Jean Marc Ayrault, nouveau Shadock de l’économie

lundi 29 avril 2013.
 

Sans bruit, presque en cachette, le gouvernement Ayrault relance la machine à privatiser. Comme toujours avec les solfériniens, la manœuvre est mesquine, ses motivations pauvres et sans vision, sa mise en œuvre honteuse et presque clandestine. Médiapart a lancé l’alerte le 27 mars dernier. De mon côté, ici j’ai déjà raconté les péripéties lamentables du bradage d’EADS. Depuis la situation s’aggrave considérablement. Moscovici et Montebourg se disputent la médaille du meilleur liquidateur de la propriété publique.

Et en plus, ils privatisent !

Dans un article intitulé "Et maintenant, voilà les privatisations", Laurent Mauduit épinglait la "mini-privatisation" à "haute valeur symbolique" décidée par le gouvernement Ayrault. C’est le groupe Safran qui est concerné. Issu de la SNECMA, c’est un bijou de haute technologie leader mondial des moteurs aéronautiques. Le gouvernement a décidé de vendre 3,12% du capital de Safran. Pourquoi ? Parce que l’Etat était pressé d’empocher près de 450 millions d’euros pour boucler son budget. Misérable. Le sommet du ridicule et de l’absurde est atteint quand on sait que cette vente est destinée à alimenter le capital de la Banque publique d’investissement. Détruire de l’investissement pour alimenter un fonds destiné à aider l’investissement ! Jean Marc Ayrault est le nouveau Shadock de l’économie. Au passage on découvre que ces pitoyables gestionnaires avaient oublié de nantir le budget pour fonder cette banque ! Et, sans le vouloir, Moscovici fait ainsi l’aveu que la BPI n’est qu’un nain financier !

Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg sont ici à la manœuvre. En tant que ministre de l’Economie et des Finances, et ministre du Redressement Productif, ils partagent la tutelle sur l’Agence des Participations de l’Etat. Cette agence est la structure chargée de gérer le capital détenu par l’Etat dans les entreprises. Cette agence a été créée en 2004 par la droite. A l’époque, les libéraux vantait la nécessaire "modernisation" de "l’Etat actionnaire" qui devait "gérer son portefeuille" boursier. C’était l’abandon définitif de toute logique industrielle au profit de la logique financière et boursière.

Le pillage a aussi lieu chez EADS. Sous l’impulsion du PS, "l’Etat actionnaire" met ses pas dans ceux du parasite Arnaud Lagardère. Cet oligarque a décidé de se retirer du capital d’EADS. Et il a obtenu qu’EADS rachète ses actions. Bilan de l’opération : 2,3 milliards d’euros de trésorerie d’EADS brûlés dans une opération dont le seul bénéficiaire est Arnaud Lagardère. Ce pillage, j’en ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog. Il me révolte. Ce lundi 15 avril, on a appris que l’Etat avait décidé de faire la même chose que Lagardère. EADS va racheter une partie de son propre capital détenu par l’Etat français : 1,56% du capital est concerné. Coût de l’opération pour EADS 478 millions d’euros. Entre Lagardère et l’Etat, EADS aura brûlé trois milliards d’euros de cash pour racheter ses propres actions, autant dire pour rien. Et grâce à cette merveilleuse trouvaille, l’Etat va reculer au capital d’EADS, une autre entreprise stratégique, un autre fleuron technologique.

Le scandale ne s’arrète pas là. En quelque sorte Cahuzac continue de nuire. Médiapart nous apprend que le groupe Lagardère va bénéficier d’une importante exonération d’impôt sur la vente de ces actions EADS. C’est la fameuse "niche Copé" qui est en cause. Cette disposition législative permet à un groupe d’être exempté d’impôt sur les plus values qu’il réalise en vendant des actions de ses filiales. En l’occurrence le groupe Lagardère ne payera presque pas d’impôt sur la plus-value de la vente de ces actions EADS. Cette plus-value est estimé 1,8 milliard d’euros ! Au lieu de payer 600 millions d’euros d’impôt, le groupe Lagardère ne devrait en payer qu’à peine 70 millions grâce à ce dispositif soit 530 millions d’euros d’exonération fiscale ! L’Etat perd plus d’argent avec ce seul cadeau qu’il n’en gagne en vendant ses propres actions EADS ! Un comble. Cette "niche Copé" a été votée à l’initiative de l’UMP Jean-François Copé en 2004. Mais si ce dispositif existe toujours, c’est à cause de Jérôme Cahuzac qui a refusé de le supprimer dans le budget 2013. Bien sûr, il a agit avec l’aval de Pierre Moscovici et Jean-Marc Ayrault, probablement aussi de François Hollande. Cette niche coûte jusqu’à 6 milliards d’euros par an. A titre de comparaison, c’est presque autant que ce va prendre François Hollande au peuple en augmentant la TVA le 1er janvier 2014.

