Hier soir, j’ai rendu ma carte ; ce matin, je la reprends

lundi 16 décembre 2013.
 

Je ne vous parle pas tous les quatre matins de mon parti. Ce n’est pas que j’en ai honte, mais comme mon action et mes idées vont bien au-delà, j’essaye d’éviter le travers nombriliste qui caractérise beaucoup de militants. Pas tant de chez nous que d’ailleurs, vous savez, dans ces mastodontes qui pensent que la politique se résume à la vie de leur organisation.

La politique, c’est un combat très dur. Il est très dur car il est au front, sur le champ des tirs nourris dès qu’une tête dépasse du rang. Il est dur parce qu’il est utile, parce qu’il bouscule et touche directement les places confortables de ceux qui nous confisquent le pouvoir. Il est dur et enthousiasmant, fait de hautes montagnes et de profondes vallées, comme un amour passionnel qui ne reste jamais en place.

Ma révolution fiscale

Ce dimanche on repartait au combat. Quand je dis « ce dimanche » ça veut dire, les semaines qui l’ont précédé. Les bonnets rouges monopolisaient l’actualité dans une critique réactionnaire de l’impôt. Un beau paquet cadeau tinté de patronat paternaliste, de députés UMP et les nazillons du FN en embuscade. Comme à son habitude, le gouvernement s’est couché, trop facile… Il n’a pas tenu une semainephoto 1er dec avant d’injecter quelques millions pour calmer les ardeurs. romain2.jpg

Nous, nous ne voulions pas disparaître : la gauche, celle qui a autre chose à dire sur l’impôt que le « ras-le-bol » fiscal. Celle qui veut d’un impôt progressif, sans privilèges, sans niches, sans foutage de gueule des puissants qui copinent entre eux pour faire payer le plus grand nombre à leur place. Donc on se bat avec nos médias contre les rouleaux compresseurs audiovisuels, on va sur nos marchés, devant les bouches de métro, on frappe à des portes et on explique encore et encore.

Le jour-J le stress monte. Claire et moi décorons le camion que nous animons, dernière répétition des chansons, préparation de la playlist. Le car des Toulousains est arrivé tôt le matin. Les camarades ont collé des affiches tout le long du parcours dans le froid. La foule se rassemble doucement. On sait que rien ne va de soi. Un mouvement n’émerge pas tout seul, il faut d’abord que les gens le connaissent, qu’ils soient convaincus que c’est leur intérêt et que ça vaut le coup de se bouger le cul un dimanche. Dans l’océan de résignation que répand la politique de Hollande, chaque personne est précieuse.

La marche avance et le camion prend place, Claire et moi jouons notre rôle : chansons, danses, petites mises-en scène. Ça plaît, et l’énergie de la foule nous booste. Nous sommes derrière le carré de tête. À mesure qu’on avance sur le boulevard de l’Hôpital on prend conscience du nombre qu’on est. On n’en voit toujours pas le bout quand on bifurque au niveau 6d’Austerlitz ! Ma gorge se dénoue, romain3.jpg le pari est réussi.

Derrière nous, le cortège de départ s’est fait déborder par des citoyens de partout. On voit au fond la banderole du Front de Gauche 31 qui s’est perdu dans la masse. Dans un autre contexte, ça aurait pu m’agacer. Mais la bonne humeur règne, une harmonie qu’on voit rarement dans les manifestations, une camaraderie qu’on croit presque tenir du bout des doigts dans les sourires complices, les regards tendres, les rires qui éclatent.

Quand je dois annoncer le chiffre j’ai le souffle coupé. Qu’importe la lutte arithmétique, là n’est pas l’important : on est bien plus que ce qu’on espérait ! C’est ça ma révolution fiscale, cette démonstration que notre camp est toujours prêt à se battre…

Coup de boutoir…

Sacré coup sur la gueule quand je regarde les infos après. Valls annonce 7000 participants. Le chiffre me fait rire quand je pense à la vue que j’avais quelques heures plus tôt. Mais je sais qu’il sera pris au sérieux, comme les chiffres « officiels » que la préfecture n’a pas le droit de donner d’après elle.

Ça fanfaronne un max, les socialistes se succèdent pour nous traiter de poujadistes… Eux qui ont brossé dans le sens du poil les « bonnets rouges » nous assimilent à un mouvement politique qui a fait émerger Jean-Marie Le Pen. Ces chiens n’ont plus de limites et les journalistes hochent la tête comme si c’était de bonne guerre.

La photo de l’interview de JLM tourne. Une photo avant la manif, avec une vingtaine de camarades pour faire le fond. Rien de très original, aucune manipulation, simplement un décor qu’on assume sur les réseaux sociaux. Mais rien n’y fait, les adversaires sont trop contents d’en profiter et de ressortir le refrain qu’ils vomissent à chaque fois qu’ils ont à parler de nous : « Vous n’êtes que 2 » disaient-ils en 2008 lors de la création du Parti de Gauche ; « Vous êtes un homme seul M. Mélenchon » crachait Cahuzac sur France-2 l’année dernière. Méprisants et corrompus… Mais ça marche, et moi, je vacille.

