L’Allemagne n’est pas exemplaire

dimanche 30 juin 2013.
 

Dans 100 jours, les Allemands voteront un nouveau parlement. Que craignez-vous ou espérez-vous de cette élection ?

J’espère que cette élection permettra un changement de cap dans la conduite de la politique allemande en Europe, car le gouvernement de droite actuel impose à tout le reste de l’Europe une ligne économique qui débouche sur la récession généralisée. Au bout du compte les Allemands seront autant victime que tous les autres dans la mesure ou l’Allemagne fait la majorité de son commerce avec ses voisins. Et si nous rentrions tous en récession il va de soi que l’Allemagne, qui est d’ores et déjà à la limite de la récession, y plongera a son tour. Je suis très inquiet de la situation en Europe et j’attribue une très grande responsabilité à l’actuel gouvernement allemand. Donc, évidemment mon choix irait vers un changement de politique en Allemagne, mais je ne suis pas citoyen allemand.

Les décisions en Europe ont été prises par tous les partenaires réunis. Avec plus au moins de soutien français. Pourquoi vous dites que cette politique est « imposée » par l’Allemagne ?

Je pense que l’équipe de droite au pouvoir en Allemagne a réussi à conquérir un leadership sur les autres gouvernements de droite en Europe. C’est de cette façon que le président Sarkozy a été complètement fasciné par le personnage de Madame Merkel. Il a fini à sa remorque. Il n’avait pas de capacité de résistance dans la mesure ou il était politiquement d’accord avec elle. C’est normal, ils sont de la même famille politique en Europe. Ils étaient d’accord sur l’essentiel. C’est elle qui a pris le dessus, le leadership. C’est un phénomène humain, ça. Ensuite, quand le président Hollande est arrivé, vous avez raison de dire, il a aussi signé tout ce qu’on lui a donné a signer. Il a fait le fanfaron en France – il prétend avoir renégocié le traité, et avoir obtenu un plan de croissance.Récemment encore il a dit qu’il a réussi à imposer un gouvernement économique et que grâce à lui il y aurait en Europe une politique pour la jeunesse. Mais les gens informés savent que tout ça n’est pas vrai, et que Madame Merkel elle même avait déjà décidé tout ça.

Ce que François Hollande appelle le « gouvernement économique » correspond à ce que Mme Merkel avait déjà mis sur la table. Et même sur l’emploi des jeunes, c’est elle qui a commencé des discussions bilatérales avec les responsables de l’Europe du sud. François Hollande n’a rien ajouté à tout ça et le fameux plan de croissance n’existe pas. Tout le monde le sait en France. Au parlement européen M. Joseph Daul, qui est un Français mais préside le PPE, a interpellé de manière assez ironique le président Hollande en lui demandant où il se trouvait, son fameux plan de croissance. Je crois que M. Hollande ne comprend pas non plus du tout comment fonctionne Madame Merkel. Il n’est pas habitué à une discussion franche, carrée, directe. Et je pense que Madame Merkel est une femme qui apprécie ce genre de contact et non pas les manières sinueuses et tortueuses que les dirigeants français lui opposent. Donc, je pense qu’elle doit beaucoup s’amuser de voir défiler ces Français qui font beaucoup de bruit avec leur bouche mais qui ne posent aucun acte concret sur la table tandis que elle-même est très concrète.

Dans votre interview sur France Inter, vous avez dit que « l’Allemagne est un modèle pour ceux qui ne s’intéressent pas à la vie » Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Est-ce parce que nous travaillons trop et ne faisons pas assez d’enfants ?

(Il rit) Comme vous savez, j’aime les expressions qui sont un peu choquantes, qui créent du débat, n’est-ce pas ? Pour moi c’est une méthode politique dans des sociétés qui sont habituées à ronronner. En France on ne cesse de nous dire que l’Allemagne serait un modèle. Moi, je ne considère pas que la manière dont est gouvernée l’Allemagne soit un modèle. D’ailleurs nombre de mes amis allemands disent la même chose. En tout cas Oskar Lafontaine ne m’a jamais recommandé d’appliquer le modèle allemand. Il l’a plutôt critiqué lui même. Ce que je voulais dire, c’est d’abord qu’il n’est pas vrai que la situation allemande soit florissante . Un certain nombre des indicateurs qui ont une grande importance à mes yeux sont très défavorables : L’espérance de vie en bonne santé qui recule en Allemagne, l’espérance de vie qui recule en Allemagne de l’est. Ensuite que la natalité soit extraordinairement faible, je trouve que ce n’est pas un signe de grande confiance en l’avenir.

Quand on n’a pas envie de faire des enfants ou qu’on ne se trouve pas en mesure de les faire, ce sont des signaux que j’appelle civilisationnels et qui sont au rouge. Quant à la situation sociale, le plan Hart IV et les ravages sociaux de la politique de M. Schröder sont bien connus, c’est pourquoi je considère que ce n’est pas un modèle. Ce n’est pas un pays ou un peuple si nombreux que le sont les allemands, qui a aussi une contribution importante à la vie intellectuelle de la vielle Europe, qui peut être réduit à quelques indicateurs économiques, disons positifs, qui en réalité n’intéressent que quelques agents de bourse et quelques agences de notations. Oui, ceux qui s’intéressent seulement à des statistiques boursières sont ceux qui ne s’intéressent pas à la vie. Et ceux qui s’intéressent à la vie n’ont aucune raison de se satisfaire de ce qui se passe en Allemagne. Pas plus d’ailleurs de ce qui se passe dans d’autres pays en Europe. Le libéralisme n’est pas une particularité allemande.

