Syrie : François Hollande s’est situé hors du cadre de la pensée de gauche

mardi 10 septembre 2013.
 

Dans l’épisode calamiteux qu’a été cette séquence à propos de la Syrie, telle que l’a conduite François Hollande, il ne faut pas s’arrêter à l’accessoire, c’est-à-dire au haut et au bas des effets de communication. Il est bien clair que dans le numéro de trapèze volant qu’a entrepris François Hollande, il aurait mieux valu pour lui s’assurer qu’un partenaire venait bien à sa rencontre dans les airs… Mais c’est secondaire. L’essentiel est ailleurs. Il faut s’en tenir à ce qui compte dans de telles circonstances, c’est-à-dire les principes mis en œuvre et les moyens employés pour les faire triompher. Bien sûr, sur le plan tactique, François Hollande s’est pris les pieds dans le tapis. Il était persuadé que les Anglo-Saxons se mettraient en mouvement contre la Syrie. Il pensait donc avancer à l’abri du parapluie que serait cette nouvelle coalition. Il voulait s’y donner toute la satisfaction qu’un atlantiste génétique comme lui aurait à « ramener » la France dans cette mouvance nord-américaine où est, selon lui, sa place naturelle. Pour finir il aura isolé notre pays et profondément détruit son image d’indépendance et d’autonomie dans le monde.

Après l’épisode de l’interception de l’avion du président bolivien Evo Morales sur un simple coup de fil de la CIA en violation de nos intérêts, et du droit international, l’épisode syrien est une nouvelle démonstration humiliante du point où conduisent les errements idéologiques atlantistes. Si grave que cela soit, tout cela reste néanmoins conjoncturel. Car le plus gros des dommages causés par François Hollande porte sur les principes. Comment un président de la république française peut-il réclamer que se constitue une alliance militaire prenant des décisions sans l’accord, ou pire, contre la volonté de l’Organisation des Nations Unies ? La ligne historique des Français est que le droit international prime en toutes circonstances. En dehors du droit il ne peut y avoir que la force brute et la violence de la raison du plus fort.

Sans doute François Hollande a-t-il toujours pensé que la seule légitimité internationale est celle que portent, du fait de leur prééminence économique, les premières nations de « l’Occident ». C’est-à-dire au bout du compte des États-Unis d’Amérique. Dans l’affaire du Mali les esprits simples et les clairons de guerre ont tout simplement ignoré les questions fondamentales que posait cette intervention militaire en particulier celle de sa légitimité et de l’origine du mandat pour intervenir. Peut-être est-ce là l’origine de la nouvelle désinvolture de François Hollande à l’égard des institutions internationales. Son cas s’est aggravé depuis.

Comment accepter que l’on parle à propos du droit de veto de la Chine et de la Russie comme d’un « blocage ». On pense ce que l’on veut droit de veto. Mais c’est une composante actuelle du système de l’ONU. On peut le réformer. Mais jamais François Hollande ne l’a proposé. Dans ces conditions, l’exercice d’un droit ne peut être considéré comme un « blocage ». Au nom de quoi tout point de vue contraire à celui des Américains constituerait un « blocage » ? Quels sont les arguments des Russes et des Chinois ? On ne le sait jamais. Juste un « blocage ». En prétendant qu’il s’agit d’un blocage on introduit l’idée qu’il faut le « dépasser », tout cela pour finir par réclamer ce que l’on voulait au départ : une action violente directe avec ou sans mandat international. En dévalant cette pente, François Hollande s’est situé hors du cadre de la pensée de gauche à propos du droit international et de ses institutions. Ce chemin ne mène nulle part sinon au ridicule dans lequel finit par se trouver celui qui tape du pied pour obtenir ce qu’il veut sans être capable de se le procurer.

