Affaire Snowden Morales : Les Solfériniens se sentent « occidentaux », c’est-à-dire d’instinct liés aux Nord américains

jeudi 18 juillet 2013.
 

J’ai su comme tout le monde qu’il y avait un sommet à Cochabamba en Bolivie qui a réuni les chefs d’Etat de l’Amérique du sud. Il s’agissait pour eux de marquer le caractère collectif de l’offense faite à l’un d’entre eux, Evo Moralès. C’était la réplique à l’odieuse affaire de l’interdiction de survol qui a maintenu à l’arrêt en Autriche, douze heures durant, l’avion du président de la Bolivie. Que la France ait pu refuser le survol de son territoire au motif que Snowden ait pu se trouver à bord de l’avion présidentiel est incroyable ! Comment nos officiels ont-ils pu ensuite prétendre ignorer que Snowden ne s’y trouvait pas ? Cela aggrave leur cas. Car quand bien même y aurait-il été pourquoi s’opposer à sa sortie vers un pays d’asile ? Et comment croire que les Etats-Unis, qui ont ordonné la mesure d’interdiction à leur caniches européens puissent ignorer qui est ou n’est pas dans un tel avion !

J’en déduis que la mesure a été ordonnée pour tester la docilité des européens, d’une part, et pour humilier le gouvernement bolivien, d’autre part. Le message a été reçu sur place et dans toute l’Amérique du sud. Je n’avais pas pris la mesure de l’impact populaire de cette humiliation d’état. Je la découvre ici parmi les gens du commun. Ils sont outrés et très agressifs sur le sujet. Je suis persuadé que parmi les très intelligents qui ont pris cette décision, aucun n’a peut-être idée de ce qu’est ce sentiment d’humiliation aussi bien aux sommets de ces sociétés sud-américaines qu’à la base.

L’impact est d’autant plus violent qu’Evo Moralès est un indien assumé et vécu comme tel par les populations autochtones. D’où le non-dit du ressentiment. Compte tenu du racisme ambiant des dominants de la zone à l’égard des populations indigènes, ce qui s’est passé en Europe en parait la continuité. Bien sûr, les gens d’ici ne savent pas que pour les dirigeants en Europe, le mépris pour les « latinos » englobe toute la population, quelle que soit son ethnie. J’en ai senti tant de fois l’odeur incommodante dans la caste des puissants, notamment parmi les solfériniens. Parmi eux c’est une attitude de longue date, ancrée dans leur volonté d’apparaitre à tout prix comme éloigné de tout exotisme révolutionnaire et de quelque mise à distance que ce soit des nord-américains.

De toute façon les dirigeants européens qui ont intercepté l’avion de Morales ne peuvent pas comprendre ce que veut dire le sentiment de dignité et de fierté d’une nation indépendante. Ils vivent dans un autre monde mental. Ils se sentent « occidentaux », c’est-à-dire d’instinct lié aux nord américains. Ils parlent et rêvent politiquement en anglais. Un grand nombre d’entre eux se sont sentis, à un moment ou un autre de leur vie, assez proches idéologiquement des Etats Unis pour passer par un stage à la « French American Foundation » dont le but officiel consiste à “renforcer les liens entre la France et les Etats-Unis”.

La liste des personnes aux « liens renforcés » est accessible et elle permet de mesurer un aspect de l’influence des nord américains sur les élites dirigeantes de notre pays. On y note la présence de l’actuel Président de la République, François Hollande, de son ministre de l’économie Pierre Moscovici, ainsi que plusieurs ministres et d’autres éminences solfériniennes comme, par exemple, le président du groupe à l’assemblée nationale, Bruno Le Roux. C’est même la première fois sous la cinquième République qu’il y en a autant dans un gouvernement. Leur affection pour cette agence ne peut être tenue pour un détail de leur identité politique. De même qu’on ne peut tenir pour rien que des journalistes parmi les plus en vue en aient également été commensaux, comme Laurent Joffrin, par exemple. J’ai mieux compris en découvrant cette liste pourquoi tant d’entre eux me soupçonnaient d’avoir des liens particuliers avec les Chinois ou les Vénézuéliens (sur un plateau de télé on me parla même de « vos amis Chinois »). L’insinuation me paraissait d’autant plus odieuse que je ne comprenais pas pourquoi elle m’était faite. En réalité ces gens pensent que tout le monde subi le même genre de moyen d’influence qu’eux.

