Le 5 mai, dans la rue pour changer de politique et de système

mardi 30 avril 2013.
 

La France, comme l’Union européenne, va mal, très mal. La crise financière et le naufrage social auraient suffi à nous désespérer  ; nous voilà désormais submergés par le marasme politique et la fracture morale. Nous sommes dans un de ces moments qui découragent les demi-mesures  : on choisit le sursaut ou on se résout à l’enlisement. Il reste à dire si ce sursaut vient de la gauche, ou s’il est réservé à la droite.

Pour l’instant, c’est la droite qui a le vent en poupe. Elle se radicalise, dans son contenu et dans ses formes. Elle a ses réseaux de mobilisation et ses think tanks. Elle pense, se transforme et agit. Elle occupe la rue. Elle se rapproche d’un Front national à l’affût, qui attend son heure, conscient que la désespérance et le ressentiment travaillent pour lui, en France comme dans toute l’Europe. Quant à la gauche, le Parti socialiste la conduit dans le mur. Il avait à choisir entre la gauche et le centre. Comme partout ailleurs, il a choisi le centre. Depuis Tony Blair, sa «  modernisation  » est celle du social-libéralisme  : puisque le capitalisme financier est indépassable, il ne reste plus qu’à en conforter les mécanismes (l’assainissement budgétaire et la compression accrue de la masse salariale) et à éviter l’explosion sociale.

Pour cela, il faut de la redistribution à la marge (de plus en plus à la marge…), de la mise au travail (mieux vaut payer des petits boulots que des allocations chômage) et de l’ordre social (le choix du sécuritaire). Cahuzac et Valls  : c’était le couple gagnant. Jérôme Cahuzac s’en est allé  ; il nous reste Manuel Valls. La balle est au centre. François Bayrou est le plus lucide quand il met en garde François Hollande face à «  l’alerte rouge  ».

Une crise est favorable à toutes les recompositions. Dans une situation comme la nôtre, les exemples ne manquent pas. Ceux des années trente du siècle dernier sont les plus vivaces. Il y en a d’autres, plus proches encore. En 1958, la crise sur fond de guerre coloniale a précipité l’agonie de la IVe République et lancé la grande machine présidentialiste de la Ve. En Italie, la crise morale des années quatre-vingt a entraîné la chute de la Ire République et ouvert la voie au berlusconisme et à l’intégration de l’extrême droite fascisante. Dans tous les cas, la démocratie en a pris un coup. Pourquoi  ? Parce que la gauche, tétanisée, n’était pas au rendez-vous.

En France, aujourd’hui, on ne peut pas écarter l’hypothèse d’une régression, par des voies et sous des formes hélas bien multiples. Le pire, alors, est de ne rien faire. Car, au fond, le pire est déjà là. Il est dans l’accumulation constante des choix opérés depuis si longtemps. Voilà plus de trente ans que le mouvement de nos sociétés est fondé sur un couple indissociable, celui de l’ultralibéralisme et de la «  gouvernance  ».

À la base de son expansion, on trouve une double conviction  : que «  l’État providence  » est la source de tous les dysfonctionnements économiques et que les «  excès de la démocratie  » (Commission trilatérale, 1975) rendent impossible la reprise de la croissance par le jeu de la nécessaire austérité. Il y a désormais une cohérence du fonctionnement institutionnel qui conjugue l’imposition d’une norme économique, la confusion du public et du privé, le reflux de la loi, l’affaiblissement de la représentation, l’expansion de l’expertise et l’alternance au pouvoir réel d’une caste, séparée par le clivage de la droite et de la gauche mais partageant les mêmes codes gestionnaires.

Le choix est désormais d’une grande simplicité  : ou bien on reproduit à l’infini cette cohérence ou bien on la brise. Ou bien on accepte d’être corseté par les logiques en place ou bien on décide de trouver les ressources d’inventivité dans un cadre différent. Il se trouve que le réalisme a aujourd’hui changé de camp. Il n’y a pas d’amélioration pensable si l’on en reste au couple infernal du libéralisme et de la gouvernance  ; l’avenir est au couple vertueux du développement des capacités humaines et de l’implication citoyenne.

Un nouveau cadre pour l’allocation et l’emploi des ressources disponibles, un nouveau cadre pour la démocratie. Une autre façon de penser le développement  : l’efficacité économe par la justice et le partage, au lieu de la croissance par l’inégalité et la concurrence. Une autre architecture des institutions  : non pas la gouvernance, mais l’élargissement des droits et de la citoyenneté, partout, de l’entreprise et de la localité jusqu’aux espaces supranationaux. La Ve République est forclose. Le temps est venu d’un nouveau processus constituant. C’est le sens, à mes yeux, de la marche du 5 mai. Son mot d’ordre ne peut être «  sortez les hommes  », mais «  changeons de politique, changeons de système  ». Quand la colère se confond avec la désespérance, elle tourne au ressentiment  : on ne s’en prend plus aux causes du mal, on se contente de désigner le bouc émissaire.

Le ressentiment, au XXe siècle, a été le ressort majeur des fascismes  ; il est aujourd’hui encore le vecteur de tous les dévoiements. Il nous faut donc, tout à la fois, exprimer la colère et tout faire pour qu’elle se mue en combativité et non pas en ressentiment. Une seule solution  : adosser la colère à l’espérance, lui donner l’élan d’un projet à l’échelle humaine. Rompre avec la logique libérale et ouvrir la voie à une République nouvelle  : telle est la clé, la seule.

Il est impensable, dans cette phase délétère, de laisser le champ libre à la droite radicalisée et à sa composante extrême. Il n’est pas question de laisser la rue aux rétrogrades, aux homophobes et aux fascistoïdes. On ne peut pas courir le risque d’un mouvement qui, de la crise d’un système, conduirait à une nouvelle capitulation républicaine. Là encore, l’histoire a déjà parlé  : bien des sursauts démocratiques ont commencé par l’occupation de la rue. La marche du 5 mai devrait être ce commencement. Ce jour-là, la rue ne sera pas le terrain de l’aventure, mais le support du renouveau civique.

Roger Martelli


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