Intervention de Jean Luc Mélenchon au Congrès du Mans

mardi 22 novembre 2005.
 

Hou ! Sifflets ! Applaudissements ! Piétinements...

Merci ! ( Mouvements...) C’est bon, on s’est compris !

Quoi qu’il nous en coûte, je crois qu’il faut nous donner tout le temps une chance de se comprendre. Pour ma part, je m’en ferai un devoir. C’est mon treizième congrès socialiste mais je n’ai pas l’impression que ce soit le plus facile. Quand je suis arrivé, je ne savais pas sur quel ton j’y entrerai. Bien sur, on nous demande aussitôt : « Alors la synthèse..., vous la faites ou pas » Il faut le temps si ça doit se faire, non ? Un congrès, c’est à cuisson douce. Mais que dois-je faire cette fois-ci ?

J’ai vu comme tout le monde la délégation syndicaliste qui était devant la porte, et j’ai fait comme la plupart d’entre vous qui ne sommes pas d’ici : je suis allé toucher les mains et discuter un peu pour comprendre. Alors on s’est parlé. Et puis, je m’avance vers un gars de la CGT, il a mon âge. Je me dis : on va se comprendre. Je le regarde dans les yeux et je lui dis : « Alors qu’est-ce que je dois faire ici ? » Parce que je sais très bien en arrivant, que si on s’entend ici, on va dire : « Alors, tout ça pour ça ! ». Et si on sort et qu’on ne s’est pas entendu : « Décidément, vous ne comprenez rien ! » Qu’est-ce qu’il faut faire ? Et le gars me dit : « Sortez-nous quelque chose de là-dedans, sinon on est marrons ! » J’ai ma feuille de route, je ne barguigne pas, j’ai compris.

L’ETAT D’URGENCE POLITIQUE

Car je sens d’instinct quelque chose dont je ne trouve pas toujours les mots. Quelque chose que dans notre texte nous avons appelé l’état d’urgence avant que cela devienne l’appellation d’une loi que vous connaissez. Ce quelque chose nous fait sentir que notre vieux et tumultueux pays est entré de nouveau dans une de ces ères de grandes turbulences qui sont les refrains de notre histoire.

Je parle de cet état d’urgence, celui que, par une phrase d’un français exécrable dont je suis le responsable, notre texte décrit comme étant celui où « tous les curseurs de crise entrent en zone rouge. ». C’est bien davantage que la loi de Sarkozy.

Cette loi d’urgence de Sarkozy, c’est d’abord une loi d’aubaine. Avons-nous besoin d’une seule preuve à ce sujet ? Alors, qu’on nous dise ce que vient faire comme réponse aux émeutes urbaines l’abaissement de l’apprentissage à 14 ans. Quel rapport ? Cela aggravera les choses ! Je crois que depuis cette tribune, je parle en notre nom à tous, quand je dis : si nous revenons, nous abolirons cette décision inique. En France, l’âge de la scolarité obligatoire, c’est 16 ans pour tous les jeunes et pas seulement pour certains. Cette loi c’est une loi de provocation. Moi, quand on me parle d’une loi de 1955, j’ai l’âge qui me permet de faire des comparaisons, et cela me permet de savoir que les lois d’exception, les lois d’urgence n’ont jamais rien réglé, nulle part ! C’est l’égoïsme social, c’est l’ethnicisation des conflits qui empêchent qu’on puisse vivre ensemble.

La droite a rompu toutes les digues idéologiques, c’est pourquoi aussi la situation est si grave. Car, ne nous y trompons pas, il en reste désormais quelque chose partout. Je ne vise pas seulement les injures qui ont été prononcées. Si ce n’était que des injures, on dirait : on voit bien comment à droite ils provoquent et entretiennent le désordre, pour ensuite apparaître comme ceux qui veulent le réparer. Du producteur au consommateur, en quelque sorte. Mais nous avons aussi entendu remettre en cause le Droit du sol à Mayotte, à La Réunion. Et bien, nous nous accrocherons becs et ongles pour défendre le droit du sol et le droit républicain à être libre et français, quand on a touché le sol de France. Honte aux fauteurs de haine qui, à la Réunion, proposent même des tests ADN pour vérifier la paternité des enfants qui ont été reconnus par des pères étrangers ! Car, voilà pourtant ce qu’ont osé proposer des élus UMP.

