La frontière entre l’espace public et l’espace privé a été détruite par les termites du libéralisme.

vendredi 21 décembre 2018.
 

S’interroger sur les articulations entre l’espace public et espace privé revient à se demander comment l’État est instrumentalisé par la classe économiquement et idéologiquement dominante.

Nous reproduisons ici deux textes qui nous ont semblé particulièrement intéressants pour décrire l’articulation des sphères publiques et privées dans le contexte institutionnel de la Vème république.

Le premier émane de membres de la fondation Copernic et fait une analyse socio-politique du problème.

Le second émane de la fédération nationale de la libre penséequi fait référence à une décision de la Cour de Cassation.

À cela, nous ajoutons un troisième volet : une référence à deux décisions du conseil constitutionnel concernant la compatibilité d’un mandat parlementaire avec une activité dans une société privée. La lecture, de ces deux décisions, est particulièrement instructive.

Premier volet.

Cahuzac, symptôme de la collusion entre monde des affaires et direction de l’Etat Source : Fondation Copernic http://www.fondation-copernic.org/s...

Par Sandra Demarcq, Pierre Khalfa, Francis Parny, Willy Pelletier (Membres de la Fondation Copernic)

L’indignation face à "l’affaire Cahuzac" est justifiée. Elle ne représente pourtant que la face émergée d’un immense iceberg. Sa faute est individuelle, certes inexcusable. Elle témoigne d’une inconscience révélatrice à l’égard de la conception qu’un homme d’Etat devrait se faire de sa fonction. Mais cette faute procède d’une dérive collective des élites au pouvoir ; une dérive de longue durée.

Car de quoi Cahuzac est-il le symptôme ? De l’indifférenciation entretenue entre les affaires de l’Etat, publiques s’il en est, et les affaires privées de l’industrie et de la haute finance. Cette collusion entre monde des affaires et direction de l’Etat et le positionnement interchangeable du personnel politique et des managers privés sont devenus affaire courante, que ce soit à droite ou à gauche depuis que cette dernière s’est convertie pour partie aux logiques néolibérales dominantes.

Le grand public n’en connaît que les exemples les plus frappants : Jean Peyrelevade passant de Matignon au Crédit Lyonnais, Jean-Charles Naouri des finances à Rothschild puis à Casino, Louis Gallois de Matignon à EADS, Loïck Le Floch-Prigent du ministère de l’Industrie à ELF, Louis Schweitzer de Matignon à Renault, etc. Tous firent des affaires en hommes d’affaires, avant, parfois, d’être missionnés par des gouvernements, et ce quelle que soit leur couleur politique, pour indiquer à l’Etat comment se mettre plus efficacement au service des entreprises.

Combien d’autres membres de cabinets ministériels firent de même ? Ils sont légion. Certains développements récents ont laissé pantois. Un secrétaire général adjoint de l’Elysée qui devient président de Natixis. Le directeur de cabinet de la ministre de l’économie promu président de France Telecom. Entre autres.

On dira que ce type de collusion a toujours existé. C’est vrai. Mais deux éléments sont relativement nouveaux dans la situation actuelle. D’une part, la circulation entre haute fonction publique d’Etat et direction des entreprises du CAC 40 est plus rapide et systématique qu’elle ne le fût jamais et se trouve facilitée à mesure que Sciences Po, l’ENA et même Polytechnique, se transforment, elles aussi, sans cesse davantage, en business schools. C’est ainsi que les recettes et les modèles du privé, intériorisés très tôt par les futures noblesses d’Etat comme seules solutions "réalistes" et même pensables, leur font appréhender comme parfaitement "naturelles" ou "incontournables" les recettes de "gouvernance" ou de "management" qu’ont mises en place leurs prédécesseurs dans les cabinets ministériels antérieurs. De sorte, qu’au mieux ils les modifient de façon cosmétique, et que, communément, ils les reproduisent et les prolongent.

