Syrie : Pour vaincre, il faut convaincre

lundi 9 septembre 2013.
 

La position de François Hollande sur la Syrie est un tournant pour notre pays et pour le monde. Je veux montrer ici ses implications avant qu’il ne soit trop tard et que la lorgnette médiatique, déjà focalisée sur les débats du Congrès des Etats-Unis, ne soit passée à un prochain épisode du drame qui se noue.

Je ne prétends pas faire le tour de la guerre civile syrienne dans l’espace limité d’une note de blog. Mon unique objectif dans ce moment brûlant où l’histoire retient son souffle est de faire partager une conviction : Hollande se trompe lourdement dans sa volonté de nous impliquer dans des frappes « punitives » au côté des Etats-Unis. Je vais donc présenter un raisonnement et des arguments. Je sais par avance que cette façon de faire ne parlera qu’à ceux qui n’ont pas renoncé à penser sous les bombes et les images d’horreur qui circulent désormais de toutes parts. Je dis aux autres de ne pas oublier que lorsque notre armée intervient, c’est « la France » qui est en guerre. C’est pourquoi une décision aussi lourde ne devrait jamais être prise sans l’avis du peuple ni de ses représentants. Dire cela n’est pas seulement rappeler à la décence le monarque républicain qui prétend prendre seul une décision qui nous engage tous si fortement. C’est aussi nous rappeler à notre propre devoir de citoyen. Nous ne pouvons pas nous dispenser de l’effort personnel de démêler par nous-mêmes ce qu’il est bon de faire. C’est encore plus difficile quand pleuvent les injonctions robotiques : « comment osez-vous réfléchir quand l’heure est à agir ? » Mais on peut y arriver pour peu qu’on se réfère à des principes simples. Ramener une situation complexe à des principes simples est aussi le moyen par lequel le droit s’impose aux logiques de puissance.

A quel tournant assistons-nous ? Ce n’est pas l’atlantisme de Hollande. La gauche atlantiste a toujours existé. Ultra majoritaire dans la SFIO, elle est redevenue dominante au sein du PS dans les années 90. C’était déjà sous Hollande1. Dans le PS que j’ai quitté, les communiqués du secteur international étaient des pompettes des campagnes de la CIA dès qu’ils touchaient les deux zones jugées stratégiques par le régime états-unien, l’Amérique du Sud et la Russie. Ce qui est nouveau est qu’un président de la République français renonce pour la première fois officiellement au droit international.

Que dit Hollande ? Il explique que le Conseil de sécurité est bloqué par le veto russe et chinois, et que dès lors notre devoir est de constituer une coalition pour agir en dehors de l’ONU. Or le droit de veto est prévu par la charte de l’ONU. En l’exerçant, les gouvernements russes et les chinois ne violent pas la légalité internationale qui prévoit explicitement que le Conseil de Sécurité ne peut statuer sans leur accord. On peut le regretter et demander que le droit de veto soit supprimé. Mais si l’on me permet de paraphraser ce qu’a dit Manuel Valls à propos de la constitution de la Cinquième République pour refuser un vote parlementaire, le droit ne se change pas en fonction des circonstances. De plus, si la France devenait tout à coup hostile au droit de veto, ce serait une position tout à fait nouvelle et très lourde de conséquences puisque notre pays est l’un de ceux qui en bénéficient. Que dirions-nous demain si nous nous opposions à une résolution et que la Russie annonçait vouloir mettre en place une coalition pour contourner le « blocage » de la France ?

Renoncer au droit international est une option. C’est la position d’une bonne partie des dirigeants nord-américains qui estiment que l’ONU empêche les Etats-Unis d’agir en gendarme du monde. Ils lui préfèrent la formation autour d’eux d’une « coalition occidentale », justifiée, selon les périodes, par le choc des civilisations, le rassemblement des amis de la démocratie ou encore la lutte contre l’axe du mal. Mais cela n’a jamais été la position de la France.

Car renoncer au droit conduit à accepter le règne sans partage de la force. Hollande nous en apporte la démonstration. Le voici condamné à attendre la décision des Etats-Unis. Rien de ce qu’il propose ne peut se faire si les Etats-Unis ne l’ont pas décidé. Pourquoi ? Pour la raison que ce pays dépense la moitié du budget militaire de la planète. L’autre jour, pendant une pause publicitaire sur Europe 1, Hervé Morin, ancien ministre de la Défense, reconnaissait que l’armée états-unienne était capable de dépenser en une journée les munitions dont dispose l’armée française pour toute la durée d’une loi de programmation budgétaire. Il semblait trouver cela très impressionnant. Même l’opération franco-britannique contre la Lybie a été conduite avec les munitions fournies et payées par les Etats-Unis d’Amérique.

La légitimité du Conseil de Sécurité de l’ONU est donc celle d’une convention internationale signée en 1945. On peut la juger faible ou surannée. Mais elle est mille fois plus solide et plus précieuse pour l’avenir que celle que confèrerait aux Etats-Unis d’Amérique la démesure de leur budget militaire.

Si ce sont les armes qui décident, il faut en effet s’attendre à ce que chacun s’équipe en conséquence. C’est pourquoi l’intervention hors cadre de l’ONU serait une escalade dans la guerre. Si les Iraniens constatent que la Syrie peut être attaquée malgré l’avis contraire du Conseil de sécurité, ils en déduiront que leur sécurité dépend uniquement de leur capacité à se doter de l’arme nucléaire. Et ils soutiendront en conséquence les secteurs les plus durs du régime des mollahs qui en ont fait une priorité. Les pays voisins voudront s’armer d’autant plus à leur tour. C’est déjà ce qui se passe dans la région. La Syrie a le droit de détenir des armes chimiques car elle n’a pas signé la convention de 1993 qui proscrit leur utilisation et exige leur destruction2. L’Egypte non plus. Tous deux l’ont refusée au nom du fait qu’Israël détient l’arme atomique. Du coup Israël n’a pas ratifié la convention de 1993 car il ne veut renoncer à aucune des armes qui pourraient être utilisées contre lui.

Une intervention en dehors de l’ONU ne contribuerait donc aucunement à dissuader à l’avenir tout pays d’utiliser des armes chimiques…

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