Manuel Valls peut être stoppé

samedi 7 septembre 2013.
 

Manuel Valls « contaminé par Marine Le Pen » comme l’a titré le JDD ? Bien sûr, il y avait bien d’autres titres possibles : ceux qui ont lu le texte le savent bien. Mais le titre choisi par le « Journal du dimanche » pour mon interview de rentrée a frappé juste. Le rôle de manuel Valls est l’épicentre de la nouvelle étape de la dégénérescence du PS. En parlant "cru et dru", j’ai libéré la parole contre la politique de Valls dans la gauche. Aussitôt toute une série de responsables ont pu dire ce qui leur brulait les lèvres depuis plusieurs mois. Razzy Hamadi, député PS (Le Figaro, 21 août) : « Ce qui me désespère, c’est la médiocrité intellectuelle avec laquelle ont été abordées les questions de l’immigration, de l’Afrique et de l’islam au cours de ce séminaire (…) Manuel Valls ne rend pas service à la gauche en mettant au centre de la rentrée les questions de l’immigration, du voile à l’université ou de la compatibilité de l’islam avec la démocratie. ». Eva Joly, dans « Le Parisien » du 22 août : « Valls marche dans les pas de Sarkozy en recherchant l’inflation pénale. Il marche sur la corde raide du populisme. Son funambulisme idéologique est dangereux. ». Pascal Canfin, ministre du développement (Le jdd.fr, 21 août) :« Je ne vois pas comment, si Manuel Valls était Premier ministre, nous pourrions participer au gouvernement. ». Pascal Durand, secrétaire national EELV (Mediapart, 21 août) : « On ne choisit pas les contraintes dans lesquelles on agit. Autrement dit : nous n’avons pas choisi Manuel Valls comme ministre de l’intérieur. Manuel Valls, c’est le discours sécuritaire démagogique qui ne marche nulle part. Il faut que Manuel Valls cesse d’être le porte-parole des syndicats les plus conservateurs de police. Il est dans le corporatisme et se comporte comme le ministre de la police. Il oublie qu’il est ministre de la République et qu’il a vocation à porter l’intérêt général. ». Jean-Vincent Placé, sénateur EELV (BFMTV, 21 août) : "Je trouve quand même assez paradoxal que celui qui veut incarner l’ordre républicain au sein du pays crée à la rentrée un tel désordre au sein du gouvernement". Seule la « gauche » du PS est restée muette sur le fond. Dommage. Les investitures aux municipales sont plus exigeantes que les principes ?

Dans ce contexte, il n’est pas vrai que les dirigeants communistes aient marqué leur distance avec mon analyse politique du personnage. La première réaction face aux tentatives tellement banales faites pour nous opposer fut celle d’Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF qui assurait de plus la permanence de la direction du parti cette semaine-là puisque Pierre Laurent était en vacances. Sa déclaration ne laisse aucun doute. Pour lui la gauche et même la République sont en cause avec Valls. Le 18 aout il déclare sur BFMTV : « L’outrance est plutôt du côté du ministre de l’Intérieur, parce que l’été de Manuel Valls est un été funeste, à la fois pour la gauche et pour la République. Jean-Luc dit aujourd’hui ce que le peuple de gauche ressent, c’est-à-dire une exaspération, une déception immense. Il n’y a pas une feuille de papier à cigarette entre Jean-Luc Mélenchon et nous sur l’analyse de la situation, le diagnostic ». On ne peut pas être plus clair. Ce n’est pas une mise en scène. Dartigolles fait partie des gens que le comportement du ministre de l’intérieur met très mal à l’aise. En ce qui concerne Pierre Laurent, sur le fond il n’a pas été moins clair. Il accuse même Manuel Valls d’être sur des positions inverses de celles de la gauche : « L’été de Manuel Valls a été calamiteux. Que ce soit sur la sécurité, l’islam, la réforme pénale ou le regroupement familial, ses déclarations sont à l’opposé des valeurs de la gauche. » A l’opposé des valeurs de la gauche !

