Tenons bon !

samedi 2 novembre 2013.
 

Après l’adrénaline du moment de riposte au vote parisien du PCF, j’ai été submergé par une énorme tristesse. Bien sûr, les postures de Pierre Laurent contre moi, les coups redoublés de cette poignée de « journalistes » réglant leurs comptes personnels avec moi sont si pénibles ! Mais ce n’est que mon pain quotidien, un peu plus vinaigré qu’à l’ordinaire. Non le pire, c’est le gâchis. La confusion parisienne nous a rendus invisibles sur la scène nationale en tant que protagonistes du combat central face à Le Pen et face aux socialistes.

« Mais tant que tu es là et que tu peux t’exprimer, toutes ces magouilles ne veulent rien dire ». C’est le refrain des camarades qui veulent me remonter le moral depuis ce jour-là. Ce qui resterait d’identifiable à l’absolue insoumission que nous devons incarner, ce serait moi ? Mais moi, je suis las de ce rôle ! Il autorise toutes les caricatures, défigure ma pensée et m’expose sans trêve ni repos. Et je vois trop comment il ne sert, à la fin, qu’à remplir la gamelle des malins. Ceux-là vendent leurs piteux arrangements au prix de ces performances. Ainsi quand Pierre Laurent déclare dans « Libération » de septembre qu’il a demandé quinze places à Hidalgo pour « tenir compte de la nouvelle influence du Front de gauche à Paris ». A bout du compte, quelles que soient la quantité d’explications plus ou moins embarrassées qui l’entoure, le message parisien c’est « les places d’abord ». Bref au Front de gauche on serait comme les autres. Un désastre ! Madame Le Pen n’aurait même pas besoin de faire campagne contre nous. Tout le mal qu’elle s’est donnée pour nous peindre en composante du « système », fallait-il le valider ? Puis survint Lyon, et ainsi de suite. La mise en minorité partout de la ligne de retour au bercail socialiste est un formidable argument de notre côté. Notre faiblesse est devenue une force. La preuve est faite qu’à quelques exceptions près, même contre des places, les nôtres ne cèdent pas.

Quant aux socialistes ils se frottaient les mains ! Ils ont certes payé cher à Paris leurs emplettes. Treize sièges de conseillers communistes de Paris, 31 dans les arrondissements, un siège de sénateur, ce n’est pas rien. Personne ne croit qu’ils aient payé une influence électorale. Faut-il rappeler les scores avant l’apparition du Front de Gauche ? C’est tellement vrai que leurs nouveaux bons amis ne songent même pas à utiliser leur propre sigle mais bien celui du Front de gauche. C’est vrai ça, pourquoi ne portent-ils pas fièrement leurs propres couleurs ? Ils ont honte ? Non bien sûr. En fait ils livrent le produit commandé. Les solfériniens ont payé pour ça : l’appropriation du Front de Gauche pour sa neutralisation, la division de ses membres, pour qu’une bagarre de chiens éclate et s’étale, pour que Mélenchon soit déclaré « seul » comme dans la propagande de leur ami Cahuzac. C’est cela qui a été acheté. C’est cela qui a été vendu. Et voici les larbins médiatiques qui accourent en jappant joyeusement. Et « Le Monde » d’introniser le communiste nouveau rallié Ian Brossat « chef de file du Front de gauche » en gros titre, à l’heure où il fait de la figuration sur la photo à côté du nouvel utilisateur, Anne Hidalgo soi-même ! Hé ! Hé ! La gloire à l’état pur ! Mais c’était trop ! Les communistes ont l’estomac solide mais ça, c’était la photo de trop ! Pourtant dans ce moment d’euphorie du vieux monde reconstitué, même « l’Huma » s’y est mis : « A Paris, les communistes choisissent l’union » acclame la une. Un revival des années soixante-dix ! Les titreurs ne connaissent donc pas la novlangue du jour ? « L’union », « la gauche plurielle », ça s’appelle « le rassemblement le plus large à gauche contre la droite et l’extrême droite » aujourd’hui ! Bref, c’est « l’union » ! La division du Front de gauche ? Pfft « l’union » vous dis-je ! Et là où les communistes envoient balader le PS ? A Limoges les communistes font le choix de « la division » ? C’est un fait. Il y a deux lignes au PCF. Un sigle commun ne suffira jamais à le masquer. La dynamique des situations aggravera la divergence concrète. Seule l’appartenance à un Front de gauche autonome et indépendant restitue une cohérence de pensée et d’action.

