Festivaliers rouges. Le retour.

vendredi 31 mai 2013.
 

Vous savez que j’étais au festival de Cannes. Après l’inauguration du festival du cinéma « Visions sociales » au Château des Mineurs, et une rencontre avec les professionnels du cinéma, puis à l’hôtel Carlton avec les employés en lutte, j’ai fait un saut à Antibes, le lendemain, sur le quai des milliardaires. J’ai fait sur ce quai une petite marche avec une centaine de camarades. J’y ai prononcé un discours que j’ai vraiment eu plaisir à faire ! Je ne me sens pas capable de résumer ici. Mais il doit bien exister sous forme de film vidéo. Puis nous voilà partis dans la « résidence » des Châtaigniers à l’invitation des « oubliés » qui s’y trouvent dans leur HLM mal en point et délaissés. Comme je ne veux pas que mon blog tourne au compte rendu d’activité, exercice sans plaisir pour moi, je donne des liens avec ce que les médias audiovisuels et écrits ont choisi d’en montrer. Mais je ne peux me résigner à n’en rien raconter.

Pourquoi faut-il que ce déplacement m’ait tant percuté ? Sans doute parce que toutes les sorties que j’y ai faites portaient large et venaient de profond. Je m’explique. Commençons par le festival de Cannes lui-même. C’était en quelque sorte le retour des « rouges ». Ici comme partout nous devons être de retour. Mais peut-être davantage ici. La machine à produire des rêves et des représentations de soi est centrale dans la société humaine. Ceux qui ont suivi ma pérégrination savent pourquoi ce festival est le nôtre. Oui, sachez-le, ce festival est la création des nôtres. Ça s’est passé en 1946. A l’initiative de la CGT, du Parti Communiste et du Parti Socialiste (pas le parti solférinien, celui de la résistance que dirigeait Daniel Mayer). Le premier film primé fut « La bataille du rail » (et non « La Bête humaine » comme je l’ai d’abord noté par erreur) pour sa splendeur et du fait de la proximité de la résistance. Quelle époque ! L’énergie révolutionnaire revitalisait la nation flétrie dans la défaite de 1940. Comment oublier la racine de cette défaite ? Le poison administré partait d’une grosse poche à venin. La haine de ceux qui disaient « plutôt Hitler que le Front populaire », les généraux capitulards gagnés aux idées d’extrême-droite, la presse officialiste à gage qui consacrait son énergie à dénoncer « l’extrême gauche » et à dénigrer le pays. Sans oublier les fascinés du « modèle allemand », déjà. Toute ressemblance avec l’actualité est le fait du hasard bien sûr. Grands patrons et médias de référence comme le « Temps », l’ancêtre du « Monde » avaient collaboré sans vergogne avec l’occupant nazi. Le journal « Le Temps », comme l’entreprise « Renault » furent saisis comme tant d’autres du fait de leur collaboration spécialement éhontée. Il aura fallu l’arrivée du solférinien Louis Schweitzer, patron de Renault dans les années 90 pour voir rétabli l’affichage du portrait du collabo Louis Renault dans la salle du conseil d’administration de l’entreprise. L’éditorial si grossièrement « Berlinophile » de l’édition du jeudi 16 mai, avec son ironie grinçante contre notre « génie national » français mis entre guillemets pour accentuer la dérision, souligne l’ampleur de la dérive actuelle du prétentieux quotidien libéral.

Mais hier comme demain, il y a un inconvénient qui finit toujours par contrecarrer les plans de la capitulation. En dépit du règne du journal « Le Temps », et de la collaboration de toutes les autorités du pays il y eu quand même la libération. Et il y eut la mise en œuvre de son programme politique conforme à notre « génie national ». C’était celui du Conseil National de la Résistance intitulé « les jours heureux ». Son contenu a fondé la France de la civilisation des droits sociaux et des services publics. Tout ce que combat à cette heure le successeur du « Temps » avec cette phrase d’anthologie éditoriale le 6 mai à la une du « Monde », toute honte bue : « (…) la commission exige des réformes de structure : réforme du marché du travail et pour doper la compétitivité réforme du financement de l’état providence (notamment des retraites). La France doit cesser de chipoter et d’écouter les fariboles des sorciers de l’économie vaudoue. » Compris ? Vous faites tous seul le lien avec le dézingage permanent dont je fais l’objet dans ce journal. « Plutôt Le Pen que Mélenchon » éructent les enfants du « Temps » en fin de banquet.