Il ne manquait que Montebourg dans ce pauvre tableau. L’obsession comptable a fini par l’atteindre au détriment de tout autre raisonnement politique. Il l’a dit le 5 avril dernier dans le Wall Street Journal, le journal des traders américains. Voià ce qu’a déclaré Montebourg : "Dans le cadre de l’effort de restructuration budgétaire (…), nous réfléchissons à des changements dans les participations de l’État" dans les entreprises. Dans Le Figaro, un "proche de Pierre Moscovici" rappelle que "la cession de participations relève du ministre de l’Économie". Un combat de coq pour savoir quel ministre décide, voila à quoi se résume la politique industrielle de l’Etat dans les entreprises dont il est actionnaire ! Enfin, on aura donc appris que c’est Pierre Moscovici qui est responsable de la braderie chez Safran et EADS.

Moscovici lui non plus n’écarte pas de nouvelles ventes d’actions de l’Etat. Il se gargarise de la vente d’actions Safran. Il précise même que de telles ventes pourraient servir à boucher les trous du budget. Il le dit dans Le Monde de jeudi 18 avril : "Les cessions d’actifs peuvent être mobilisées pour le désendettement ou le financement de dépenses en capital. L’Etat, tout en préservant à l’identique son influence, a ainsi récemment cédé des titres du groupe Safran afin d’apporter des ressources nouvelles à la BPI et financer des investissements d’avenir. Je préciserai la doctrine de l’Etat sur la gestion de son portefeuille". Il brade et il en est fier ! Attention danger, ce sont des illuminés !

L’industrie de la Défense est aussi menacée. Un nouveau "livre blanc de la Défense" doit paraître dans les prochaines semaines. Il est censé fixer la doctrine militaire et les moyens budgétaires alloués en conséquence. Dans le contexte d’austérité généralisée, l’armée devrait aussi être frappée. D’ailleurs François Hollande l’a confirmé le 28 mars à la télévision. Il a indiqué que le budget militaire serait gelé sur la période 2014-2020 à son niveau de 2013. Cela signifie donc que chaque année, il baissera du montant de l’inflation. Cela n’a rien a voir avec une quelconque réflexion sur l’industrie d’armement, sa conversion ou sur la nature de nos besoins de défense. Non, juste de la comptabilité. Degré de réflexion politique égal à zéro !

Face à cette politique stupide et dangereuse, certains ont cru intelligent de proposer une autre absurdité : que l’Etat vende certaines participations dans des groupes industriels et technologiques de Défense pour combler les trous et alimenter le budget militaire. Ce serait un marché de dupes. La France y perdrait en souveraineté technologique et industrielle. Ce serait aussi un renoncement insupportable pour la gauche qui, depuis plus d’un siècle, défend la maîtrise publique de l’industrie d’armement.

Ce serait aussi un mauvais coup de plus. Même là où l’Etat est encore actionnaire, la stratégie financière a déjà pris le pas sur la politique industrielle. C’est la Cour des Comptes qui s’est émue de ce problème dans un rapport publié le 12 avril dernier. Pour la Cour des Comptes, sous les gouvernements successifs, l’Etat "a fait preuve de nombreuses faiblesses, se plaçant parfois en risque de perdre le contrôle de certaines activités industrielles de défense, ainsi qu’en ayant des difficultés à faire appliquer ses décisions, voire à s’exprimer d’une seule voix". En chapeau de son article sur le sujet, le magazine L’Usine nouvelle résume le rapport comme cela : "participations bradées, perte d’influence opérationnelle sur des groupes pourtant sous contrôle actionnarial [de l’Etat], risque d’OPA sur des entreprises stratégiques".

La Cour des Comptes elle-même qui n’est pas un territoire du Front de gauche, rappelle que "la présence de l’État au capital des entreprises industrielles de défense est aujourd’hui indispensable". Elle exige "une amélioration de la protection et du suivi des intérêts stratégiques de l’État". Elle pointe en particulier le "risque, par exemple, d’une OPA non sollicitée sur Safran, dont 90 % de l’activité est civile". Oui, vous avez bien lu. La Cour des comptes juge qu’il y a un risque d’OPA hostile sur Safran et le gouvernement Ayrault ne trouve rien de plus intelligent à faire que de vendre 3% du capital de cette entreprise !

La Cour estime aussi que "l’État ne doit plus agir au coup par coup mais adopter une stratégie d’ensemble, préparer les décisions futures et dire ce qu’il attend de ses partenaires industriels". Mais pendant ce temps, le gouvernement vend "au coup par coup"’ des actions Safran et EADS.

