PS : Qui sème le désespoir récolte le désastre... (par Christian Picquet)

dimanche 14 juillet 2013.
 

La semaine écoulée aura été aussi instructive qu’angoissante. Ouverte par l’effet de souffle de la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot, elle se sera achevée sur la transmission au Parlement du projet gouvernemental de loi de finances qui prévoit quatorze milliards de coupes budgétaires pour 2014, puis sur la procédure référendaire organisée pour savoir - question des plus palpitantes… - si les militants de l’UMP devraient ou non revoter pour désigner leur président à la suite des controverses déclenchées par « l’élection » de Jean-François Copé… Comme si le scrutin dans cette circonscription, hier représentée à l’Assemblée nationale par Monsieur Cahuzac, n’avait été qu’un épiphénomène n’appelant pas le moindre examen de conscience de la part de ceux qui nous gouvernent ou qui dominent notre vie publique… Comme si la défaite in extremis consentie par le candidat lepéniste permettait à chacun de revenir à sa feuille de route originelle, sans plus se poser de questions sur ses responsabilités dans la désagrégation sociale, idéologique et morale que connaît le pays… Comme si le fait que l’extrême droite soit la seule à tirer aujourd’hui les bénéfices du marasme que connaît la France ne représentait pas une évolution de la situation française sans précédent depuis des décennies…

Retour, donc, sur les résultats de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Du premier au second tour, le Front national y aura gagné plus de 7 000 voix, alors que sur le papier il ne disposait pas de « réserves », aucun autre candidat n’ayant appelé à voter en sa faveur. Selon les premières études effectuées sur ce scrutin, c’est sa capacité à mobiliser les abstentionnistes qui expliquerait principalement cette performance, autour de 20% seulement des électeurs socialistes s’étant porté sur son représentant le 23 juin (les autres, la majorité, votant blanc et nul lorsqu’ils refusèrent de se reporter sur l’UMP Costes). Dès lors, qu’il n’ait réuni « que » 46% des suffrages exprimés est en soi un événement majeur. À l’inverse, que le tenant de la droite traditionnelle ait seulement progressé de 8 500 voix, bien qu’il fût un notable identifié et implanté localement, apparaît comme une contre-performance. Pour le dire autrement, si le candidat de l’UMP l’aura mathématiquement emporté, c’est du côté de son concurrent que se sera manifestée la dynamique politique.

Que nul ne se hasarde à atténuer la portée de l’événement ! Ce n’est pas principalement le fait qu’il se soit agi d’une consultation partielle, traditionnellement marquée par une forte abstention, qui peut expliquer un pareil événement. Ce ne sont même pas les comportements cyniques du triste Cahuzac, ses liens avec l’univers opaque de la finance, son mépris arrogant des citoyens ou ses relations des plus troubles avec des personnalités d’extrême droite qui peuvent permettre de comprendre une semblable accélération. Ce sont les choix des deux appareils s’employant depuis des lustres à bipolariser l’échiquier partisan qui se révèlent en cause.

LES FAUTEURS DE DÉSASTRE

Lorsque le président de la République et son gouvernement bafouent au quotidien les attentes de celles et ceux auxquels ils doivent leur retour aux affaires, lorsqu’ils déploient une action tout entière tournée vers la satisfaction des exigences des milieux d’affaires et de l’Europe libérale, lorsqu’ils s’obstinent à ignorer l’état du pays en taillant sans ménagement dans la dépense publique au prix d’une récession aussi terrible que le recul social qui l’accompagne, ils génèrent cette confusion et cette désorientation qui conduisent à la désertion des isoloirs de la part de l’électorat populaire et, pire, à l’égarement de la protestation dans un vote bénéficiant à un parti se voulant « antisystème » bien qu’il défende le plus impitoyable des programmes de guerre au monde du travail et à ses conquêtes essentielles. Lorsque, dans le même temps, l’état-major du parti conservateur s’évertue à siphonner les thématiques les plus repérables de l’extrême droite, lorsqu’il encourage les pires réflexes de haine et de stigmatisation dans la société française, lorsqu’il affiche sans vergogne des proximités avec les porteurs d’une idéologie héritière du fascisme, croyant ce faisant conforter sa stratégie de reconquête, il contribue à transformer le lepénisme en force de pouvoir.