D’autre part, la continuité des politiques développées par la gauche et la droite au pouvoir, favorisée par cette évolution de la haute administration, entérine, pour l’essentiel, le fonctionnement du capitalisme financier, et légitime ainsi certains modes de comportement personnel. Quand rien n’est fait pour casser la cupidité des marchés financiers, quand l’activité économique des grandes entreprises n’a plus pour objet que de verser des dividendes toujours plus importants aux actionnaires, quand les rémunérations des grands patrons explosent, comment s’étonner que des individus, si haut placés soient-ils, ou parce qu’ils sont haut placés justement, ne se laissent pas eux aussi tenter ? Qu’a fait Jerôme Cahuzac ? Il était conseiller du ministre de la santé, il s’est reconverti dans l’entreprise privée (en chirurgie capillaire) et le conseil aux multinationales (pharmaceutiques).

On veut faire de lui un cas particulier. Il n’est que la manifestation la plus éclatante et la plus symbolique – un ministre chargé de lutter contre la fraude fiscale qui fraude –, de l’effacement progressif des frontières entre monde des affaires et haute fonction d’Etat. La fraude fiscale dont s’est rendu coupable Jérôme Cahuzac n’est que la manifestation de l’avidité érigée en système, son mensonge celle de la croyance en la toute-puissance du pouvoir. Il est dès lors trop simple d’accabler le seul Jérôme Cahuzac, malgré ses fautes, de tous les maux. Mieux vaudrait analyser quels processus sociaux et politiques ont favorisé un tel parcours.

Les mesures annoncées par le président de la République seront un emplâtre sur une jambe de bois.
- D’abord, parce que l’une d’entre elles témoigne d’une méconnaissance de la Constitution, les juges étant seuls à même de décider de la durée des peines à l’issue d’un procès. Et ensuite, parce que, en cette affaire, l’indépendance de la justice n’est pas en cause, même si une refonte du Conseil supérieur de la magistrature s’avère nécessaire.
- Mais surtout ces mesures ne disent rien quant à la nécessité de transformer les représentations actuelles de la réussite sociale, ce qui suppose s’attaquer à la racine du mal, un système économique et social basé sur la recherche du profit maximum et qui produit des individus à son image.

Sandra Demarcq, Pierre Khalfa, Francis Parny, Willy Pelletier (Membres de la Fondation Copernic)

Fin du premier texte

Deuxième volet.

Sphère Publique / Sphère Privée : La Cour de cassation donne une leçon magistrale sur l’affaire Bab y Loup

par Fédération nationale de la libre pensée (FNLP) 24 mars 2013 http://www.fnlp.fr/spip.php?article856

La Cour de cassation vient de donner une leçon magistrale sur la laïcité en rappelant la différence de l’exercice de la liberté de conscience dans la sphère privée (entreprise privée) et dans la sphère publique (entreprise publique). Cette démonstration agrée la Libre Pensée qui se bat toujours pour faire valoir cette conception de la laïcité institutionnelle.

La Libre Pensée n’est donc pas d’accord avec celles et ceux qui se lamentent à souhait pour dénoncer l’arrêt par lequel la Cour de cassation a rétabli dans ses droits une salariée de l’association gestionnaire de la crèche Baby loup qui avait été licenciée au motif qu’elle venait travailler revêtue d’un voile. En particulier, Madame Bougrab, Maître des requêtes au Conseil d’Etat, ancienne présidente de la défunte Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), passée secrétaire d’Etat à la jeunesse et à la vie associative et, surtout, l’actuel ministre de l’Intérieur ont étalé leur indignation dans les journaux télévisés contre une décision qu’ils ont présentée comme une atteinte grave à la laïcité.

Fait sans précédent, Monsieur Valls a cloué au pilori la Cour de cassation devant l’Assemblée nationale. Ces responsables font preuve, en l’espèce, ou d’ignorance ou de malhonnêteté intellectuelle à des fins politiciennes.

Le 19 mars, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts indissociables par lesquels elle rappelle la théorie classique en droit français de la laïcité, conçue comme la garantie de la liberté de conscience de chacun.