Enfin la Cour des Comptes alerte sur le fait qu’"une stratégie à long terme sur les partenariats avec le groupe Dassault" est nécessaire compte-tenu du poids pris par ce groupe dans l’industrie de défense française, en particulier par la filiale Dassault Aviation dans le capital de Thalès. La Cour des Comptes va même plus loin : "Désormais, le seul partenaire industriel français est Dassault, ce qui posera tôt ou tard un problème de contrôle actionnarial". "L’État doit être en mesure de l’anticiper". Si le gouvernement Ayrault y prête autant d’attention qu’à Safran et EADS, on a toutes les raisons d’être très inquiets.

On se souvient que le programme du candidat Hollande ne disait déjà rien sur le sujet des entreprises publiques. Parmi les soixante engagements du candidat Hollande, cette question était balayée au point numéro 5. Que disait Hollande ? "Je préserverai le statut public des entreprises détenues majoritairement par l’État (EDF, SNCF, La Poste…)." C’est tout ? Oui. Quand nous proposions la création de plusieurs pôles publics, en particulier dans l’énergie, les banques, les transports, François Hollande promettait seulement de "préserver". Il prenait donc acte des saccages causés par dix ans de droite. Mais bien sur c’est cette pauvre équipe qui avait la vision réaliste et nous les « conforts de l’opposition » comme dit ce pauvre Jean-Marc Ayrault.

En fait le candidat Hollande ne savait même pas de quoi il parlait. Sinon, il n’aurait pas écrit cette phrase. Car depuis le passage de la droite, EDF et La Poste sont des sociétés anonymes. Ce ne sont donc plus des entreprises sous "statut public". Ce sont des sociétés de droit privé, soumises aux règles du privé, mais avec des capitaux majoritairement publics. La nuance est importante. Dans les trois entreprises citées par le projet de Hollande, seule la SNCF a encore un "statut public" en tant qu’"établissement public à caractère industriel et commercial". Et même dans cette entreprise, une privatisation rampante est à l’œuvre notamment à travers la stratégie de filialisation.

Le programme de Hollande était un recul colossal sur le programme historique du Parti Socialiste. Même le programme de Ségolène Royal de 2007 proposait encore au moins de "créer un pôle public de l’énergie entre EDF et GDF". Si je vous parle d’EDF et GDF ce n’est pas hasard. C’est Montebourg lui-même qui a évoqué GDF a demi-mot. Dimanche 14 avril sur France 5, il a déclaré "dans certaines entreprises, on a par exemple 36% de participation. On peut passer à 33%, qu’est-ce que ça change ?". Or 36% c’est précisément la part du capital de GDF-Suez que l’Etat possède encore.

Et l’article du Wall Street Journal dans lequel Montebourg est cité parle expressément d’EDF ou plus exactement d’"Electricité de France SA". Sous couvert d’anonymat, le journal fait parler "une autre source gouvernementale" qui déclare qu’en cas de ventes d’actions par l’Etat, EDF serait "le choix évident". L’article rappelle même que la loi actuelle permettrait au gouvernement de vendre 14% du capital d’EDF. Aujourd’hui 84,4% du capital est détenu par l’Etat mais la loi scélérate votée par la droite en 2004 autorise à descendre jusqu’à 70% sans avoir besoin de l’aval du Parlement.

C’est d’ailleurs une raison de venir marcher le 5 mai pour la 6ème République. Comment peut-on accepter que le patrimoine commun des Français puissent être dilapidé, bradé, vendu sans que le peuple n’ait jamais son mot à dire ? C’est un champ de la souveraineté populaire que nous devons conquérir. Il vaut bien sûr pour les grandes entreprises nationales. Mais il concerne aussi chacun dans sa commune et sa vie quotidienne. Par exemple, on pourrait imaginer qu’il ne soit plus possible pour un maire de confier la distribution de l’eau potable à une entreprise privée sans qu’un référendum local n’ait validé cette idée.

Cela éviterait bien des erreurs. En effet, la privatisation d’entreprises publiques est très souvent synonyme de catastrophes technologique, stratégique et industrielle. Je pourrais vous parler de la démolition-privatisation des ex-PTT qui a donné lieu à au monde merveilleux d’aujourd’hui. Ce monde où France Telecom – Orange fait du courrier électronique et où La Poste vend des forfaits téléphoniques. Ou encore de ce formidable progrès qui voit EDF concurrencer GDF sur la distribution du gaz et GDF concurrencer EDF sur la production d’électricité. Au final bien sûr, ça marche moins bien et ça coûte plus cher. Mais les actionnaires privés s’en mettent plein les poches au passage, comme Vinci avec la privatisation des autoroutes ou les concessions de parkings souterrains et d’aéroports.


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