Awra Amba : Marinaleda en Éthiopie ?

lundi 15 juillet 2013.
 

En plein pays Amhara, la communauté d’Awra Amba détonne dans le paysage local. Fondée en 1974 par un visionnaire qui refusait l’inégalité des sexes, la maltraitance des enfants et l’obligation d’une religion, cette communauté est aujourd’hui composée de 400 personnes. Bien que cette expérience s’inscrive dans la tradition du socialisme utopique, l’organisation de ses institutions n’est pas sans rappeler le village de Marinaleda en Andalousie.

C’est l’histoire d’un enfant éthiopien, Zumra Nuru, révolté dès son plus jeune âge par les injustices de la société dans laquelle il vivait. Il voyait sa mère se faire battre alors qu’elle réalisait la totalité des tâches ménagères après avoir travaillé toute la journée dans les champs comme son mari. Il ne pouvait aller à l’école et on l’envoyait travailler dans une ferme pour rapporter un revenu. On lui expliquait que chrétiens et musulmans étaient différents mais il ne comprenait pas en quoi. Il rêvait d’un monde différent, d’un monde où hommes et femmes seraient égaux, où les enfants pourraient jouer et apprendre, où les individus ne seraient plus catalogués en fonction de leur race ou de leur religion.

Un peu plus tard, il recherchera des gens qui partageaient ses idées et en 1972, il réunit une vingtaine de personnes qui fondent la communauté de paysans d’Awra Amba sur une cinquantaine d’hectares. Mais les voisins sont scandalisés par l’égalité entre les sexes, les droits des enfants et leur absence de religion. S’ensuit une période troublée pour la communauté, mêlant prison pour son leader et exil à plusieurs centaines de kilomètres pendant plusieurs années. La communauté redémarre finalement en 1993 sur son site actuel mais avec une surface plus réduite (17 hectares).

Aujourd’hui, cette communauté regroupe plus de 400 personnes. Awra Amba est un village uni par une culture et des idéaux, qui les distinguent de la société amhara et des villages environnants. C’est d’abord une communauté qui partage des valeurs : honnêteté, égalité, notamment de sexe, solidarité des êtres humains, travail et absence de religion ou rationalisme.

A l’inverse de ce qui se passe généralement dans la société amhara traditionnelle, le mariage est l’affaire des futurs époux, leurs parents n’ayant aucun rôle. Il n’y a pas de mariage précoce à Awra Amba – les jeunes femmes se marient généralement entre 19 et 22 ans, et les jeunes hommes entre 20 et 25 ans – alors que dans la population rurale régionale, 5 % des garçons et 8 % des filles de 10 à 14 ans sont déjà mariés. Les couples ont en moyenne un enfant de moins que chez leurs voisins de la région. Le divorce se fait sans formalité par consentement mutuel, les biens des époux étant partagés à égalité.

La solidarité et le respect mutuel entre membres d’Awra Amba sont notamment mis en œuvre vis-à-vis des enfants. Ils ont trois devoirs bien distincts : aller à l’école, jouer, et aider au travail de la communauté. Leur participation aux tâches ménagères et surtout agricoles est cependant très faible, mais tous vont à l’école le plus longtemps possible selon leurs capacités et sont encouragés à l’étude en dehors de l’école. La solidarité passe aussi par un système de prise en charge des femmes proches de l’accouchement, des malades et des personnes âgées.

L’éducation est tout autant orientée vers la promotion du groupe que vers la promotion de l’individu. Awra Amba a mis en place un système d’auto éducation ou d’éducation mutuelle complémentaire à l’école publique. L’éducation est assurée par des élèves âgés et des adultes du village, avec notamment une école maternelle et une bibliothèque bien fournie en ouvrages techniques.

En termes d’institutions, Awra Amba s’est dotée d’une coopérative qui prend en charge l’essentiel de l’activité économique et sociale de la communauté. L’assemblée générale des coopérateurs élit les membres de 13 comités qui se chargent d’administrer des domaines aussi divers que la santé, la propreté, les anciens, l’aide sociale, l’assignation des tâches, la médiation des conflits, la sécurité ou encore la réception des personnes extérieures… Cependant, les décisions les plus importantes pour la coopérative restent décidées en assemblée générale. Les femmes comptent pour 44 % des membres des comités, lesquels sont révocables à tout moment. C’est la coopérative qui gère le travail agricole, la meunerie, la filature et le tissage ainsi que quelques commerces à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté.

Il est assez frappant de voir que c’est une organisation qui ressemble assez à celle de Marinaleda en Andalousie avec la coopérative El Humoso qui organise les tâches agricoles et la transformation des produits. Comme à Marinaleda, l’économie d’Awra Amba cherche à aller au-delà de la seule agriculture. En effet, les surfaces disponibles sont inférieures à 0,4 hectares par foyer, alors que la moyenne pour la région se situe autour de deux hectares. Comme les rendements ne sont supérieurs que d’un quart à ce qui se fait aux alentours, Awra Amba s’est diversifié vers le tissage, la meunerie et le commerce. Ces activités sont menées pour l’essentiel au sein de la coopérative, sauf le tissage dont une part importante se fait au domicile de chacun et appartient au domaine privé. De même, la construction de logements à Awra Amba est réalisée de façon collective afin de permettre à de jeunes ménages de s’installer.

Cette similitude avec Marinaleda est surprenante dans la mesure où ces deux expériences ont des origines très différentes. Awra Amba relève du champ du socialisme utopique dans la mesure où cette communauté s’est formée volontairement sur la base d’idéaux communs. L’histoire de Marinaleda s’inscrit au contraire dans la lutte d’une population pour obtenir des terres et la construction de la « communauté » découle du succès de cette lutte.

La présente étude est une synthèse de la littérature disponible sur Awra Amba, c’est-à-dire essentiellement de quatre études d’étudiants éthiopiens en master et secondairement de reportages et témoignages éthiopiens et étrangers, dont un voyage sur place de l’auteur. L’étude se veut la plus rigoureuse possible, en présentant les sources utilisées avec un regard méthodologique critique puis les nombreuses données recueillies qui permettent de tracer une peinture assez précise de cette expérience originale, que nous tentons de comparer assez systématiquement à la société rurale amhara environnante.

Par Robert Joumard, publié le 12 juin 2013


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