Avez-vous entendu parler du sondage qui donne le Front de Gauche à égalité avec le PS ? Il est bien possible que non. Le chiffre n’a pas été jugé digne d’être mentionné comme une information significative par nombre des commentateurs éthiques et indépendants. Pourtant, c’est le même sondage qui donne le Front National à 18%. Donc vous n’avez pas pu y échapper. En effet la « percée » du FN a été amplement annoncée célébrée et agitée par les mêmes éthiques et indépendants. Ce sondage de l’institut YouGov pour Itélé et le Huffington Post a été publié le 13 juin et réalisé entre le 7 et le 12 juin. A la question "si les élections européennes avaient lieu dimanche prochain, pour quelle liste y a-t-il le plus de chances que vous votiez ?", il donne les projections suivantes : UMP 19%, FN 18%, Front de Gauche 15%, PS 15%. Chacun sait ici ce que nous pensons des sondages en général. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore je vais y revenir en fin de chapitre. Mais pour l’instant je propose de faire comme font d’habitude ceux qui traitent le résultat d’un sondage comme une donnée équivalente à un vote réel. D’ores et déjà vous pouvez retenir une première leçon. La manipulation médiatique ne connait aucune limite. A mes yeux, tous ceux qui ont présenté ce sondage comme une nouvelle preuve de la « percée » des Le Pen, qui n’existe pas, une semaine après le meurtre de Clément Méric sont des agents lepénistes. Surtout quand, de surcroit ils ont ignoré le fait essentiel qu’est la progression du Front de Gauche parvenu à égalité avec le PS. Voyons ce tour de passe-passe.
Pour justifier la soi-disant "percée" du Front National, les médias officialistes comparent ce sondage aux résultats … des élections européennes 2009 ! On compare une élection qui a eu lieu il y a six ans avec la situation politique du jour ? Admettons un instant. Pourquoi pas. Cette méthode a sa part de vérité. Comparer une élection à la précédente sur le même objet permet d’écrire l’histoire de cette élection. Mais l’analyse politique exige de partir de l’action des gens réels, ici et maintenant. Ceux qui votent d’une façon à une élection, font ils le même choix politique à l’élection suivante ? Ça c’est le concret vécu dans la réalité. Ceux qui ont voté PS aux présidentielles vont-ils voter PS aux prochaines élections ? Ou bien Front de Gauche ? Dans le cas qui nous occupe comparer le sondage à la précédente élection ne permettrait pas de parler de « percée » de la famille Le Pen ! Pas du tout ! Car les chiffres présents disent alors que depuis les élections présidentielles, le FN stagne. Piteusement. Entre le score de Le Pen à la présidentielle de l’an dernier et ce sondage, le FN progresserait de … 0,1% ! Bonjour la « percée » ! Encore oublierons-nous de dire que ce sondage anglais donne même un FN en recul par rapport au sondage français précédent à propos de ces mêmes élections européennes. Car celui réalisé du 29 au 31 mai pour Valeurs actuelles donnait le FN à 21% ! Le FN y était ainsi premier ex-æquo avec l’UMP et le PS ! Décidément il est temps pour ces sondeurs anglais de mieux comprendre les attentes des médias officialistes français. Heureusement leurs rédactions veillent à ce que la bonne compréhension soit donnée au pauvre peuple. Ainsi Canal + a su présenter les résultats dans le bon angle. La chaine, jeune et impertinente, a donné toute la journée le score de l’UMP du FN et du PS, sans un mot du tremblement de terre à gauche que contenait le score du Front de Gauche. Quelle audace, quelle modernité, quel humour ! Quant au journal qui milite contre la dissolution des groupuscules d’extrême droite, « Libération » le mal nommé, il estime que nous n’avons pas à nous plaindre parce que nous dénonçons d’habitude les sondages. Hi ! Hi ! Pouet ! Pouet ! La rirette !
N’empêche : l’événement de ce sondage YouGov c’est le score attribué au Front de Gauche : 15% des intentions de vote ! Des quatre premières forces politiques du pays, le Front de Gauche est la seule à progresser par rapport à l’élection présidentielle de l’an dernier. Ce sondage nous donne en hausse de 4 points. Pendant ce temps l’UMP reculerait de 8 points. Et le PS s’écroulerait en perdant près de 14 points ! L’autre leçon de ce sondage : il place le Front de Gauche à égalité avec le PS ! Pour ceux qui croient à la valeur objective des sondages, l’élément politique d’importance dans ce sondage ce devrait être celui-là. La question posée n’est donc pas de savoir si nous-mêmes nous croyons ou non aux sondages. La question est : pourquoi ceux qui publient et croient aux sondages n’en mentionnent-ils pas l’évènement le plus spectaculaire : pour la première fois depuis quarante ans dans une enquête d’opinion, une force de la gauche fait jeu égal avec le PS, parti au pouvoir. Et à peine à quelques points de l’UMP (quatre points) et du FN (trois points). Sans compter les marges d’erreurs ! Autre question : pourquoi le passage du FN de 7% à 18% d’une élection européenne à l’autre est considéré comme une « percée » et pourquoi le passage du Front de gauche de 7% à 15% n’est pas mentionné ? Réponse ? Le médium c’est le message. Les médias ne sont ni un miroir ni même une caisse enregistreuse. Ils sont la deuxième peau du système et leur fonction est de le protéger. Et d’abord protéger le PS qui est le parti qui fait la « sale besogne » à cette heure.
