Exception culturelle : la supercherie

jeudi 27 juin 2013.
 

"Réactionnaire". Comme on le sait c’est le jugement du président de la Commission européenne José Manuel Barroso sur la défense de l’exception culturelle dans les négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique pour aboutir à un accord de libre-échange. Situons précisément son propos. Dans un entretien à l’International Hérald Tribune, Barroso dit que le refus d’intégrer la culture dans la négociation "fait partie d’un agenda antimondialisation que je considère comme complètement réactionnaire". En disant cela, il vise directement la position du gouvernement de la République française. Cela, deux jours après que le Conseil des ministres européens ait adopté le mandat de la Commission dans ces négociations. Pour Barroso, les Etats et leurs dirigeants peuvent être méprisés et insultés sans ménagement.

Barroso n’a même la reconnaissance qu’il devrait pour François Hollande. Il devrait pourtant savoir que la défense de l’exception culturelle, aussi légitime qu’elle soit, n’était qu’un os à ronger lancé par Hollande pour masquer son ralliement à l’annexion de l’Union européenne par les Etats-Unis. Hollande a en effet avalé tout le reste à commencer par le principe même d’un accord de libre-échange et son extension aux normes sanitaires ou environnementales. Il a seulement brandi la culture comme totem pour esquiver le débat sur le reste de ce projet funeste : OGM, bœuf aux hormones, poulet lavé au clore, déréglementation financière, protection juridico-financière accordées aux multinationales etc.

L’arrogance des libéraux est sans limite. Outre Barroso, Karel de Gucht, le commissaire européen au Commerce, celui qui sera chargé de la négociation avec les Etats-Unis, y est aussi allé de sa provocation contre la décision souveraine des Etats. Officiellement le conseil des ministres a décidé d’exclure les services audiovisuels du champ de négociation. Mais l’encre n’était pas encore sèche que Karel de Gucht repartait déjà à l’assaut. Voici ce qu’il a déclaré : "Je vais écouter ce que nous disent nos interlocuteurs américains et, s’ils veulent une discussion sur l’audiovisuel, nous aurons cette discussion". Vous avez bien lu, pour la Commission européenne, les désirs états-uniens sont des ordres. Vous voila prévenus.

Ce n’est pas tout. Karel de Gucht est allé plus loin. Il balance. A propos de la ministre française du commerce extérieur, il a déclaré : "Je suppose que pour elle aussi, l’exception de la culture [du champs des négociations], ce n’est pas définitif car elle a assisté aux mêmes discussions que moi".

Dès lors la question mérite d’être posée : François Hollande a-t-il enfumé tout le monde ? La culture n’est pas vraiment exclue de la négociation ? A l’heure ou nous parlons, nous devons nous contenter des paroles contradictoires entre le gouvernement français et la commission européenne. En effet, le mandat de négociations adopté par les ministres des 27 Etats membres de l’UE n’est toujours pas public. La Commission s’est contenté de publier un mémo en guise de communiqué de presse. L’usage de la langue française appartenant déjà au passé de l’Union européenne, nous devons travailler sur un document en anglais. Il est disponible sur le site internet de la Commission mais il ne constitue qu’un résumé du mandat de négociation.

Cela n’aide pas à savoir qui de Hollande ou de la Commission ment. Car l’expression utilisée dans le mémo et par le commissaire est difficilement traduisible en français. Que dit le mémo de la commission ? Il dit qu’un compromis a été trouvé sur les services audiovisuels. Puis il dit : "There is no carve-out on audiovisual services. (…) As the EU legislation in this area still has to be developed, it has been agreed that audiovisual services are presently not part of the mandate, but that the Commission has the possibility to come back to the Council with additional negotiating directives at a later stage." L’artiste La Parisienne libérée, sur son blog sur Mediapart a traduit le passage comme suit : "Il n’y a pas de carve-out sur les services audiovisuels (…) Etant donné que ce domaine de la législation européenne est en cours de développement, il a été convenu que les services audiovisuels ne seraient pas inclus dans le présent mandat, mais que la Commission aurait la possibilité de revenir vers le Conseil à un stade ultérieur avec des directives de négociation complémentaires."

Les services audiovisuels sont donc exclus des négociations « pour l’instant » et seulement parce que l’élaboration de la législation européenne n’est pas achevée. Le point essentiel c’est que l’exclusion n’est pas définitive comme le demandait la SACEM au départ. La supercherie est révélée par la Commission elle-même. Elle a communiqué l’extrait du mandat sur ce point précis : “The Commission, according to the Treaties, may make recommendations to the Council on possible additional negotiating directives on any issue, with the same procedures for adoption, including voting rules, as for this mandate”.En français cela donne approximativement "En accord avec les Traités, la Commission peut faire des recommandations au Conseil sur la possibilité de directives additionnelles de négociations sur tous les sujets, avec les mêmes procédures d’adoption, y compris les règles de votes, que pour l’adoption de ce mandat". Hollande a donc menti. Les services audiovisuels ne sont donc pas définitivement exclus. La Commission peut à tout moment demander leur réintroduction dans le champ de la négociation. Par contre, dans ce cas, la décision sera prise à l’unanimité.

Plus important, la phrase "there is no carve out on audiovisual services" pose question. Là encore, je renvoie mes lecteurs à ce qu’en écrit La Parisienne libérée : "Si mes dictionnaires ne m’ont pas trompée, la notion de « carve-out » en anglais renvoie au domaine de la scupture. "To carve-out" c’est faire une entaille, creuser, graver. Ainsi, il semblerait que les négociateurs n’aient pas réellement fait d’entaille dans le projet de grand marché transatlantique pour en exclure les services audiovisuels, contrairement à ce que réclamait la France et à ce qu’elle annonce avoir obtenu. (…) En réalité, si la commission avait pris la peine de traduire son compte-rendu en français, on ne serait probablement pas loin de : « les services audiovisuels ne sont pas exclus de la négociation »." Elle révèle en effet que lors de la conférence de presse du commissaire de Gucht après la réunion des ministres du Commerce, l’interprète a traduit l’expression "it’s not a carve-out" par "il ne s’agit pas une exclusion".

Le memo de la commission doit être traduit en Français. Et j’exige que le mandat de négociation soit rendu public dans la langue officielle de la République française. Ainsi chacun pourra juger sur pièces. Je précise que quelque soit la rédaction exacte sur les services audiovisuels je resterai absolument opposé au principe même de ces négociations qui fait de l’Europe et de la France de vulgaires filiales des firmes multinationales états-uniennes. Et qui consacre le libre-échange comme mode d’organisation des échanges commerciaux alors que je plaide pour la coopération et un protectionnisme solidaire.


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