Jacques Généreux : la priorité, c’est de sauver l’Europe, pas l’euro

mardi 26 novembre 2013.
 

« Hollande va à la catastrophe », dit l’économiste du Parti de Gauche qui raconte à Rue89 ce qui se passerait « si Mélenchon était Président », et lui Premier ministre.

Si le gouvernement français est dans une telle nasse, pensent de nombreuses personnes à gauche, c’est parce qu’il est prisonnier des règles de la zone euro, qui le privent de toute marge de manœuvre.

C’est la conviction d’Arnaud Montebourg, de Jean-Pierre Chevènement, ou encore de Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, sur la scène politique, seule Marine Le Pen apparaît comme celle qui pointe ouvertement le rôle de la monnaie unique dans cette crise qui se prolonge. Une situation qui n’est pas forcément très saine, car le débat sur les responsabilités de l’euro n’est pas illégitime. Il aurait pu être porté par le Parti de Gauche, mais Jean-Luc Mélenchon n’a pas osé franchir le pas, considérant que ce serait politiquement irresponsable.

Faut-il sauver coûte que coûte l’euro ? J’ai voulu aller au fond du sujet avec l’économiste du Parti de Gauche, Jacques Généreux, professeur à Sciences-Po Paris. L’interview est longue, mais qu’on partage ou non les idées de Jacques Généreux, sa lecture intégrale est éclairante.

Rue89 : Certains parlent d’un « suicide » de la gauche européenne qui aurait, en acceptant un « carcan » européen, renoncé à une politique de redistribution, de régulation, de relance...

Jacques Généreux : Ce n’est pas l’Europe qui a tué la gauche, mais l’inverse : la gauche a tué l’Europe. Elle n’a pas « accepté un carcan », elle l’a mis en place. En 1997, lors de la discussion du traité d’Amsterdam, treize pays sur quinze sont gouvernés par des social-démocrates ou des socialistes. Il existait alors un rapport de force politique qui aurait pu permettre de réorienter le projet européen vers plus de coopération, de solidarité...

La coopération, la solidarité, c’était justement l’argument principal des partisans de la monnaie unique en 1992 – dont j’étais. A l’époque, il s’agissait de mettre fin à la spéculation sur les taux de change. Et on pensait que la monnaie unique forcerait les pays membres à aller vers plus d’harmonisation fiscale et sociale et plus de solidarité budgétaire. Le pari des progressistes était que la gauche, lorsqu’elle disposerait d’un rapport de force favorable, pourrait engager l’Europe vers cette nouvelle étape.

Mais la réalité a été différente. Parce que dans le même temps, la nature de la gauche dans les grands partis socialistes et sociaux-démocrates s’est radicalement transformée. Le Labour en Grande-Bretagne est devenu libéral, le SPD [Parti social-démocrate d’Allemagne, ndlr] aussi, le PS en France s’est mué en parti centriste.

Dès lors, quand la gauche se retrouve au pouvoir en 1997, il ne se passe rien : elle accepte la logique de la concurrence fiscale et sociale, la logique de la compétitivité, seule à pouvoir, selon ces partis, créer de la croissance et permettre de résister à la mondialisation.

Ils valident la logique de Maastricht, le pacte de stabilité et le processus d’élargissement sans approfondissement préalable du fonctionnement européen – c’est-à-dire la création d’une grande zone de concurrence sauvage.

En faisant entrer des pays avec des salaires trois ou quatre fois inférieurs, on créait un espace de compétition très dur. C’est la gauche qui a fait cela, au nom de ce qu’elle appelait « l’impératif de compétitivité ».

Les difficultés économiques et sociales actuelles sont-elles la résultante directe de ce choix européen ?

Oui, mais c’est un choix assumé par ce gouvernement. Quel est le grand sujet de réflexion qu’il a ouvert à son arrivée ? Le renforcement des services publics ? La lutte contre les inégalités ? Non, il a mis en place une grande commission sur la compétitivité des entreprises ! Tout est dit.

On a là un gouvernement qui considère que dans le contexte difficile où on est, la seule marge de manœuvre fondamentale est la restauration des marges de compétitivité. C’est une approche d’une stupidité crasse : si tout le monde est compétitif, on est bien avancés.