À bout de souffle

Arrêtons-nous un instant. Chère lectrice, cher lecteur… est-ce que tu sais ce qu’est la vérité ? Je me suis souvent posé la question. Est-ce que c’est quelque-chose qui existe, qui s’est passé ? Est-ce que la réalité a une existence si on ne la voit pas ? Du point de vue de l’humanité, ce qui existe, c’est ce qui est perçu. Ceux qui étaient là ont vu que nous étions plusieurs dizaines de milliers. Ceux qui étaient à leur fenêtre du boulevard de l’Hôpital, ou dans ce métro qui nous a salués en klaxonnant… ceux-là doivent savoir le mensonge qui se dessine derrière les chiffres de Valls.

Mais la vérité, ce n’est pas ça. La vérité c’est ce que le peuple croit savoir de ce qui s’est passé. Aux 100 000 personnes s’opposent les millions de témoins des moqueries constantes des médias de masse, les milliers de lecteurs des torchons qui expliquent sur tous les tons que c’était un échec. À ceux qui se sont arrachés pour ne pas que leur avis disparaisse dans l’océan de merde du débat politique, s’opposent ces belles personnes manipulatrices, qui en trois mots dénigrent l’essence du moteur démocratique.

Je suis fatigué ce soir… fatigué de cette lutte. Usé de creuser à la petite cuillère ce que les autres remplissent à la pelleteuse. Abattu par le mépris qui frappe comme une enclume sur mes camarades et moi qui mettons tant de nous dans la bataille… Je veux m’évader dans un autre monde. Ne pas savoir, ne pas sentir, simplement me fondre dans les limbes. Parfois je veux prendre matériellement les armes, me dire qu’au fond la seule action efficace serait de leur coller une balle entre les deux yeux, ou un bon coup de batte derrière la nuque.

Ce soir j’abandonne, c’est trop dur. J’irai nourrir le marais stagnant de ceux qui n’agissent plus, je n’ai même plus envie d’y penser. Je suis déjà parti, loin, à jouir sans regarder l’après… Mon oreiller m’aspire, au revoir.

C’est un joli nom…

Ce matin je me réveille comme après trop de mauvais vin. Je patauge à demi-endormi jusqu’à ma salle de bain pour voir ma sale tronche. J’enfile quelques vêtements pour me réchauffer. Le café coule et fait émerger mes derniers sens.

La télé répète son refrain odieux. Éco-taxe, faits divers, inepties rageuses d’économistes libéraux qui en veulent toujours plus. On croirait des vampires assoiffés que rien n’arrête. J’aimerais qu’ils affrontent le regard de haine que je leur porte. Qu’ils osent tenir ces propos devant les conséquences des politiques qu’ils défendent. Les images d’hier reviennent à mon souvenir. Leur sourire narquois quand leur message est passé, leur satisfaction quand les mensonges font le buzz.1

J’enrage devant cet immonde Valls qui parle de racisme au moment même où il expulse à tour de bras. Je scotche sur ce débat inique entre deux députés censés être en opposition mais d’accord sur tout, l’un surenchérissant sur l’autre, à qui est plus austère, à qui saignera le plus la population, à qui supprimera le plus de fonctionnaires. Les journalistes font le joyeux deuil du repos dominical. Une ode à l’exploitation sans la moindre contradiction… Quelle horreur !

Je pense à tous mes amis de ce week-end, à leur joie de vivre, à leur lutte en chanson. Je pense aux slogans, aux « Résistance » qui à chaque fois frappent ma poitrine comme un défibrillateur. Je pense aux milliers de gens qu’on rencontre, au sens que la lutte donne à mon existence dans cette société qui me révulse. Je vois Claire et son bonnet phrygien, Manu et son sourire soulagé quand tout marche sur des roulettes. Je pense à ces femmes et ces hommes, plus vieux, qui affrontent Goliath depuis des dizaines d’années et qui étaient encore là dimanche. J’ai l’image de nos grands modèles qui ont offert leur vie à ce combat, qui n’ont jamais cessé, jusqu’à leur dernier souffle malgré les coups qu’ils subissaient encore et encore.

J’imagine la satisfaction de ces trous-du-cul quand un de nous lâche le drapeau. Depuis les carriéristes de l’UNEF qui m’ont traité de tous les noms avec condescendance quand j’étais étudiant jusqu’à ces fachos qui n’hésitent plus à agresser mes ami-e-s aujourd’hui.

Hier soir, j’ai rendu ma carte, ce matin, je la reprends et avec elle, le fanal de combat, toujours plus déterminé. Ils ne m’auront pas, ils ne nous auront pas. Je ne laisserais pas le champ de bataille aux pourris qui en tirent profit… Je comprends enfin, sûrement à ma façon, ces mots d’Aragon : « Je démissionne tous les soirs du parti communiste pour y ré-adhérer tous les matins. »

Il est 8h, la nuit a été courte. La journée sera longue, heureuse, combative… Je suis militant du Parti de Gauche.


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