On n’en finit pas de faire la liste des aberrations de la ligne de conduite de François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Ainsi de cette scène incroyable sur le bureau de l’Élysée où l’air martial le président Hollande annonce préférer des solutions politiques en présence d’un « représentant » du peuple syrien. Or précisément c’est ce représentant qui ne veut pas du cadre dans lequel cette solution politique pourrait être trouvée, à savoir la conférence de Genève numéro deux. Apparemment le président français n’en a pas parlé à son interlocuteur. Pas davantage que du sort des journalistes français enlevés par les amis de l’homme que l’on reçoit en grande pompe à l’Élysée. Personne ne pose la question de savoir ce qu’il représente réellement. Ni pourquoi son prédécesseur, un client du Qatar, a fini par démissionner de sa fonction par opposition au jusqu’au-boutisme des autres composantes de ce conseil politique de l’opposition. Quand dit-on que cet homme est un projet saoudien ? Cela ne le disqualifie peut-être pas, mais en tout cas cela mettrait chacun à sa place dans l’esprit des citoyens à qui l’on présente ce tableau. Quand dit-on qu’en Syrie des minorités alaouites chrétiennes filles, qui étaient d’abord hostiles au régime, sont surtout préoccupées aujourd’hui de se défendre des excès des milices fondamentalistes que cofinancent le Qatar et l’Arabie Saoudite ? À quel moment sort-on de la contradiction qu’il y a, d’une part, à soutenir ces milices en les armant et, de l’autre, à surveiller les jeunes qui partent de France pour aller s’enrôler dans leurs rangs ? Tout cela forme l’arrière-plan non-dit, sans doute non-pensé, de la ligne fixée par les grands stratèges de l’Élysée. Enfin ne cachons pas l’étonnement qui a été le nôtre lorsque nous avons entendu le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, annoncer que la France s’engagerait dans la logique des punitions armées, non pas sur notre territoire, mais en Israël à l’occasion de la rencontre avec M. Netanyahou ! On doit pouvoir faire mieux à l’avenir ! Non ?

Tout ceci, pour finir, constitue une modification extrêmement profonde de l’identité politique du Parti Socialiste dans le domaine des relations internationales. Le courant atlantiste a toujours été très fort, mais son influence s’est souvent exprimée de façon plus prudente dans la mesure où une résistance idéologique extrêmement construite est très largement majoritaire et prenait garde. L’atlantisme est dorénavant la ligne du parti. C’est ce que prouve la signature de François Hollande après des discussions au sommet de l’OTAN à Chicago quelques mois après son élection, lorsqu’il plaça la France sous la protection des missiles antimissiles nord-Américains, oubliant la dissuasion. C’est ce qui a été confirmé lorsqu’il a capitulé sans condition dès lors que les Allemands refusaient de reporter l’ouverture de la discussion avec les nord-américains sur le « Grand Marché Transatlantique » alors même que l’espionnage de ceux-ci sur l’ensemble des pays de l’Union européenne avait été prouvé par les révélations de Snowden. Croyant anticiper sur ce que l’état-major américain avait décidé, il s’est jeté tête baissée dans les surenchères à propos de la Syrie. Au total c’est une modification fondamentale. Non seulement il n’y a plus d’exception des socialistes français dans la mouvance sociale-démocrate internationale, mais c’est la France elle-même en tant que nation, telle qu’elle s’est affirmée dans les principes constants qu’elle a soutenu jusqu’à ce jour, qui vient d’être abandonnée.

À cette occasion s’est ajoutée une spectaculaire mutation à propos des institutions. S’il est exact que le Parti Socialiste n’a jamais adopté les thèses en faveur de la sixième république, il n’en demeure pas moins que, depuis 1972, la réforme en profondeur de la Vème République était un objectif constamment réaffirmé. Sans débat a été tranchée la question de savoir si les institutions doivent être présidentielles ou parlementaire. C’est la vision la plus brutale, la plus étroite et la plus monarchique de la Vème République qui vient d’être défendue par les principaux responsables solfériniens à propos de la question du vote du Parlement sur l’action militaire envisagée par le Président de la république. Il ne faut pas oublier cet épisode car il constitue désormais une différence idéologique de fond avec tout ce que nous représentons.

Je crois que sur ce point ils vont également se ridiculiser. La pression est désormais trop forte du fait de l’exemple donné à la fois par les Anglais et par les nord-Américains. De plus le journal le plus intimement lié aux anglo-saxons, le quotidien « Le Monde », qui avait péremptoirement affirmé dans un éditorial solennel la nécessité de faire la guerre à la Syrie, vient à présent de se rallier à l’idée que le parlement doit voter. Dès lors, quoi que décide François Hollande sur le sujet et quoi qu’il fasse, ce sera sous la contrainte et au gré des circonstances.


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