Il y eut la suite. La suite, dont le cœur est la résistance populaire de la gauche et du gaullisme londonien. Celle de la lutte implacable pour la souveraineté. Pour résister et vaincre les nazis d’abord et avant tout évidemment ainsi que leurs larbins de collaboration. Mais aussi, ensuite, pour repousser les tentatives des anglo-saxons pour prendre le contrôle de notre pays. Car ceux-là ont aussi tenté de nous domestiquer soit en nous resservant des fantôches de Vichy, soit en essayant de nous imposer leur prétendue administration provisoire, l’AMGOT. En tous cas, en 1946, lors du premier festival de Cannes, c’était les nôtres qui agissaient. Aucune autorité politique, militaire, ou médiatique de l’ancien régime, toutes infestées de collaborateurs, n’était plus légitime aux yeux de quiconque au sortir de la guerre. La libération du pays était donc aussi un moment révolutionnaire. Partout, le peuple en arme surgissait et affirmait vouloir s’occuper de ses affaires. Et ce fut vrai aussi dans le domaine du cinéma.

Oui, dans le domaine du cinéma ! A l’époque personne ne se risquait à dire qu’il y avait « plus urgent que de s’occuper de cinéma ». Ni personne pour se demander si les travailleurs s’intéressaient au cinéma ou s’il ne valait pas mieux « en rester aux revendications concrètes ». La CGT mobilisait donc tous ceux qu’elle pouvait dans ses rangs pour faire vivre l’événement. Et la classe ouvrière la plus traditionnelle répondit présent. L’enjeu c’était l’existence d’un cinéma indépendant. Un cinéma purgé des miasmes de la collaboration, de l’esthétique et de la didactique des nazis et des fascistes. D’ailleurs la première mouture de ce festival avait été prévue en 1938 pour riposter à la Mostra de Venise organisée par les fascistes italiens. Ça n’avait pu se faire. C’est dire que l’idée était ancrée ! En 1946, l’enjeu c’était aussi l’existence d’un cinéma indépendant de la grosse machine nord-américaine. Les dirigeants populaires savaient ce que la domination de l’imaginaire et sa colonisation menaçait. J’imagine la tête de ceux qui nous ont précédés dans le combat s’ils entendaient réciter le catéchisme actuel sur la liberté de création et d’expression garantie par le marché ! Ou mieux les sornettes sur le fait que l’idéologie dominante s’arrête à la porte du scénariste ou de la salle de montage ! Et donc que la politique n’a rien à y faire. Ou pire que l’esthétique est spontanément libre du système des représentations sociales !

