La France, Vichy et «  l’État français  », la responsabilité de la rafle du Vél’d’Hiv

jeudi 21 novembre 2013.
 

Rappel des faits. Dans ses propos tenus concernant la rafle du Vélodrome d’Hiver à Paris, la dirigeante du Front national, Marine Le Pen, brouille sa portée historique à des fins électorales.

Pour une approche dialectique par Jean-Pierre Kaminker, auteur de la Persécution contrariée (1)

Auteur de la Persécution contrariée (1) Les 16 et 17 juillet 1942, à la suite de l’accord passé entre les autorités nazies et René Bousquet, représentant Laval, les juifs étrangers résidant en région parisienne furent arrêtés de nuit par la police française. Celle-ci s’aidait du recensement imposé dès octobre 1940, et de l’étoile jaune, obligatoire depuis juin en vertu d’une ordonnance allemande, qui rendait publique la condition de juif. Hommes, femmes et enfants furent parqués plusieurs jours au vélodrome d’Hiver dans des conditions abominables, promis pour la plupart à la déportation et à la mort. André Kaspi (la Deuxième Guerre mondiale, chronologie commentée, Complexe, 1980) avance le chiffre de 12 884 arrestations, soit la moitié de l’objectif visé. Le crime allait se reproduire en zone libre, dès le mois suivant, dans des conditions analogues (moins l’étoile jaune), grâce à un recensement institué par Vichy en juin 1941.

Puis l’occupant a pris lui-même en main, avec l’aide de ses auxiliaires directs, la persécution des juifs, étrangers aussi bien que nationaux, d’abord dans la zone occupée, puis dans toute la France, après l’invasion de la zone libre. Vichy regardait faire, et assurait la logistique. Par exemple c’est la Gestapo qui arrête Max Jacob, en mars 1944, mais ce sont bien des gendarmes français qui l’emmènent à Drancy.

Une certaine déclaration de Marine Le Pen aurait pu fournir l’occasion de raviver l’indispensable mémoire de ces horreurs. Mais le tollé général qu’elle a suscité prit un autre cours, dans lequel se fondirent les voix de la droite et de la gauche, avec celles du Crif et de l’État d’Israël. Les mots de Le Pen une fois réduits à «  La France n’est pas responsable du Vél’d’Hiv  », on leur a opposé en général le discours prononcé par Chirac en 1995. Dans l’Humanité du 14 avril dernier, par exemple, on a pu lire  : «  Si, la France est coupable de la rafle du Vél’d’Hiv (…). »

Selon moi la pensée communiste invite à une autre approche, parce qu’elle inclut une certaine idée du rapport entre la nation et l’État, et parce que la dialectique, mode de pensée dont elle s’efforce de tirer parti, invite à voir la contradiction au sein de l’unité. Donc, le crime étant établi, contre toute tentative de dissimulation, reste à bien nommer le criminel. Et si on le fait mal, en disant indifféremment «  la France  », ou «  l’État vichyste  », on cache qu’une part grandissante de la nation échappait, lors de la rafle, à l’autorité de Vichy.

La France, en juillet 1942, c’était certes Laval et Pétain, et les appareils assujettis à leur autorité. L’«  État  » dont ils étaient la tête livrait des juifs. Mais à la même date, cette France avait déjà son contraire, et pas seulement à Londres ou à Bir Hakeim. Le Front national, le vrai, s’était créé dès mai 1941 à l’appel du PCF. En juillet 1942, les mouvements Libération-sud, Combat, Franc-tireur étaient solidement implantés. Le 12 août 1941, Pétain avait avoué par son fameux discours du «  vent mauvais  » que sa Révolution nationale battait de l’aile. Fabien, neuf jours plus tard, avait fait feu. Le 22 octobre 1941 étaient tombés les otages de Châteaubriant. En août 1942 allait paraître la lettre paroissiale de monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse. Cette France-là allait abriter les juifs résidant sur son territoire, et créer les conditions pour que trois quarts d’entre eux échappent aux exterminateurs et à leurs complices (voir les travaux classiques de Serge Klarsfeld et de Jacques Semelin, Persécutions et entraides dans la France occupée, les Arènes-Seuil, 2013).

(1) La Persécution contrariée. Les Kaminker à Valréas (1943-1944), entre antisémitisme d’État et bienveillance d’une population, éditions Lambert-Lucas, 2007.