Beaucoup de mes amis sont perplexes et sidérés. Tous peinent à réaliser ce qui s’est passé. Comment Pierre Laurent a-t-il pu nous mentir des mois durant pendant qu’il vendait la tour Eiffel à Hidalgo ! C’était bien le sens de cet incompréhensible travail de dénigrement permanent contre moi, dont sa défense de Manuel Valls, qui a pourri la rentée du Front de Gauche, a été un paroxysme ! Il a négocié des heures en secret les places et les découpages cantonaux ? Pourquoi pas. Mais d’après quels critères et dans quel objectif collectif ? Si l’alliance avec les socialistes est son objectif, pourquoi ne pas avoir marchandé Paris contre la paix dans les villes à direction communiste agressées par les socialistes aux municipales ? Pourquoi s’être engagé personnellement à ce point en poussant à une dramatisation nationale de l’enjeu ? Pourquoi avoir tordu le bras aussi férocement à tous ces dirigeants communistes locaux ? Sur France 3, on a vu un électeur communiste dire qu’il votait « contraint et forcé » pour l’alliance avec les socialistes ! Tout cela uniquement, comme le dit la presse, pour sauver la place de sénateur qu’il occupe depuis le départ de la sénatrice Cohen-Seat ? Beaucoup autour de moi n’arrivent pas à y croire. Un autre paramètre doit exister. Psychologique, autre ? Une contrainte que nous ne connaissons pas, pour l’instant.

Pour d’autres des nôtres, le raisonnement est à l’inverse. Toutes ces interrogations seraient des nœuds au cerveau sans objets. Si Pierre Laurent croyait une seconde que sa tactique soit bonne pour le Front de Gauche, il l’aurait mise en débat dans le Front. Il aurait essayé d’en convaincre les autres composantes comme nous avons essayé de convaincre les communistes jusqu’à la dernière minute avant leur vote. Il est donc inutile de chercher à comprendre ce qu’il veut, à part ses places. D’ailleurs ce qu’il veut n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est de comprendre ce que veulent obtenir les socialistes avec son aide car c’est eux qu’il faut mettre en échec. Pour l’instant le but des solfériniens est atteint. A Paris, la pagaille est à son comble. Chez les communistes, des centaines de militants sont démoralisés. Mais les nôtres aussi ont pris un rude coup sur la tête. Militer sans les communistes ce n’est vraiment pas la vie qu’ils voulaient. Mais que les communistes soient obligés de militer contre eux, voilà qui est très déprimant. C’est l’énergie de Danielle Simonnet qui met le carburant de la marche depuis dimanche. Et aussi une froide détermination de bien des camarades humiliés par les glapissements de joie des solfériniens. Ceux-là n’auront pas ri longtemps.

Pour autant, au niveau national les voies d’eau dans le navire amiral sont visibles de loin. L’état-major est décapité : comment tenir des réunions de coordination de campagne avec des gens qui militent sur des listes opposées ? De plus notre parole publique est défigurée : toutes nos interviews sont dévorées par les explications sur « la fin du Front de gauche » demandée avec gourmandise et jubilation. Mais ce qui est certain c’est que tout ceci n’est qu’un avant-gout de ce qui nous attends avec les cantonales et les régionales. Le dessous des cartes ne se limite pas à Paris. Pour certains, Paris est un précédent, pas un accident. Mais comme on vient de le voir à Lyon, il y a loin de la coupe aux lèvres. Je crois que nous avons eu raison d’exposer franchement notre avis et de présenter publiquement nos arguments. La campagne sournoise pour essayer de créer, contre cette attitude, un réflexe d’esprit de parti sans contenu, a été mal ressentie. Nombre de communistes n’ont pas aimé qu’on les suppose en dessous de la main pour ce qui est de la compréhension du moment politique.

Tout cela doit servir de leçon. C’est donc à une réflexion d’ensemble qu’il faut procéder pour échapper durablement aux offensives visant à nous aspirer dans le vieux jeu politicien. Dans l’esprit de quelques dirigeants, certes minoritaires comme on vient de le voir, le problème politique n’est pas de construire une alternative crédible au PS. La ligne est plutôt celle d’un de ces courants de gauche du PS, avec lesquels ils s’entendent en général d’autant mieux que tout en reste à des paroles et des paroles encore, sans aucune conséquence pratique.

Ça s’appelle : « faire bouger les lignes de toute la gauche » et autres balivernes. La réunion avec Lienemann et Durand le 6 juin a fait-elle fait bouger les lignes ? Non. Ces deux-là sont venus, flanqués de Dominique Voynet, faire des provocations en service commandé. La salle, très largement communiste, les a hués ! Par contre, la manifestation du 5 mai a fait bouger Eva Joly et, sur la base du succès de la manifestation, elle a continué à avancer son point de vue en se prononçant pour des listes autonomes avec nous. Se souvient-on des jérémiades contre mes « outrances » à propos du « balai » à passer ? Eva Joly, elle, de son côté trouvait que le balai c’était le minimum. Que lui dit Pierre Laurent aujourd’hui à Paris ? « Il faut faire l’union dès le premier tour avec ceux que vous voulez quitter ». Quel genre de lignes fait-on bouger avec ce discours et cette pratique ? Ceux qui font vraiment bouger quelque chose sont ceux qui poussent aux ruptures et, surtout, qui en montrent l’exemple.

