Grève des mineurs britanniques en 1984 : Les dossiers secrets de Thatcher rendus publics

vendredi 11 mars 2016.
 

Au 1er janvier 2014, la prescription trentenaire qui court sur les archives gouvernementales britanniques est tombée. Ainsi, les documents de 1984 sont devenus publics… et apportent un éclairage, sinon nouveau, du moins plus précis sur l’engagement austéritaire de Margaret Thatcher. Ses thuriféraires gagnaient au secret d’Etat sur le caractère autoritaire, voire ouvertement violent, de son gouvernement et de ses rapports aux mouvements sociaux : mais voici que se lève le voile d’opacité, notamment concernant la grande grève des mineurs en 1984, qui a marqué toute une génération d’ouvrières et ouvriers britanniques, signant la victoire du néolibéralisme britannique par KO - et avec des méthodes gouvernementales peu orthodoxes.

Le National Union of Mineworker : farouche adversaire des Conservateurs

En 1974, le syndicat des mineurs (National Union of Mineworkers) fait chuter le gouvernement conservateur d’Edward Heath, qui mène une campagne antisyndicale sur le slogan « Qui gouverne la Grande-Bretagne ? » – gouvernement dont la ministre de l’éducation et des sciences se prénommait Margaret Thatcher. Le NUM était le syndicat le plus fort du pays, au sein d’une industrie minière nationalisée en 1947. Malgré différents conflits localisés, cette industrie n’avait connu aucune grève générale jusqu’en 1972. Et encore, les conflits nationaux de 1972 et 1974 portaient sur les salaires et les conditions de travail des mineurs. Bref, à l’aube de l’année 1984, les Conservateurs mûrissaient leur vengeance, 10 ans après leur défaite contre les mineurs.

Déclenchement de la crise de 1984

En 1984, le directeur des Charbonnages, Ian MacGregor (National Coal Board), nommé par Thatcher entre temps Premier Ministre, annonce la fermeture de quelques mines. Arthur Scargill, président marxiste du syndicat NUM, comprend que le gouvernement néolibéral a pour objectif une fermeture intégrale des mines de charbon. Ceci dans une intention politique : détruire le pouvoir considérable du NUM. Deux éléments déclencheurs de la crise peuvent être identifiés.

Le programme comprenait un plan d’austérité de la filière, avec 20.000 suppressions de postes sur les 186.000 existants, la fermeture de 20 puits et la réduction, par rapport à 1983, de 4 millions de tonnes la production de charbon nationale. La politique des Charbonnages consistait à fermer les « puits non économiques » (la différence entre épuisement des réserves et caractère non-économique est extrêmement floue, puisqu’en réalité tout repose sur le rapport entre coûts d’extraction et prix de vente unitaire) pour réduire le déficit des houillères, au lieu d’entamer une conversion industrielle et une restructuration axée sur la valeur ajoutée, sous contrôle public.

Au-delà de la structure industrielle de la branche minière, la nouvelle direction entendait modifier les normes et critères de gestion. Les projections industrielles ne devaient plus dépasser un an (fin de toute planification), s’appuient sur une concertation permanente avec des délégués du patronat organisé.

Par ailleurs, précédemment, l’accession de Ian MacGregor à la tête de la sidérurgie nationalisée (British Steel) en juillet 1983 avait cristallisé les oppositions. En effet, traînant la réputation d’un « patron de combat », engagé dans l’offensive contre les syndicats ouvriers, le gouvernement Thatcher l’avait embauché pour des sommes exorbitantes (2 millions de livres). Sa mission consistait à couper dans les dépenses, via la fermeture de sites sidérurgiques et la suppression de 60 % des emplois.

La grève est brisée aux termes du plus violent conflit industriel de la Grande-Bretagne, avec plusieurs centaines de blessés et deux morts chez les mineurs. Elle dure une année entière, avant la victoire de Thatcher. Bilan : en 1987, il ne restera plus que 115.000 mineurs, 24 puits fermés, et, à l’heure actuelle, le Royaume-Uni importe chaque année des millions de tonnes de charbon…

Révélations récentes

On apprend dans les documents secrets du cabinet de Thatcher :

- que le gouvernement et les Charbonnages disposaient d’un mémo secret : au lieu de 20 mines, ils entendaient en fermer 75 sur trois ans, et 64.000 emplois. Scargill avait donc raison. En fin de compte, les deux-tiers des mineurs du Pays de Galles seraient devenus redondants, la moitié de ceux situés dans le Nord-Est, dans le Sud Yorkshire, et un tiers des Ecossais – sans compter l’ensemble des mines du Kent.

- plus de détails sur les mesures anticipées en amont par le gouvernement pour mener son bras de fer : stockage de charbon pendant un certain temps, avant de lancer le rapport de force, diversification des sources d’énergie orientée vers l’affaiblissement du NUM.

- des détails sur les modalités coercitives : emploi violent délibéré de la police, et, en réaction aux grèves de solidarité des dockers et après l’infiltration policière secrète des syndicats miniers, Thatcher envisagea sérieusement le déploiement de 4.500 militaires et la proclamation de l’état d’urgence pour briser la grève.

Comme d’habitude, la libéralisation n’est pas un retour aux « forces pures et naturelles du marché », mais le fruit d’une activité politique complexe et soutenue, qui vise à construire un marché fonctionnant selon des règles d’offre et de demande, à la fluidité accrue, et aux actifs plus liquides. Le marché libre requiert une main de fer : en l’occurrence, celle de Thatcher. Trente ans plus tard, les Tories remettent le couvert, avec une année 2014 marquée par des restrictions budgétaires extrêmement violentes.

Hadrien Toucel


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