« La Bataille du rail » n’est pas seulement un grand film. Ou plutôt ça l’est par son esthétique autant que par son rythme et ses héros. Les machines, les travailleurs emblématiques comme les cheminots, l’intensité des sentiments simples qui remplissent l’existence des héros simples : ici l’altruisme social et patriotique et l’amour humain. Sur place, à Cannes, en 1946, la CGT déploya une activité fantastique. Il fallait que tout fût prêt à temps et que cela soit beau ! Ainsi en fut-il de l’intervention de ces ouvrières couturières de Cannes, après celle des maçons et des métallos qui avaient organisé le palais du festival. Ces femmes vinrent en dernière minute et elles cousirent dans l’urgence et l’enthousiasme le premier rideau rouge qui s’ouvrirait sur l’écran du Palais ! Et c’est encore à un militant CGT que je dois de connaître cette histoire parce qu’il prit le temps de me la raconter, heureux de me voir marquer la volonté de reprendre pied au nom des nôtres sur le territoire terrible et brûlant de la création culturelle, de sa production et distribution. La droite, dès qu’elle apprit ma présence à Cannes, fit le numéro pavlovien prévu. « Gauche caviar ! » glapirent les nuls. Quelques gauchistes aigris se lacérèrent aussitôt la tête et la couvrirent de cendres en jetant les pleurs du grand hymne de la trahisooooon. Trop drôle ! « Gauche caviar ? ». Je vais vous en servir du caviar moi : version 1946 ! Ces ignorants n’effacent pas seulement l’histoire de leur pays, ils méconnaissent l’actualité de la lutte qui replace le cinéma en première ligne de la bataille historique pour la souveraineté des Français. Mais ce n’est plus leur problème. La solution pour eux, comme pour leur journal, « Le Monde », une fois de plus c’est de proposer la capitulation comme la solution bienfaisante. « Dire cela, s’enrage « le Monde » dans l’édito que je viens de citer après avoir recopié le catéchisme libéral, ce n’est pas vouloir « copier » l’Allemagne à tout prix. C’est vouloir sortir le pays de sa spirale d’échec qui est la sienne depuis 25 ans. Ce devrait être conforme « à notre génie national » . Evidemment ! Natürlich ! A Cannes, derrière les caméras et les jolis moments de promo, se débattaient d’autres sujets très graves parmi les professionnels. Capituler ou pas ? Wir werden nicht kapitulieren, répondrons-nous dans la langue préférée du « Temps ».

Je n’ai pas l’intention de détailler ici ce que j’ai déjà décrit dans mon précédent post à propos de l’impact du Grand Marché Transatlantique sur « l’exception culturelle française ». Le système de financement mutualiste qui a permis non seulement au cinéma français de survivre mais de se développer au cours des 25 dernières années est menacé par la constitution de ce « grand marché transatlantique » (GMT) tout libéralisé, tout déréglementé. C’est un système exemplaire. Il a produit un résultat unique au monde et dans le monde du cinéma. Il est un monument, certes imparfait, de ce que le journal « Le Monde » qualifierait « d’économie de sorcier vaudou ». En ce sens il est un révélateur spécialement saillant de la nature profonde de ce régime politico-économique. Bien sûr il ne s’agit pas au nom de la défense de « l’exception culturelle » d’avaler pour le reste le système du « Grand Marché Transatlantique ».

C’est le contraire. Il s’agit de prendre appui sur ce qui se passe dans le cinéma pour rendre possible le débat que les médias officialistes ont soigneusement éludé pendant les dix années qui viennent de s’écouler au cours desquelles ce projet fut préparé, au grand jour mais sans un écho. Nous même nous le savons mieux que personne. Depuis la création du Parti de Gauche cela nous a assez largement préoccupés. Sans aucun succès. En 2009, au cœur de notre première campagne européenne, nous avons envoyé six cent brochures d’explications et de résumés en fiches simples, adaptées au public débordé des rédactions en sous-effectif. Rien. Puis nous avons collaboré à la publication d’un livre de deux spécialistes militants belges dont j’ai fait la préface. Rien. La bonne société se moque totalement de savoir comment les ouvriers vont être martyrisés plus gravement et les salariés perdre leur droits acquis par « l’économie vaudoue ». Mais sur le cinéma on peut espérer qu’ils mettent le doigt dans l’engrenage de l’intérêt pour la question. Alors par ce biais, nous pouvons avoir espoir d’envoyer au tapis le « Grand Marché Transatlantique » comme nous l’avons fait avec l’AMI, sous le gouvernement Jospin. C’était le cœur de ce que je suis venu « renifler à Cannes ». Je comptais en faire l’axe de mon propos à l’occasion de l’édition du « Grand journal » auquel je me réjouissais de participer le samedi soir. Il fut annulé à la demande de la mairie du fait des intempéries. Dommage. Partie remise.