Ce n’est pas une stratégie coopérative, mais elle peut fonctionner si votre pays est l’un des seuls à la suivre...

Il faut aussi être convaincu que vous allez prendre de vitesse les Brésiliens, les Indiens et les Chinois, ce qui n’est guère réaliste.

Cela a réussi à l’Allemagne...

Oui, mais comment a-t-elle fait ? La France ne peut pas sous-traiter une partie de sa production en Europe centrale... L’Allemagne profite à la fois de sa technologie et de leurs bas coûts de production.

Croire qu’avec cette politique de compétitivité l’on va, en quelques mois, regagner des parts de marchés et que cela va permettre de créer des emplois est une illusion. Et si vous pensez que cela va mettre plus de temps, que faites-vous pendant ce temps-là ? Laissez-vous les boîtes fermer et les gens devenir chômeurs ? Vous enfoncez-vous dans la dépression ?

L’autre choix du gouvernement, c’est le « sérieux budgétaire »...

La politique de François Hollande est conforme à ses choix européens : il était en 2005 favorable au traité constitutionnel européen et farouchement opposé à ceux qui pensaient alors qu’il était temps de réorienter l’Union européenne. Il avait promis pendant sa campagne d’ajouter un volet croissance au Pacte budgétaire européen, cette couche supplémentaire de discipline européenne décidée contre la souveraineté nationale. On sait bien ce qu’il est advenu : on a ajouté le mot « croissance », validé quelques éléments de relance qui étaient déjà dans les tuyaux. Et on a ratifié un traité qui interdit de mener une politique de croissance de long terme.

En effet, ce traité, en imposant l’équilibre structurel des finances publiques, interdit le recours à la dette pour investir. C’est à la fois une atteinte à la démocratie et une aberration économique. François Hollande pouvait refuser ce traité, mais il l’a fait ratifier.

Pourquoi l’austérité ne fonctionne pas

A partir du moment où on se place dans ce cadre-là, eh bien, c’est foutu. François Hollande ne peut pas recourir au déficit budgétaire à court terme, comme l’ont fait les Chinois, les Américains et bien d’autres, pour soutenir l’activité dans un premier temps, en attendant de faire des réformes structurelles à plus long terme. Pas question pour lui non plus de désobéir aux règles économiques en faisant financer la dette publique par des banques publiques. Il ne peut ni régler le problème de la croissance et de l’emploi, ni régler le problème des finances publiques [voir schéma, ndlr] : il va à la catastrophe.

Economistes, FMI, OCDE, tout le monde le dit : si des pays formant un ensemble sont plongés dans un ralentissement économique et sont victimes d’un excès de dette publique, ils n’ont pas intérêt à utiliser tous l’assomoir de l’austérité, sauf à prendre le risque d’entrer dans un processus de dépression.

Comment proposez-vous de changer la donne ?

On ne peut pas changer la donne sans changer les traités européens. Le seul moyen de sortir de cette situation est de se débarrasser du fardeau de la dette excessive, mais sans sacrifier les dépenses publiques (car il faut aussi soutenir l’activité et l’emploi). L’équation a l’air compliquée, elle ne l’est pas.

D’abord, il faut dépenser plus, mais sans aggraver les déficits. Comment ? En trouvant des ressources inutilisées. Il en existe : on peut ainsi récupérer l’argent oisif accumulé dans des patrimoines et autres biens de luxe, qui sont alimentés par les niches fiscales. Selon l’Inspection générale des finances, sur les 150 milliards d’euros de niches fiscales, 70 milliards n’ont pas d’effet réel positif sur l’économie…

Pour les récupérer, il suffit de restaurer la norme fiscale. Plus globalement, au lieu de créer des impôts ici et là, d’une semaine à l’autre, il aurait fallu faire une grande réforme fiscale, claire, débattue. Si l’on appliquait déjà simplement le barême de l’impôt sur les revenus du début des années 90, cela rapporterait 17 milliards d’euros…

La lutte contre la fraude fiscale est également un gisement possible. Il suffit de s’en donner les moyens : les Italiens ont récupéré 10 milliards en traquant les fraudeurs. En France, l’exploitation d’une seule liste, celle des clients de HSBC, a permis de récupérer 1,5 milliard. Des dizaines de milliards d’euros peuvent être récupérés en créant un service fiscal sérieux.

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