Revenons à ce que valent les sondages. Avec le chantage au danger Front National, les sondages sont l’autre assurance-vie du système politico-médiatique. Nous avons déjà édité une note et un livre sur le sujet. Nous savons que les chiffres sont manipulés dans l’opacité la plus totale. Mais il y a une exception. C’est précisément le sondage dont je parle ici. Ici le fournisseur anglais prend plus de risques que ses collègues français. En effet, il publie des données brutes sur l’échantillon de sondés en plus des données pondérées, c’est-à-dire trafiquées. Je note que les principaux instituts français ne le font jamais. Le sondage qui nous donne à 15% serait-il un peu plus sérieux que les autres ? Que reste-t-il des arguments des sondeurs français d’après lesquels les « coefficients correcteurs » et autres potions magiques seraient des « secrets professionnels ».
C’est le moment de revenir sur les méthodes de fabrication des sondages en France. Vous vous souvenez peut-être que le Sénat avait adopté à l’unanimité une proposition de loi sur le sujet. C’était le 14 février 2011. Il y a plus de deux ans et quatre mois. C’était une proposition de loi du sénateur UMP Hughes Portelli et du sénateur PS Jean-Pierre Sueur. Elle visait à "mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral". Depuis, ce texte traine sur le bureau de l’Assemblée nationale. La Commission des Lois de l’Assemblée l’a examinée le 1er juin 2011. Il y a plus de deux ans donc. Cette proposition PS-UMP n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, ni du temps de l’UMP ni depuis que le PS y a la majorité absolue. Et son examen ne fait pas partie des multiples projets de loi annoncés par le gouvernement Ayrault pour toiletter la Constitution ou garantir la "transparence de la vie publique".
Il y en aurait pourtant bien besoin. La loi sur les sondages de 1977 renforcée en 2002 n’impose pas beaucoup de contraintes aux sondeurs et aux médias qui publient leurs sondages. Mais ceux-ci trouvent quand même le moyen de les violer en toute impunité ! Pourtant le non respect de ces obligations est puni d’une amende de 75 000 euros par le code électoral. Les innombrables violations constatées ne font curieusement l’objet d’aucune poursuite. Oui cela est très curieux. Très curieux. Pourquoi la très fumeuse Commission des sondages ne fait-elle pas son travail de contrôle ? Pourquoi le responsable de cette sinécure sans objet ne doit-il pas déclarer son patrimoine alors que les ministres et les parlementaires qui ont moins de pouvoir que lui y sont astreints ? Pourquoi les crédits de cette commission et les frais de ses postes de responsables ne sont-ils pas visés par les coupes budgétaires ? Curieux, vraiment ! Car ces gens ne font vraiment rien. Exemple. La loi oblige à mentionner "le droit de toute personne à consulter la notice" détaillée du sondage. Cette notice explique comment les résultats ont été obtenus. Cette règle est quasi-systématiquement violée ! La mention ne figure qu’exceptionnellement sur les sondages. La loi oblige aussi à faire figurer dans la fameuse notice "la proportion des personnes n’ayant pas répondu à chacune des questions". Mais là encore cette information, décisive pour apprécier la validité d’un sondage et sa portée, est la plupart du temps absente des « notices », quand il y en a.
Pourquoi l’UMP ni le PS ne trouvent-ils le temps de faire voter une proposition de loi rédigée par des membres de leurs partis et approuvée par le Sénat ? Surtout que cette proposition avait fait grand bruit. Elle s’attaque frontalement aux manipulations des instituts de sondages et des médias qui les diffusent. En particulier, la proposition de loi prévoit d’obliger les sondeurs à publier leurs données brutes. Ces données brutes sont constituées des réponses spontanées des sondés. Comme on le sait, elles font ensuite l’objet de redressements et tripatouillages en tous genres pour arriver au résultat souhaité, soit par intérêt politique soit pour faire vendre du papier. C’est sûrement pour cela que la proposition de loi a été enterrée. Car les magouilles des sondeurs doivent rester secrètes. Sinon, leurs sondages ne vaudraient même plus l’encre et le papier nécessaires pour les imprimer. C’est déjà pour cela que les entreprises de sondages ne respectent pas la loi et ne font pas figurer la possibilité d’obtenir la "notice" ou ne donnent pas dans cette "notice" tous les éléments exigés par la loi. Cela les forcerait à expliquer leurs méthodes de « redressement » des résultats. Et on pourrait alors comprendre bien des bizarreries et aussi pourquoi les résultats sont si différents d’un sondage à l’autre, d’une entreprise de sondages à l’autre. Mais, bien sûr, rien de tout cela ne se fera tant que l’alternance officialiste continuera. Mentir et truquer est une nécessité du système et ses médias ont besoin qu’une partie de leur travail de décervelage soit pris en charge sous la forme de pseudo enquête aux apparences scientifiques.
Dimanche, ouf, le monde normal reprend. Trucage et enfumage comme mamelles communes du média de service. Ici c’est « le journal du dimanche ». Il s’agit d’un sondage pour le premier tour des municipales à Lyon, où l’on apprend qu’il y aurait « une liste de Gérard Colomb, du Front de Gauche et du PRG ». Premier bobard ! Il n’y aura pas de liste avec le Front de gauche au premier tour à Lyon car le Parti de Gauche, au moins, n’ira pas avec Colomb. Tout le monde le sait. Sauf peut-être le trafiquant de sondage qui pose la question sur une configuration qui n’existe pas ? Bien sûr que non ! Le truquage est volontaire. Mais il compte sur la stupidité du lecteur pour que celui-ci ne se rende compte de rien. Qu’on en juge. Le même génial sondeur passe à la question du deuxième tour. Mais cette fois ci la liste de Colomb s’appelle « liste du parti socialiste du PRG et d’EELV ». Le Front de Gauche a disparu. Que cela serve de leçon aux amateurs d’une liste commune avec Colomb : au deuxième tour ils sont expulsés au profit des arrivants EELV qui auront fait une liste séparée au premier tour. Une liste séparée, comme le Parti de Gauche souhaite qu’il y en ait une.
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