Ce que je voulais surtout provoquer, c’est une interpellation, une réflexion devant cette espèce de foi quasi magique :il y aurait en Allemagne un modèle à imiter qui ferait le bonheur de tout le monde. Je crois que c’est le contraire. De plus la perception du gouvernement allemand est très négative en Europe du sud – parce qu’il est interprété comme une brutalité indifférente à la vie des gens. Il n’y a que voir dans quel état est la Grèce, et je ne crois pas que ça soit la faute des Grecs. Je crois que c’est la faute d’une politique de droite allemande aberrante.

Ne croyez vous pas que cela soit aussi d’une partie du à un certain populisme qui cherche à blâmer la politique allemande pour tout ce qui se passent économiquement en Europe ? Il y avait quand même quelques problèmes qui étaient là avant que l’Allemagne ait imposé sa politique.

Populisme n’est pas un mot adéquat. Je pense qu’il y a un populisme libéral qui consiste à toujours trouver très beau ce qu’il y a chez les autres et très laid ce qu’il y a chez nous. Surtout en France, nous avons une tradition très puissante du déclinisme, c’est à dire des gens qui consacrent des très longs articles et des émissions à dire du mal du pays. Si nous les croyons, l’Allemagne est un pur paradis et nous devrions l’ imiter. Ça, je considère que c’est est une forme de populisme qui consiste à flatter l’instinct de défaite, de déroute, au profit d’un rêve qui n’existe pas. A moins que vous me disiez que vous vivez dans un paradis, j’aimerais bien de le voir de mes propres yeux.

Je n’irais pas si loin. Je vous assure qu’on s’intéresse quand même à la vie, mais ce n’est pas encore le paradis. On y travaille.

Vous avez des enfants, vous trouvez peut-être mes propos injustes.

Non, pas encore. Je fais partie du problème.

Ah. Alors, soyez plus entreprenant !

Imaginons que vous soyez nommé ministre des finances par le prochain ministre allemand. Que feriez vous ?

Une politique immédiate de relance de l’activité en Europe. Je pense que l’Europe a la force, les 27 pays de l’union et en particulier les 17 pays membres de l’euro constituent la première puissance économique du monde. L’Europe fait 25 % du PIB du monde. Donc il n’est pas vrai que nous ne soyons pas capable d’absorber une quantité aussi ridiculement basse de dette que celle que représente la dette publique de tout les pays de l’Europe. La dette publique est tout à fait résiduelle, puisque l’Europe produit chaque année 14000 milliards d’Euro. Ce que nous devons au total aurait été épongé d’une manière tout à fait rapide et efficace si on avait par exemple monétarisé la dette grecque. Et ce que je vous suis en train de dire ce n’est pas du tout un discours d’extrême gauche, C’est ce que font les EU avec leur dette publique qui est autrement plus considérable que celle de l’Europe. Chaque année il rachètent eux même leur dette, ils ont un peu d’inflation, mais ils la compense par une vigoureuse activité économique.

La question qui se pose est : comment des gens si intelligent que les Allemands, aussi travailleurs qu’eux, peuvent être d’accord avec une politique si stupide. Celle qui consiste à contacter l’activité dans tout le continent. Il y a une raison objective à ça : C’est que Mme Merkel et la CDU/CSU sont le parti politique d’une petite catégorie de la population, essentiellement celle qui dépendent de retraites de capitalisation, qui ont donc besoin qu’il ait de gras dividendes à distribuer aux actionnaires pour payer leur retraite et un euro fort de manière à garantir la stabilité de leurs retraites et leur pouvoir d’achat. Donc, c’est une politique qui est faite pour une petite minorité en Allemagne et sans doute ailleurs en Europe aussi, mais la majeure partie de l’Europe n’a absolument rien à voir avec la démographie déclinante de l’Allemagne ou la spécialisation industrielle qui est autant la force que la faiblesse de l’économie allemande.

Comment expliquez vous alors la popularité relative d’Angela Merkel en Allemagne. Il semble que les travailleurs allemands au moins aient une certaine difficulté de suivre les idées de la Gauche dans les autres pays européens ?

Vous avez raison de le dire ! D’autant que les partis sociaux-démocrates ont une politique qui ne se distingue pas vraiment de la politique de Madame Merkel. Madame Merkel ne fait que de continuer et amplifier la politique de Monsieur Schröder. Et M. Hollande en France fait une politique dont il dit que c’est la politique de Schröder, mais en réalité il n’y aucune différence à la politique qui préconise Mme. Merkel. C’est une politique de l’offre. Comme les politiques sont identiques, figurez vous, que ce n’est pas tellement simple de prendre conscience qu’une autre politique est possible. On dit au gens, « c’est comme ça et pas autrement ». À chaque peuple on fait peur avec le voisin. Aux Allemands on dit, si vous ne faites pas ce qu’on vous dit de faire, vous finirez comme les Grecs. Et aux Français on dit ça aussi. Beaucoup des gens sont convaincus par cette propagande là. Mais je vais vous dire une autre chose. L’enjeu de la politique, c’est des idées. Ce n’est pas d’aujourd’hui que des travailleurs votent à droite. La difficulté pour nous, les gens de gauche, c’est de les convaincre qu’un autre monde est possible.

Comment expliquez-vous que la Grèce martyrisée continue à voter pour la droite ou le PS qui les condamnent à des supplices sans fin.

C’est encore plus spectaculaire que la situation des Allemands, parce que après tout, on peut dire, « bon, les Allemands, ils ont du travail, ils gagnent de l’argent » – c’est ce qu’on nous dit : que vous allez tous très bien – alors on peut peut-être comprendre. Mais les Grecs ? Pourquoi continuent-ils à voter pour ceux qui les martyrisent ? Ça, c’est le paradoxe des sociétés qui s’enfoncent dans les crises.

Propos recueillis par Sascha Lehnartz


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