Le projet écosocialiste, pour une médecine globale

samedi 27 juillet 2013.
 

L’état de santé des êtres vivants dépend de la qualité de l’environnement dans lequel ils évoluent, pour l’espèce humaine, il doit être compris au sens large, dans sa dimension physico-chimique et sociale. Cette simple constatation modifie radicalement l’approche «  conventionnelle  » de la santé et donc de la médecine. Elle implique une prise en charge globale, donc également sociale, s’attaquant aux causes véritables des maladies et non simplement à leurs symptômes.

De profondes modifications de cet environnement sont apparues  : les maladies infectieuses, qui étaient la première cause de mortalité jusqu’en 1920, ont été supplantées par les maladies cardio-vasculaires et les cancers. Cette «  transition épidémiologique  » a entraîné l’apparition de pathologies nouvelles extrêmement complexes, les maladies chroniques, également appelées «  maladies de civilisation  » du fait de la responsabilité humaine dans leur genèse. Celles-ci ont touché environ 15 millions de personnes en France en 2009, et ont représenté 83 % des dépenses de santé.

Premièrement, la pollution de l’environnement physico-chimique. Il ne s’agit pas ici de faire l’inventaire des polluants et de leurs effets sur la santé, le constat scientifique de la nocivité de ceux-ci est posé depuis l’Appel de Paris en 2004. Je voudrais plutôt insister sur l’un des «  nœuds  » reliant ces pollutions entre elles.

L’agriculture me paraît être primordiale, par son importance dans la vie des hommes  : elle nous nourrit en même temps qu’elle façonne notre territoire et notre mode de vie  ; par sa transversalité, elle a une part de responsabilité dans la pollution à tous les niveaux  ; par son impact sur l’environnement mondial en général, et sur la santé humaine en particulier  : l’agriculteur et le médecin ont partie liée. Il est illusoire de prétendre soigner des personnes qui s’intoxiquent par ailleurs tous les jours, à petites doses, par leur alimentation. L’agriculture chimique détruit les écosystèmes subtils que sont les sols, nécessaires à des cultures saines et de qualité. Les substances chimiques, dont la fabrication repose sur le pétrole, se retrouvent ensuite dans l’eau et les aliments ingérés, produisant en sus un immense gâchis énergétique. Les diverses réglementations, dans une logique normative et productiviste, ont très fortement appauvri la biodiversité disponible. L’industrie agroalimentaire est le dernier chaînon aboutissant à une nourriture malsaine contaminée par de nombreuses substances chimiques (pesticides, additifs, conservateurs) dont les effets sur la santé sont néfastes.

Les pouvoirs publics sont obnubilés par le risque microbiologique, occultant le risque toxicologique, comme celui d’être exposé à de nombreuses substances («  effet cocktail  ») à des doses très faibles pendant une longue période. En vérité, nous naviguons à l’aveugle.

Deuxièmement, l’environnement social. Les facteurs «  psychosociaux  » qui suivent sont tirés, sauf mention contraire, des travaux de R. Wilkinson et de la précieuse synthèse de 2008 réalisée par l’Inserm  : Inégaux face à la santé. Ces facteurs sont très nombreux, mais un consensus peut se dégager  : l’état de santé d’une population est étroitement corrélé statistiquement, et de manière très robuste, à l’état des relations sociales et à la sensation de maîtriser sa vie que peuvent éprouver ou pas les individus. Or les relations sociales sont elles-mêmes fortement corrélées aux inégalités de revenus, reflet indirect du revenu relatif et de la hiérarchisation fondée sur la contrainte et la domination.

Ces facteurs entraînent un état de stress chronique dont les désordres physiologiques complexes sont bien connus chez l’animal  : obésité, pathologies cardio-vasculaires, dépression, troubles du système immunitaire, cancers. Exactement les pathologies qui fleurissent dans nos sociétés. L’intrication des facteurs psychosociaux et physico-chimiques ainsi que leur nombre rendent impossible l’obtention de preuves certaines. J’estime en revanche que l’ensemble des données disponibles constitue un faisceau de preuves suffisamment solide scientifiquement pour être à la base d’une politique cohérente globale.

Ces constatations sont d’une portée considérable. Tout d’abord cela révèle la nature profonde de notre société  : les êtres vivants en général, et les humains en particulier, sont les variables d’ajustement d’un système d’accumulation et de domination complexe, dont le moteur est un capitalisme de déréglementation à dominante financière alimenté par un désir illimité de monnaie, devenu toxique pour la santé. Ensuite, la médecine ne peut se cantonner à un rôle de prescripteur et de technicien en occultant les causes profondes de l’état de santé de la population. Sinon la médecine n’est plus que palliative, elle ne sert plus qu’à aider les citoyens à supporter une société devenue hostile.

Le concept de médecine globale prend alors tout son sens  : il s’agit d’utiliser l’ensemble des savoirs humains (économie, sociologie, histoire, philosophie, anthropologie, médecine, écologie…) au service d’un projet de société dont l’objectif serait l’amélioration de la santé humaine globale, équivalant au concept de progrès humain. Dans l’intérêt de la santé humaine, la réduction des inégalités de revenus doit être une priorité (notamment la justice fiscale), ainsi que la transformation des institutions politiques pour redonner aux citoyens un minimum de maîtrise sur leur vie. Cette lutte contre la domination dans la justice est le fondement du républicanisme, elle doit présider également dans la gouvernance d’entreprise, et entraîner la disparition de la précarisation, forme ultime de sujétion dans nos sociétés contemporaines. La démocratie, la République sociale, donc une VIe République deviennent une nécessité pour la santé humaine et non plus uniquement en vertu de valeurs morales nous semblant plus justes ou supérieures.

De la même manière que l’État a mis en place une agriculture productiviste, chimique, fortement mécanisée, adaptée à l’exportation, une vaste planification écologique sur une vingtaine d’années donnerait l’impulsion indispensable pour la transformer en systèmes variés autoentretenus, de plus petites surfaces, reposant sur les bases scientifiques de l’agroécologie. L’autosuffisance alimentaire, la production d’aliments sains et diversifiés doivent être les vocations d’un tel système. En outre, il s’agit là d’un gisement d’emplois immense.

Nous pourrons nous reposer sur le travail de véritables résistants, réalisé parfois contre des lois absurdes, ce sera alors l’occasion de reconnaître la dette que nous avons envers ces précurseurs. Aucune de ces pistes n’est compatible avec les structures macroéconomiques actuelles. Il s’agit donc de changer le cadre économique global pour que les mesures nécessaires à la santé humaine soient possibles et non l’inverse, à moins de cautionner 
la mauvaise santé humaine.

L’économie doit être un instrument au service du progrès humain et non le moyen d’asseoir la domination d’une oligarchie. Une telle révolution «  sanitaire  » devrait être internationale, notre pays, par sa position géographique et économique privilégiée, pourrait en être la locomotive. Le premier manifeste pour l’écosocialisme nous trace les grandes lignes d’une telle révolution.

Il s’agit avant tout de donner un sens à notre civilisation en insufflant de l’espoir à tous les étages de la société, indispensable à une bonne santé humaine, dans le cas contraire, le corps social vit dans un renoncement pathologique. Pour être cohérente avec son essence même, la médecine ne peut être qu’écosocialiste, sans cela elle est impuissante à apporter les soins nécessaires à une bonne santé humaine, et se condamne à «  courir derrière  » les maladies que nous créons.

Par Frédérick Stambach, Interne en médecine générale, membre de la société française de médecine environnementale (ISDE-France).

Tribune libre dans L’Humanité :

http://www.humanite.fr/tribunes/le-...


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