Tenons compte du fait que cette pression idéologique nous est d’abord destinée. Ils voudraient que nous reculions. Je l’ai vu l’autre jour au Sénat quand ce Garde des Sceaux nous disait s’agissant des violences et des incendies- : « On vous connaît la gauche ! Vous passez vite de la compréhension à l’approbation ! » Il espérait qu’on vienne aussitôt japper en cadence, pour dire « Pas nous ! Pas nous ! Réprimez ! Allez-y. »

Parce que nous, bien sûr, on ne peut pas être d’accord avec les violences, les voitures, les gymnases qui brûlent. On ne peut pas être d’accord. Qui peut l’être ? Mais ce qu’ils veulent, c’est que nous taisant sur un point, nous nous taisions sur tout. Qu’il n’y ai plus de parti pour porter la voix des humiliés et des discriminés. Et bien même face à la pire des violences, celle qui peut nous choquer le plus, souvenons-nous du message de Jean Jaurès, « la cruauté des rebelles est comme une marque des vieilles servitudes qu’ils ont endurées. » Souvenons-nous Gracchus Babeuf qui, le premier avait compris que pour que la République s’accomplisse, il fallait qu’elle soit le socialisme : « Les insurgés sont éduqués à la cruauté par leurs maîtres ». Ce qu’ils veulent, en fait, à droite, c’est criminaliser toute action populaire. Pour cela, bien sûr, ils prennent par le bout qui leur semble le mieux faciliter la démonstration.

C’est pourquoi je crois aussi là parler en notre nom à tous, en disant à José Bové : "ami, il y a ici beaucoup de gens qui ne t’approuvent pas, et il y en a d’autres qui t’approuvent. Mais tu n’as pas à craindre de m’avoir appelé pour que la question soit posée au congrès du Parti : il n’y a pas un socialiste qui soit d’accord pour que tu ailles en prison parce que tu as défendu par ton action syndicale ce que tu crois juste. »

Enfin, ce qui est pire que tout dans ce contexte, c’est de voir la droite se dandiner avec le mot République. Ils rétablissent l’ordre, et ils rajoutent « Républicain ». On ne parle de République que dans le bruit des mousquetons et le vacarme des escadrons. Mais enfin ! L’ordre républicain est incompatible avec le désordre libéral ! La République est l’extension du champ de l’égalité. Si vous voulez rétablir l’ordre républicain, détruisez le désordre libéral.

S’il y a eu quelque chose de républicain pendant ces heures si dures dans ces banlieues dans lesquelles tant d’entre nous sont élus, où tant d’entre nous militent, s’il y a quelqu’un qu’il faut saluer, ce n’est pas seulement les pompiers, les policiers, les éducateurs, bien sûr qu’ils le méritent, les élus, cela va de soi, c’est le peuple lui-même qui est descendu dans ses rues et qui a refusé la guerre ethnique, la guerre raciale, la guerre religieuse à laquelle on le poussait. La ferveur républicaine du peuple français a été attestée par la façon dont, en définitive, la situation a tourné.

DE L’UNION DES GAUCHES A L’UNION POPULAIRE

Ce peuple, c’est notre point d’appui. J’en viens donc facilement à l’idée suivante : face à l’état d’urgence, plus que jamais, il est nécessaire que se construise une union des gauches. Naturellement, je parle de cette union politique entre des partis politiques. Nous en connaissons l’importance et je crois que nous la voulons tous. Elle doit être sans exclusive. Cela pour une raison : personne à gauche ne doit être émancipé d’avoir à répondre à la question de savoir ce qu’il fait des voix qu’il sollicite dans le peuple ; Les stérilise-t-il pour constater seulement l’accroissement de l’audience de telle ou telle théorie ? Ou bien pousse-t-il à ce qu’elle vienne s’adjoindre pour mener le grand combat de la gauche, pour changer la vie, c’est-à-dire pour gouverner ? Cette question, il faut la poser à tout le monde, y compris à l’extrême gauche.