Le poids d’une vision mythique de la France

par Frédérick Genevée, membre du comité exécutif national du PCF

Membre du comité exécutif national du PCFLa sortie de Marine Le Pen sur le Vél’d’Hiv est évidemment liée au moment où elle était en difficulté dans les sondages. Il s’agissait pour elle de consolider sur des bases racistes et antisémites son électorat traditionnel. Il faut garder à l’esprit ce contexte politique. Mais évidemment, elle ne l’a pas fait comme son père en réduisant le génocide des juifs à un «  détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale  ». Elle a prétendu s’inscrire dans la continuité gaulliste en affirmant que la France n’était pas responsable, que la République n’était pas Vichy. Depuis le discours du président Chirac en 1995 – discours alors soutenu par le PCF et la majorité des forces politiques –, le débat a été tranché au niveau des institutionnels. Jacques Chirac ne s’est pas contenté de reconnaître la responsabilité de l’État mais il a aussi montré celle de la France en affirmant  : «  La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable.  » Grâce au travail des historiens, la responsabilité de l’État est maintenant une évidence – cela ne fut pas toujours le cas. L’ampleur de la collaboration d’État, de sa police, de son armée, de sa justice n’est plus à démontrer. Mais l’on peut aussi rétorquer que l’appareil d’État n’est pas la France. Oui, nous préférons la France républicaine, résistante, révolutionnaire mais elle ne se découpe pas en morceaux. D’ailleurs, le régime de Vichy n’est-il pas né du vote des pleins pouvoirs à Pétain par les députés de la Chambre élue en 1936 – celle du Front populaire, amputée il est vrai des députés communistes dont le parti avait été interdit  ? Et justement, la législation anticommuniste de Vichy n’est-elle pas malgré un saut qualitatif inscrite dans la continuité de celle de la IIIe République finissante  ? La France était à Vichy aussi bien qu’à Londres que dans les maquis et les détachements de FTP-MOI menant sur le sol métropolitain la lutte armée. Il était normal et même essentiel qu’au lendemain de la guerre de Gaulle et les gouvernements de la Libération, pour affirmer le rôle de la France dans le concert des nations, pour permettre aux Français de continuer à vivre ensemble, corrèlent épuration légale et distinction de la France et de Vichy. Mais, dès cette époque, ce sont bien la République et ses institutions qui ont indemnisé les victimes de Vichy, notamment les déportés. À la suite du discours de Jacques Chirac, ce sont bien les mêmes institutions qui ont indemnisé les biens spoliés des juifs. Faudrait-il alors déconstruire tout ce travail, revenir sur les indemnisations et les pensions  ? De fil en aiguille, nous en viendrions à faire porter aux victimes le poids d’une vision mythique de la France.

Notre connaissance des années noires s’est complexifiée, le contexte politique s’est modifié par rapport à 1945 et la lutte contre l’extrême droite ne souffre non plus aucune exception. Il ne faut donc pas tomber dans les pièges que nous tend Marine Le Pen. Admettre la responsabilité de l’État, de la France doit aller de pair avec une reconnaissance toujours plus forte du rôle de la Résistance dans toutes ses composantes, a contrario de ce qu’a fait Hollande en refusant de panthéoniser une résistante communiste. Il faut aussi enseigner cette histoire plus encore à l’école. Et nous devons faire encore beaucoup en France et en Europe pour la reconnaissance du génocide des Tziganes, de la répression subie par les homosexuels et de l’ensemble des victimes des nazis et des collaborateurs. Il s’agit d’un combat à mener sans relâche et avec esprit de suite.

À Londres et à Vichy

par Serge Farnel, journaliste et écrivain

Madame Le Pen, la France n’était pas, comme vous le prétendez, exclusivement à Londres, pendant l’Occupation. Elle était à Londres et à Vichy. La population française n’est pas une et indivisible. La France est, contrairement à ce que vous dites, «  responsable du Vél’d’Hiv  », de même qu’elle est le terreau de la Résistance. Il faut condamner l’une, célébrer l’autre. Et pour ce faire, les désigner. La circulaire no 173-42 en date du 13 juillet 1942 émanant de la police municipale française et organisant la rafle du Vél’d’Hiv indique que 45 gardes français ont été mobilisés afin de procéder, les 16 et 17 juillet 1942, à la rafle des juifs du 4e arrondissement de Paris. Parmi ces juifs figuraient ma grand-mère maternelle polonaise, Chana, et sa fille, française, Charlotte, alors âgée de 4 ans. Trois autobus ont été mis à la disposition de l’opération par le réseau de surface de la compagnie du métropolitain. Et ce pour ne parler que d’un seul arrondissement. Une fois les juifs dans le Vél’d’Hiv, la circulaire fait enfin savoir que «  la garde du vélodrome d’Hiver sera assurée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur par la gendarmerie de la région parisienne et sous sa responsabilité  ». Alors convenons que, si «  la France n’est pas responsable du Vél’d’Hiv  », cette opération en a tout de même et le goût et la couleur.

Il aurait pourtant suffi d’une grève générale du zèle pour empêcher «  ça  ». Pas bien difficile quand on sait qu’il n’y avait aucun casque allemand à l’horizon tout au long de l’opération. Toute latitude était ainsi donnée aux fonctionnaires français pour faire capoter la rafle et faire passer aux yeux de l’occupant le couac pour indépendant de leur volonté. Rien n’y fera. Quelques policiers agiront dans le bons sens. Sachons le reconnaître. Ma famille n’aura pas eu la chance de tomber sur eux.

Le Vél’d’Hiv, Madame, c’est la France de ces fonctionnaires zélés qui vinrent prendre ma grand-mère et sa fille dans leur appartement quand ils auraient très bien pu feindre de ne pas les y avoir trouvées. Le Vél’d’Hiv, ce sont ces policiers français qui empêchèrent ma grand-mère de sortir du vélodrome. La voilà, la France de Vichy.

Mais le Vél’d’Hiv, c’est également cette infirmière française qui est malgré tout parvenue à en faire sortir ma mère. Cette femme a résisté à sa façon à l’Occupation ainsi qu’à la politique du régime de Vichy. Elle y a résisté comme a résisté à sa façon ce prêtre français du Limousin qui fit de mon père un enfant de chœur afin de le soustraire à d’éventuelles rafles. La voilà, la France de Londres.

Je suis, Madame, le fruit de cette résistance. Je suis le fruit de cette France. Oui, la rafle du Vél’d’Hiv a engagé la responsabilité de la France. Pour autant, ceux qui collaborèrent avec les nazis ne sauraient en aucune façon représenter celle du prêtre et de l’infirmière.

Vichy est la France, quand bien même ce n’en est qu’une partie. Une de ces deux France contre laquelle je combats aux côtés de ceux qui, comme moi, défendent de mon pays une autre conception. C’est ce combat, clair et lucide, et aucunement le déni de la réalité, qui fera de nous «  des Français fiers d’être français  ».

Dossier publié par L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message