Retrouver Les Jours Heureux

mardi 5 novembre 2013.
 

La parenté est évidente entre le « buen vivir » et « Les Jours Heureux ». Les plus jeunes générations connaissent peut-être cependant mieux le premier que le second. Le « bien vivre » nous est pourtant plus éloigné géographiquement : c’est la refondation écosocialiste de la gauche en Amérique latine où sont promus non seulement des objectifs économiques et sociaux, mais aussi une philosophie qui veut réconcilier l’homme avec son milieu, en terminer avec ses outrances prédatrices et se constituer en véritable humanité.

En revanche, on vit encore en France sur ce qui subsiste des « Jours Heureux » même si on l’ignore. C’est en ces termes que le CNR (Conseil national de la Résistance) avait en effet baptisé son programme de « mesures à mettre en œuvre dès la Libération du territoire », adopté à l’unanimité le 15 mars 1944. On y trouvait, entre autres, le rétablissement de la démocratie, l’instauration de la liberté de la presse, un programme de nationalisations, l’établissement de systèmes de sécurité sociale et de retraite, un véritable droit du travail, une politique familiale…

Autant de choses qui ont été patiemment grignotées par le patronat et ses représentants et dont la destruction programmée reste encore l’objectif. On se rappelle des propos de Denis Kessler en 2007, alors vice-président du Medef : « il s’agit de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du CNR. » C’est d’ailleurs le but obsessionnel de la droite de revenir constamment sur le passé pour restaurer les privilèges des uns aux dépens de la grande majorité. Dans le même ordre d’idées, Sarkozy ne promettait-il pas alors de « faire oublier 68 », le rayer de l’histoire ! Comme on le sait, l’idéologie de cette droite a trouvé des relais dans le gouvernement Ayrault.

La dernière « réforme » des retraites, toujours en navette entre Assemblée nationale et sénat, signe la dernière en date des agressions d’envergure contre le programme du CNR. Revenir sur sa genèse, son esprit s’impose d’autant plus aujourd’hui que la situation de crise écologique et sociale nécessite une réponse radicale. Il faut choisir entre l’horizon d’une barbarie plus ou moins molle ou celui d’une société qui privilégie l’humain. Opportunément, un film de Gilles Perret, sobrement intitulé Les Jours Heureux sort en salles dès le 6 novembre et permet de s’interroger, de débattre de l’actualité de perspectives qui virent le temps où selon le sous-titre du documentaire « l’utopie des Résistants devint réalité ».

Utopie ? Le mot n’a jamais aussi bien convenu, car un ailleurs, un autrement devenus nouvelle réalité ont été inventés au plus dur de l’Occupation nazie. Un des mérites du documentaire est de bien mettre en lumière la dialectique des deux volets du programme du CNR sur laquelle passent systématiquement les commémorations. On préfère d’ordinaire cantonner la Résistance à ses faits d’armes, si peu politiques, quand on exalte l’héroïsme des combattants sans en rappeler l’engagement.

Léon Landini qui est le fil rouge de ce doc ne se vit pas comme un héros. L’ancien FTP qui a à son actif une quarantaine de soldats tués, participé au déraillement d’une quarantaine de trains, à la destruction de plus de trois cents véhicules allemands avant d’être arrêté puis torturé par Klaus Barbie ne serait cependant pas le plus mal placé pour en revendiquer le titre. Mais il veut avant tout rappeler que l’action immédiate n’avait de sens qu’avec un projet politique qui a fini par se formuler de manière claire et précise dans le programme du CNR.

Son élaboration a, bien sûr, suivi les vicissitudes de la Résistance et a évolué au gré de multiples rapports de force entre les partis, les syndicats, les mouvements dont le documentaire fait la chronique détaillée. Le feu de l’action au beau milieu de l’hiver du nazisme a attisé un optimisme qui s’est traduit dans la rédaction des Jours Heureux tout comme la prépondérance de la gauche dans les composantes du CNR en a rougi la teneur. A la Libération, un ensemble de mesures a dessiné en moins de deux ans le paysage économique et social de la France de la seconde partie du XXe siècle avant que la guerre froide et l’éloignement progressif de l’Occupation avec l’oubli de certaines compromissions ne glacent définitivement cet élan réformateur.

Aujourd’hui, soixante-dix ans plus tard, l’enjeu des Jours Heureux demeure entier. Dans la seconde partie de son documentaire, Gilles Perret interroge d’anciens Résistants et des représentants politiques sur son actualité. Pour Stéphane Hessel et Raymond Aubrac, deux grandes figures de la Résistance décédées durant le tournage, l’équation est simple : il faut prendre au sérieux la période présente et combattre le néolibéralisme. La guerre que livre celui-ci à l’ensemble de la société et à la nature appelle à une résistance déterminée et à des perspectives dont il faut débattre à notre tour. Et comme le souligne Daniel Cordier, l’ancien secrétaire de Jean Moulin, « on ne se trompe jamais en se battant pour les opprimés ».

On se doute que l’argument ne trouve pas aisément l’oreille des représentants politiques de droite. Copé, Mariani ou Apparu se font l’écho les uns des autres : « Quel rapport avec le présent ? » Jean-Luc Mélenchon y répond en soulignant que toute solution passera par l’établissement d’un rapport de forces dans une période qui est, toute proportion gardée, beaucoup plus facile que l’Occupation. Sans surprise, un François Hollande pusillanime remet, lui, aux calendes grecques l’examen même de batailles nécessaires au prétexte que « les forces progressistes ne sont pas pour l’instant majoritaires en Europe ». L’argument prend toute son inconsistance quand on le rapporte à la leçon des Jours Heureux. Et sa pirouette en guise de conclusion, « Je suis au pouvoir pour pouvoir », ne peut faire oublier ce qui lui manque : le vouloir.

Jean-Luc Bertet


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