L’union politique est une condition du combat social lui-même. Sans l’union, qui vient en quelque sorte tresser ensemble les fils des actions sociales, l’énergie se disperse, elle est perdue. Mais l’union aussi nous éduque, nous rééduque, nous transforme mutuellement. Mais ce n’est pas tout. L’union dont je parle doit nous permettre d’inventer quelque chose qui permette de faire venir du terrain la transformation sociale. On n’a pas assez mesuré ce que cela nous a coûté, en dépit de nos efforts, de ne pas avoir ce mouvement d’allers et retours entre l’action gouvernementale et l’action populaire. Le moment est donc venu d’imaginer cette nouvelle union populaire qui implique le peuple lui-même. Il en a montré l’extraordinaire capacité, dans son investissement intellectuel dans la compréhension et la discussion du traité constitutionnel, puis ensuite dans la manière magnifique avec laquelle il a protégé ses enfants dans les banlieues, pendant qu’il était provoqué de toutes les façons possibles par la droite. Il faut une nouvelle union populaire qui vienne du peuple, qui parle au peuple, qui éduque le peuple et qui permette au peuple d’éduquer ceux qui le gouvernent, c’est-à-dire qu’il faut gouverner autrement.

NOUVELLE DONNE POUR LA CONSTITUTION EUROPEENNE

Enfin, je viens à la dernière question, celle qui a posé le plus de problèmes entre nous. J’ai écouté tout ce qui s’est dit à ce sujet à cette tribune. Je crois pouvoir dire que sur la question de la Constitution européenne, nous avons dorénavant les moyens de dépasser ce qui nous a opposé. Pour la raison suivante : plus personne ne nie que cette question sera posée à celui ou à celle qui aura à gouverner notre pays, à le présider au lendemain de 2007. Et j’ai entendu dire à la tribune que, tous, nous serions naturellement prêts à porter la phrase qui compte. Non pas par ce qu’elle nous réconcilie entre nous-mêmes, cela est toujours possible dans une famille, mais parce qu’elle nous réconcilie avec toute la gauche. La phrase qui compte, c’est celle qui dit : « si le Président ou la Présidente de la République vient de nos rangs, alors la France ne signera pas la Constitution européenne ».

Si vous le voulez, si vous l’acceptez, alors je me dis content, et je proclame : on peut tourner la page. Naturellement, cela a d’immenses conséquences et au moins une à laquelle que demande que réfléchisse chacun de ceux et de celles qui auraient le cas échéant à porter nos destins. Si nous ne signons pas, alors il faut faire ce qui est nécessaire, dès maintenant, avec nos camarades du Parti socialiste européen, pour que le processus de ratification s’interrompe, et qu’un nouveau processus constituant soit engagé. Sur ce nouveau processus constituant, nous pouvons nous retrouver. Il parle au peuple. Tout le monde comprend. Et nous sortons tous par le haut de cette affaire. Nous avons des alliés. Déjà parmi les Verts, cette proposition a été adoptée. Je sais qu’elle fait débat parmi les communistes. Non, nous ne sommes pas isolés.

Cette fois-ci, je finis.

Camarades, avec beaucoup d’autres, je crois que les vertus républicaines et socialistes du peuple français ne peuvent s’épanouir sans qu’elles soient encouragées par nos appels et notre pratique, mais plus encore par le fait qu’elles confient à leur patrie républicaine, un horizon commun. La construction européenne, l’émergence d’une grande nation fédérale mise dans la main de chacun et à portée du bulletin de vote de chacun à égalité est cet horizon de dépassement. Il est conforme à l’universalisme républicain des Français. Il reste notre cause.

Voilà. L’histoire hésite. Je ne sais pas si j’ai trouvé les mots pour essayer d’en convaincre. Je sens qu’elle vacille. Je suis sûr d’une chose, avec de la volonté, on arrive a percer un passage. De toute façon, vous avez dans vos rangs le nombre de rebelles disponibles pour le faire.

Le Mans samedi 19 novembre


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message