Ce rebondissement collatéral en Amérique du sud de la terrible affaire Snowden n’est pas le moindre ! Mais, nous aussi, en Europe nous sommes nombreux qui nous sentons humiliés de voir ainsi nos pays à la botte des nord-Américains. Et nous sommes écœurés de voir comment d’aucuns tentent d’effacer au plus vite jusqu’au souvenir de l’épisode. Cela révèle une telle mentalité de pays dépendant et dominé ! Je ne m’étais pas trompé en vous annonçant que la ligne de défense des nord-Américains serait de banaliser leur espionnage de masse ! Notons encore cette partie de la presse qui s’est déshonorée, une fois de plus, en faisant un rideau de fumée de première grandeur. Leur thème : « ce n’est pas si grave tout le monde en fait autant ». Ils ne nous ont pas habitués à cette mansuétude à l’égard des Chinois, par exemple. « Le Monde », comme d’habitude lorsqu’il s’agit de service à rendre aux USA, a fait du zèle. Sensationnaliste en diable, la « une » du journal n’hésita pas à mettre en cause les services français pour banaliser l’espionnage des nord-Américains ! Avec photo du bâtiment et tout ce qu’il faut pour faire croire à une « révélation ». Le journal, ami de la grande puissance et qui compte tant de « liens renforcés » avec elle, n’hésite pas non plus à dire que les services français ont une activité « illégale » ! A quoi le journal collaborateur des nobles causes oppose ce fait que les Etats-Unis espionneraient « légalement ». On croit rêver ! Mais quel cauchemar.

N’empêche, le refus de laisser Evo Morales survoler le territoire français est au-delà de tous les larbinages déjà observés. Je dois dire que j’ai eu honte. Très honte. Voir François Hollande se coucher devant les nord-Américains comme il l’a fait m’a d’abord estomaqué. Le comble a été atteint par Manuel Valls déclarant avec cet air plein de la componction affectée des capitulards de tous les âges : « laissons les USA régler ce problème ». Ben voyons ! Pour lui donner un exemple qui lui soit familier je lui demanderai : aurait-il dit à propos de Léon Trotsky qui errait lui aussi sur une planète sans visa « laissons Staline régler ce problème » ? On sait bien comment il le « régla » en effet ! Et c’est sous une forme « légale » comme dirait « Le Monde » que les USA ont l’intention de régler le problème eux aussi, comme ils l’ont fait avec le partenaire nord-Américain d’Assange. Des mois de tortures et de mise au secret avant une condamnation à en subir autant « légalement » jusqu’à la fin de ses jours ! Comment Valls ose-t-il parler de cette façon alors même qu’il sait parfaitement à quoi s’en tenir ! Quelle veulerie ! En fait, ça m’a mis les larmes aux yeux, autant que vous le sachiez. Je ressens comme une humiliation personnelle celle qui est infligée à notre pays par ce type de comportement ! Je suis certain que beaucoup de gens ont dû ressentir le même sentiment que moi. Nous ne sommes pas tous des zombies de la guerre froide.

Robespierre, 29 juillet 1792

« La source de tous nos maux, c’est l’indépendance absolue où les représentants se sont mis eux-mêmes à l’égard de la nation sans l’avoir consultée. Ils ont reconnu la souveraineté de la nation, et ils l’ont anéantie. Ils n’étaient, de leur aveu même, que les mandataires du peuple, et ils se sont faits souverains, c’est-à-dire despotes, car le despotisme n’est autre chose que l’usurpation du pouvoir souverain.

Quels que soient les noms des fonctionnaires publics et les formes extérieures du gouvernement, dans tout État où le peuple souverain ne conserve aucun moyen de réprimer l’abus que ses délégués font de sa puissance et d’arrêter leurs attentats contre la constitution de l’État, la nation est esclave, puisqu’elle est abandonnée absolument à la merci de ceux qui exercent l’autorité.

Et comme il est dans la nature des choses que les hommes préfèrent leur intérêt personnel à l’intérêt public lorsqu’ils peuvent le faire impunément, il s’ensuit que le peuple est opprimé toutes les fois que ses mandataires sont absolument indépendants de lui.

Si la nation n’a point encore recueilli les fruits de la révolution, si des intrigants ont remplacé d’autres intrigants, si une tyrannie légale semble avoir succédé à l’ancien despotisme, n’en cherchez point ailleurs la cause que dans le privilège que se sont arrogés les mandataires du peuple de se jouer impunément des droits de ceux qu’ils ont caressés bassement pendant les élections. »


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