- Dans la première de ces décisions, elle a jugé que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public » et qu’est illégal le contrat de travail ou la décision unilatérale de l’employeur tendant à « les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail », notamment celles de ses articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3. Si les employeurs sont en droit de limiter la liberté de conscience, cette restriction doit être justifiée « par la nature de la tâche à accomplir » et proportionnée au but recherché. Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation a considéré à juste titre qu’une crèche privée n’est pas chargée d’une mission de service public et que le règlement intérieur de l’association gestionnaire enfreint gravement les libertés individuelles des salariés en instituant une interdiction générale et absolue de porter un signe religieux non seulement dans les locaux accessibles aux enfants mais dans leurs annexes.

- Le second arrêt de la Cour a rejeté un pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt du 9 novembre 2011 par lequel la cour d’appel de Paris avait validé le licenciement d’une employée de la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis prononcé par le directeur de l’organisme à raison du port d’un voile à caractère religieux par cette salariée. La Cour de cassation a considéré à juste titre que le juge d’appel « a retenu exactement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer [à leurs agents], ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public […] » En l’espèce, il est absolument certain que les caisses d’assurance maladie gèrent un service public qui doit être régi par le principe de neutralité.

En définitive, la Cour de cassation rappelle la théorie classique de la séparation entre la sphère privée et la sphère publique qui sous-tend toute l’action de la Libre Pensée, fondamentalement attachée à défendre la liberté de conscience et la laïcité de l’Etat, de l’Ecole et des services publics en général.

C’est une leçon que la classe politique française ferait bien de retenir, au lieu d’envisager de légiférer, à nouveau, contre la seule laïcité qui vaille : celle qui œuvre à la paix civile.

La seule solution laïque

La seule solution pour sortir du problème posé par la crèche Baby Loup ne peut résider que dans la municipalisation des crèches privées afin qu’elles deviennent un service public dans lequel s’appliquerait la laïcité. Mais force est de constater que les responsables publics et politiques qui revendiquent d’un côté l’application de la laïcité dans la sphère privée, participent de l’autre à la privatisation croissante des services publics au nom des principes mis en œuvre par l’Union européenne.

Si l’on veut régler le problème des emblèmes religieux, dont le foulard islamique, dans les établissements qui reçoivent des élèves et des enfants, la solution idoine consiste à développer le service public afin de répondre aux besoins de la population et non à confier de plus en plus les tâches du service public à la sphère privée.

C’est pourquoi la Fédération nationale de la Libre Pensée exige l’abrogation de la loi Debré qui permet le financement public croissant des établissements privés. Il faut mettre un terme définitif au détournement des fonds publics vers le privé.

Paris le 23 mars 2013 Adopté à l’unanimité par la CAN de la FNLP

Fin du deuxième texte.

Troisième volet.

En nous abstenant ici de tout jugement de valeur, examinons à la se lumière d’une situation concrète, comment les institutions actuelles gèrent la compatibilité d’un mandat parlementaire avec une activité dans une société privée. Étude d’un cas d’école  : celui du sénateur Philippe Marini. Le conseil constitutionnel a statué sur chacune des situations qui se sont présentées.

Première situation Décision n° 95-11 I du 14 septembre 1995

Voir le texte à l’adresse :

http://www.conseil-constitutionnel....

Le conseil constitutionnel, sous la présidence de Roland Dumas, a décidé dans ce cas que la fonction de membre du conseil de surveillance la société privée considérée dans ce premier cas était compatible avec le mandat de sénateur.

Deuxième situation : Décision n° 2010-28 I du 14 décembre 2010 Voir le texte à l’adresse :

http://www.legifrance.gouv.fr/affic...

Le conseil constitutionnel, sous la présidence de Jean-Louis Debré, a décidé dans ce cas que la fonction de membre du conseil de surveillance la société privée considérée dans ce deuxième cas n’était pas compatible avec le mandat de sénateur.

Fin du troisième volet

Hervé Debonrivage


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