Croit qui veut que Paris exprime l’impasse de « ma » stratégie, comme le vend le journal « Le Monde » à l’occasion d’une pause entre deux publireportages pour Marine Le Pen. C’est là une amusette de mauvais élève en première année de Sciences-Po. Je l’ai dit. L’impasse stratégique est du côté des systèmes d’alliance à géométrie variable. Mais elle est aussi du côté du PS, condamné à voir se disloquer sa majorité parlementaire. Les pantalonnades de Valls, qui faisaient se relever les jabots solfériniens, arrivent à leur terme. Et pour cause ! Valls a réussi plus surement que moi en quinze mois à éjecter Hollande du tableau des sondages de la prochaine présidentielle. Conséquence ? Celle-ci est déjà commencée. Donc mécaniquement Valls doit continuer à s’imposer contre le vide qu’il a créé. Et ceux qui n’aiment pas Valls au PS, une écrasante majorité, sont obligés de pousser un autre champion. Plusieurs se voient dans le rôle. Même Benoit Hamon, crédité de 2% de sondés favorables. Le cycle des primaires permanentes est ouvert au PS.

Nous savons que le PS d’aujourd’hui est un mutant. Il détruira tout ce qu’il ne peut soumettre, quelle que soit la forme de cette insoumission. Ceux qui en doutent n’ont qu’à voir où en est Pascal Durand et où en sera très bientôt Harlem Désir. Certes, cela ne fait pas d’eux des modèles d’alternance pour autant. Mais cela prouve seulement qu’on n’est jamais assez docile aux yeux d’un solférinien. Tous ceux qui acceptent la laisse doivent accepter la muselière. Voyez comment sont traités les membres du groupe socialiste à l’Assemblée quand ils veulent faire montre de la moindre autonomie de proposition. Ayrault lui-même les traite de « dissidents ». Voyez comment il traite les villes à direction communiste ! Et plus le PS est faible, plus il est fragilisé, plus il est violent, car pour lui l’existence d’une voie d’alternative est le pire des dangers. Il est donc condamné à être de plus en plus violent, hégémonique et dominateur. L’idée de « faire bouger les lignes » avec des bons sentiments et de gros arrangements n’est pas seulement une vue de l’esprit sans consistance. C’est une impasse stratégique totale. « Le front de la gauche plurielle » même repeint en « rassemblement le plus large de la gauche contre la droite et l’extrême droite » et autres mièvreries n’a aucun contenu opérationnel. Il ne peut se faire que si nous nous taisons sur la politique qu’appliquent les solfériniens. La seule chose qui peut faire bouger le PS et donner les moyens d’un changement de direction et de ligne en son sein, la seule chose qui obligera le PS à se refonder, car c’est de cela qu’il s’agit, c’est la rupture et le rapport de force électoral. Le reste ce sont des mots sans portée concrète et autant de balles qu’on se tire dans le pied.

L’amicale cécité des médias qui épargnent à Pierre Laurent le cirque habituel de « l’enquête de terrain auprès des adhérents qui témoignent anonymement » suffit pour l’instant à effacer la démission, pourtant publique, d’une des secrétaires de section communiste de Paris et de tout son bureau de section deux jours plus tard. Occupé à vouloir me ridiculiser en comptant les allumettes que je n’aurais plus « pour rallumer notre flamme dans l’histoire », « Le Monde » ne voit rien, ne sait rien et ne veut rien savoir. C’est pourtant là un avant-gout de ce qui ne fait que commencer. Reste à voir comment les militants communistes qui vont le vouloir militeront avec la liste du Front de gauche et Danielle Simonnet à Paris ! Les candidats communistes de la liste gouvernementale ne pourront alors rien faire d’autre que de les regarder faire dans un mélange de honte et d’envie. Par contre je ne crains pas de voir dans la rue des communistes distribuant des tracts aux cotés des députés socialistes de Paris qui votent l’ANI, la retraite à 66 ans et le reste. Il n’y en aura pas. Jamais. Nulle part. Hidalgo a acheté du vent ! Les communistes sont dans la résistance. Ils sont massivement et foncièrement Front de Gauche et pas Huistes ! Quant à nous, soyons patients. La rupture dans le PS et chez les Verts est inéluctable, tout comme la décomposition de la gauche officielle. Voyez déjà comment Hidalgo est obligé de faire dire par ses médias de poche qu’elle « prend ses distances avec le gouvernement ». Ça va être bientôt la mode. La sonnerie de débandade générale n’est plus loin. Tenons bon, car rien de tout cela n’aura lieu si nous n’avançons pas nous même sur notre voie. Pas de bouée de sauvetage pour les passagers clandestins de la gauche.


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