Peut-être avez-vous su que je suis allé à l’hôtel Carlton. Non pour y séjourner, évidemment, mais pour y soutenir la lutte des employés qui veulent conserver leur hôtel dont ils pensent qu’à le voir passer d’un magnat qatari à l’autre, sans travaux, il est menacé dans son existence. Commentaires narquois de la droite sur le prix des chambres au Carlton comme si j’y étais descendu. Chacun de mes lecteurs sait que j’étais installé au « Château des mineurs ». Maintenant vous savez qu’il appartient au comité d’entreprise d’EDF après avoir été dans la main du syndicat des mineurs du Nord-Pas de Calais. Je vous redonne les liens pour découvrir notre part d’histoire à cet endroit. Je ne le fait pas pour répliquer aux Pavlovs de la pauvre propagande de la droite relayée par les aboiements des solfériniens, mais pour que vous continuiez à vous approprier cette histoire, la vôtre, la nôtre et regardiez toute cette scène d’un autre œil, plus conquérant. Et de n’avoir pour seule honte assumée que d’en faire moins pour le bien de tous que nos anciens ont su le faire. Mais c’est possible de faire de l’économie sociale. Ce n’est pas du vaudou, nous ne sommes pas condamnés à la collaboration avec la main qui nous frappe, nous ne devons jamais capituler, même après avoir perdu une bataille, la preuve par l’exemple.

Les employés du Carlton votent à 60 % CGT aux élections professionnelles. De la femme de chambre aux portiers en passant par chaque poste de travail tout, le monde parle deux ou trois langues. Le niveau de qualification professionnelle inclut non seulement des gestes de travail spécialisés mais des connaissances linguistiques assez avancées, elles aussi spécialisées. C’est donc une élite intellectuelle du salariat qui est là. Pour un peu moins de trois cent employés, quatre-vingt cotisent au syndicat. A d’autres donc les leçons d’ouvriérisme ! Je le dis pour quelques commentaires trouvés aussi dans nos rangs au titre des pleurnicheries rituelles des trolls. En tous cas pour moi l’accueil et la rencontre était extraordinairement touchantes. Une fois signée dehors devant des caméras courageuses, sous la pluie, la pétition, je fus reçu à l’intérieur comme je l’annonçais, sans en être certain, dans mon précédent post. Alors vous saurez que si j’ai choisi le verre de rouge plutôt que le lait-fraise d’abord imaginé, c’est qu’une raison forte m’y poussait en plus du plaisir disputé. Cette raison c’est que c’est le syndicat qui m’invitait et donc j’ai choisi parmi ce que l’on me proposait et qui était parfait, tandis que mon lait-fraise aurait eu des relents de misérabilisme que personne n’aurait compris je pense. Le plus beau pour moi c’est que dans l’ambiance d’incroyable cohue qui régnait au bar du Carlton où l’on faisait la queue pour avoir une chaise, la nouvelle se répandit de ma présence parmi le personnel. Si bien que ce fut un véritable festival, oserais-je dire, de salutations et de photos prises avec moi dans une chaleur amicale qui me porta dans les nuages comme je l’avais été déjà pour les mêmes raisons avec les jeunes gens qui assurent le service du « Château des mineurs ». Mon cheich rouge au cou (misère ! il déteint sur ma chemise blanche !), j’ai fait la star à ma manière, au milieu des sourires narquois que nous échangions au moment d’infliger aux belles personnes qui sirotaient leurs consommations en grande tenue, le spectacle des rouges se congratulant et s’entre-photographiant avec un gars qui prétend tout leur prendre au-delà de trois cent mille euros par an. Ajoutons ceci : quelques-uns de ceux-là aussi vinrent pour la photo et se dirent des nôtres ! Je vous le dis : je n’en suis pas surpris. Moi, je sais bien que les délires grossiers du « Monde » et de « Libération » à mon sujet, n’atteignent que la petite cible de leurs convaincus, même dans les milieux qu’ils atteignent. Les autres sont dotés d’un organe très préoccupant pour cette presse officialiste : un cerveau. Et ils s’en servent. Leur morale de vie n’est pas celle que leur prescrivent les quotidiens officialistes : « Pour profiter sans entrave, taisez-vous ! »


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