Et voilà comment, sur cette toile de fond, dans un contexte où le camp du travail a pour le moment perdu l’initiative, parce que les classes possédantes n’imaginent d’autre issue à la crise que la destruction de tout ce qu’elles ont dû concéder depuis une soixantaine d’années, nous nous rapprochons chaque jour un peu plus de l’épreuve de vérité. En réponse à l’imbrication des crises qui assaillent l’Hexagone et à laquelle aucune issue de gauche suffisamment crédible n’est encore proposée, l’espace s’ouvre dangereusement pour une solution de droite autoritaire. Une solution sur laquelle, si rien ne vient gripper l’engrenage, l’extrême droite peut influer profondément, dont elle peut être à un titre ou à un autre partie prenante, à moins que l’enchaînement de ses succès ne lui offre les moyens d’en devenir la colonne vertébrale. Inédit, en France, depuis la guerre d’Algérie…

LE SURSAUT CONTRE L’AVEUGLEMENT ET LA TÉTANIE

Je n’ai pas un goût particulier pour les prophéties apocalyptiques. Je suis absolument convaincu que la partie n’est qu’à peine engagée, et même que les forces existent pour une puissante contre-offensive de notre camp. Sauf que, pour l’heure, c’est l’aveuglement, l’illusion et la tétanie qui dominent une large partie de la gauche. Aveuglement, quand le président de la République fait comme si l’antidote au cancer qui ronge notre société se trouvait, pour les futurs rendez-vous électoraux, dans l’unité de l’ensemble de la gauche derrière sa politique pourtant catastrophique, ce qui n’est qu’une manière de proposer à ceux qui accepteraient de… se suicider avec lui. Illusion, quand le premier secrétaire du Parti socialiste ne trouve d’autre ligne de défense que l’appel à un « front républicain » dont la droite ne veut plus, un nombre croissant de ses élus ou candidats trouvant dorénavant plus de vertus aux adversaires les plus déterminés des principes de la République qu’à une gauche qu’elle abhorre dans toutes ses réalités, y compris celle qui met en œuvre au sommet de l’État une ligne s’apparentant à une négation de toute perspective de changement social et politique. Tétanie, quand un député socialiste, s’inspirant manifestement du titre d’un célèbre roman de Victor Serge (S’il est minuit dans le siècle, où il dépeignait la terrible réalité d’une Europe en proie aux phénomènes totalitaires nazis et staliniens), reconnaît qu’il est « minuit-moins-le-quart », sans pour autant avancer la moindre idée qui permettrait de faire tourner à l’envers les aiguilles de l’horloge.

Comment ce climat ne ferait-il pas penser aux propos de Georges Altman, premier préfacier de L’Étrange Défaite, l’incomparable ouvrage de l’historien Marc Bloch, qui décrivait « une France frappée par la foudre du désastre » en 1940, « quand tout croulait dans la plus affreuse confusion des hommes et des choses » ? Comment cela ne conforterait-il pas notre Front de gauche dans la conviction qu’il y a la plus extrême urgence à organiser le sursaut de toutes les énergies disponibles si l’on ne veut pas assister impuissant à une nouvelle débâcle, surgissant d’un tout autre contexte historique et dans une tout autre configuration, mais qu’une fois encore les nôtres, le plus grand nombre de nos concitoyens, paieraient au prix fort ?

Je l’écrivais la semaine passée : les assises du 16 juin pour « changer de cap en France et en Europe » ont ouvert un autre chemin possible, elles ont fait briller un signal d’espoir. Tout dépend à présent de l’aptitude et de la volonté des forces et personnalités qui s’y impliquèrent d’agir ensemble autour des grandes mesures d’urgence qu’appelle la gravité des enjeux. Tout dépend de la dynamique qu’elles pourront enclencher afin que la gauche se rassemble sur une tout autre visée que celle qui mène à des échecs cinglants en série, et qu’elle parvienne à imposer une autre majorité et un autre gouvernement à même de rompre avec l’austérité.

Ce week-end, le conseil national de Gauche unitaire, après avoir constaté qu’il incombait au Front de gauche de « proposer à l’ensemble des courants qui participèrent à la rencontre du 16 juin et qui se montreront prêts à lui donner une suite de coorganiser les initiatives qui doivent prolonger les assises dans tout le pays », concluait sa déclaration politique sur ces mots : « Rien n’est joué, le pire n’a rien d’inéluctable, l’initiative peut revenir dans le camp des travailleurs. Mais il n’y a plus un instant à perdre ! » Conclusion : toutes et tous dans l’action…


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