Ce déferlement à ma suite est un résultat de ma prise de parole sans fard. Son onde de choc est largement arrivée dans la salle de la plénière à la Rochelle où, en dépit du travail des placiers, le ministre de l’intérieur fut copieusement sifflé. Jusqu’à ce jour, personne n’osait rien dire. Valls a donc procédé à une escalade constante dont l’omniprésence médiatique de cet été constituait une apogée. Il s’agit de sa part d’un plan muri, méthodique et organisé, appuyé par des moyens et des réseaux, en vue du pouvoir. C’est bien son droit. Mais c’est bien le nôtre de vouloir l’en empêcher. Exactement comme l’a dit Pascal Durand, le dirigeant d’EELV ! Car si l’avenir du PS en plus du social-libéralisme, c’est le discours sécuritaire, le désastre moral et politique déjà si profondément engagé tournera à la tragédie simple. Je ne me soucie pas du sort du PS, on s’en doute. Il ne peut plus être redressé autrement que par un séisme électoral de très grande magnitude. Je pense aux dommages qu’il provoque dans l’esprit public et dans la construction de la conscience politique de ceux qui se repèrent sur lui. N’oublions jamais que le premier résultat de la politique de Hollande est de valider les thèses économiques et politiques de la droite. Le premier dommage est ainsi dans les consciences. Il crée du dégout, de la résignation et sème des mots qui fleurissent ensuite dans la cour de madame Le Pen. Le discours et la pratique de Valls valide les thèses de Marine Le Pen, ses arguments simplistes, ses préjugés. C’est la technique bien connue de communication mise au point par les « Démocrates » américains et les blairistes : passer sur le terrain sémantique de l’adversaire, lui piller son vocabulaire. Ce procédé est appelé la « triangulation ». Il est censé neutraliser l’adversaire et lui disputer son autorité dans le domaine considéré. Le résultat est une confusion totale du champ politique. Mais c’est surtout un empêchement majeur de la souveraineté de l’électeur mis dans l’impossibilité de distinguer et donc de choisir en connaissance de cause. Cela est considéré comme sans importance par tous ceux pour qui, de toute façon, il n’existe pas d’alternative politique mais seulement des compétitions de personnes pour accomplir « la seule politique possible ». Manuel Valls a fait ce qu’il a voulu, des mois durant, sans aucune protestation de ceux qui auraient dû en faire les premiers : les socialistes.

Il est aussi à l’origine des principales décisions qui ont pourri toutes les relations entre le gouvernement, le parti solférinien et le reste de la gauche. C’est son représentant, Luc Carnouvas, qui est chargé des relations extérieures du parti de Harlem Désir. Et c’est lui qui a mis toute son énergie à ourdir des manœuvres et des pressions pour disloquer le dispositif du Front de Gauche. C’est tout un système que cet homme. Sa ligne stratégique est sans mystère. Il l’a exprimée en long et en large dans un livre en 2008 puis dans la primaire. Platement battu par le vote des primaires il est revenu par la fenêtre des complots de cour. Il veut et il est parvenu à déplacer profondément à droite le curseur solférinien dans la géographie politique de notre pays. En phase avec l’évolution du social-libéralisme européen, il veut assumer la rupture avec l’histoire et les principes de la gauche. Tous ceux qui ont de la culture politique le savent en dépit des efforts des communicants pour faire du cas Valls un simple moment people de la politique et une aventure purement personnelle. Mais, certes, c’est aussi d’abord un projet de pouvoir personnel. Il prend appui sur tous les poncifs dominant de notre temps. Et il avance. Le seuil qui se préparait à être franchi à l’occasion du conflit mis en scène contre Christiane Taubira nous ont motivé. Qu’il l’emporte et l’une des toutes dernières digues aurait sauté. Nous étions en alerte. Au Parti de gauche, il y a des mois que nos camarades policiers, est-90juges et avocats nous alertent. De leurs côtés les militants du secteur du travail social en faisaient autant, encore plus angoissés. Face à une stratégie méthodique et une offensive méthodique il faut un effet miroir.

Et cela commence par dire haut et clair ce qui se passe. A l’aile gauche du PS comme à Europe Ecologie-Les Verts, tout le monde regardait ses chaussures. J’ai joué le rôle du lanceur d’alerte. Les endormis et les timorés se sont réveillés. Le top départ a été très synchrone avec la tournée de résistance annoncée de Christiane Taubira dans les universités d’été des partis gouvernementaux. Les arbitrages en dépit de toutes leurs faiblesses nous donnent le point. Au minimum nous avons empêché Manuel Valls de l’emporter. La lutte paie.

Il est remarquable que, dans le flot des commentaires qui ont accompagné ma prise de position, personne n’ait songé à me demander sur quel point portait la « contamination » que je dénonce. Les pavloviens de la rue de Solférino se sont contentés de mugir en cadence. Je mets en cause un point bien précis. Un mot. Ou plus exactement une expression dont je sais que mes lecteurs comprennent toute la portée. Manuel Valls a grossièrement plagié Marine Le Pen. Il s’exprimait dans Le Parisien le 15 février 2013. Voici ce qu’il a déclaré : "Nous faisons face à un ennemi extérieur au Mali, nous faisons aussi face à un ennemi intérieur qui est le fruit d’un processus de radicalisation. Il part de la petite délinquance, passe par le trafic de drogue, parfois par la prison, jusqu’à la conversion à un islamisme radical et à la haine de l’Occident. Il y a en France aujourd’hui plusieurs dizaines de Merah potentiels". Il reprenait ainsi, sous une forme affirmative, les propos faussement interrogatifs de Marine Le Pen dans un meeting de la banlieue nantaise, le 25 mars 2012, quelques jours après les odieux assassinats de Toulouse et de Montauban. A l’époque, Marine Le Pen avait choisi de provoquer en faisant mine de s’interroger : "Combien y a-t-il de Mohamed Merah dans les bateaux qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? Combien de Mohamed Merah parmi les enfants de ces immigrés non-assimilés ? Mohamed Merah n’est peut-être que la partie émergée de l’iceberg". Cette convergence ne peut être un hasard. Elle ne se limite pas au vocabulaire. C’est une vision commune qui s’exprime à travers la communauté des mots. L’expression « l’ennemi intérieur » est une bombe.


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