INSEE, comprennent les cotisations sociales (employeurs et salariés). En effet, les cotisations sociales ont pour contrepartie des prestations ; si l’équilibre est assuré entre cotisations et prestations, alors les cotisations constituent un salaire différé couvrant un risque (chômage, santé, famille) ou assurant un revenu lors de la cessation d’activité (retraite). La contribution sociale généralisée (CSG) sur les salaires est incluse dans la notion de salaires retenue ici.

Tous les graphiques montrent qu’après avoir régulièrement progressé depuis la fin de la dernière guerre, gagnant une dizaine de points entre 1950 et 1981, la part des salaires dans la valeur ajoutée s’est fortement réduite depuis le début des années 1980. Elle était inférieure de 10 points à son point culminant de 1981 à la fin des années 90 / début des années 2000, revenant au niveau de 1950, elle est inférieure d’environ 8 points actuellement.

Que s’est il passé ?

D’abord, bien entendu, des économistes affirmeront que la fin des années 1970 et le début des années 1980 ne peuvent pas constituer une référence pour le partage de la valeur ajoutée. La part élevée des salaires coïncide avec des déséquilibres forts : taux d’intérêt réels négatifs, inflation élevée, prix relatifs perturbés par les chocs pétroliers, gains salariaux réels supérieurs aux gains de productivité du travail, etc. ... Soyons beaux joueurs et acceptons le, en ayant à l’esprit que le PIB et la productivité du travail qui croissaient chacun respectivement d’environ 5 points par an pendant les années 1950 à 1973, sont tombés autour de 2 pendant les années 1980 à autour de 1 au début des années 2000.

Mais, ensuite, la rigueur économique instaurée par le ministre Delors a eu pour objectif de juguler l’inflation et de restaurer les conditions de la croissance économique en France, en particulier en privilégiant les profits et la compétitivité des entreprises. Le partage de la valeur ajoutée a été fortement marqué par cette politique, et l’équilibre s’est déplacé en direction des entreprises. Cependant, d’autres facteurs paraissent avoir été ensuite plus déterminants, surtout au fil des années : comme l’ouverture de l’économie française, un commerce mondial très dynamique et une internationalisation croissante des marchés de capitaux ont énormément joué. L’économie française a été à la fois plus exposée à la concurrence internationale et conduite à appliquer la norme libérale de fonctionnement et de financement de l’entreprise. Les privatisations massives et la restructuration du capitalisme français au cours des années 1990 en sont une preuve. Nous sommes maintenant sous la loi des fonds de pension spéculatifs et des recherche de rendements des placements à court et moyen terme à " deux chiffres " : de 10 à 15 % quand ce n’est pas plus.

Au total, s’il faut être un peu plus " technique ", la composition de l’ensemble des ressources affectées au sens large par les entreprises (autres que les salaires et les impôts) aux dividendes, versements d’intérêts aux prêteurs, revenus de la propriété pour les assurés (assurance vie) et bénéfices réinvestis, a été complètement modifiée au profit des dividendes (et stock options ...) et de l’assurance vie, via les institutions financières (banques et autres).

Que faire pour rétablir l’équilibre, même s’il ne s’agissait que de récupérer 5 points (qui représentent toutefois plus de 80 milliards d’Euros, à comparer aux 65 offerts aux entreprises par l’Etat en 2007...) pour divers financements dont la protection sociale (retraites et santé) ? Il n’y aura pas " une " solution, mais un ensemble.

D’abord, bien entendu, obtenir une amélioration des rémunérations (et des cotisations sociales patronales) ! ...

Parallèlement, car on a pu voir la dimension de " Globalisation libérale " qui fait pression en faveur de la rémunération du capital au détriment de celle du travail, le combat est altermondialiste : syndicalement ou non, il faut se battre pour renforcer le pouvoir de contrôle et de décision des travailleurs dans l’entreprise, qu’elle soit française ou chinoise. Même si l’impôt dans un seul pays peut être redistributif (fournissant ainsi l’occasion d’un élargissement considérable de l’assiette de base du financement de la protection sociale, par exemple), surtaxer les profits pourrait n’avoir pour effet qu’une pression plus grande sur le niveau des rémunérations brutes qui seraient encore plus " écrasées " et les délocalisations accrues.

...

Bref, un nouveau régime politique " Socialiste " est à inventer.

Jacques-Claude Rennesson


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