Le prix de la confiance (par Henri Emmanuelli)

jeudi 10 avril 2014.
 

Sans surprise, les Français attendent prioritairement du nouveau gouvernement une amélioration de la situation de l’emploi. Dans les mois qui viennent, beaucoup dépendra donc de la nature et du contenu du pacte de responsabilité, proposé par le Président de la République et que le nouveau gouvernement devra mettre en oeuvre. A l’évidence, la courbe du chômage est tributaire du taux de croissance. Il n’y aura pas d’inversion de la courbe du chômage si la croissance reste inférieure a 1,8% dans notre pays. Pour obtenir ce taux de croissance nécessaire plusieurs voies peuvent être choisies. La première, qui semble avoir actuellement l’assentiment de l’exécutif, consiste a vouloir mener de front une politique de réduction drastique de la dette - dite d’austérité budgétaire - avec une vigoureuse politique de l’offre en direction des entreprises pour, dit-on, restaurer la compétitivité de notre pays. Encore faudrait-il que la compétitivité par les coûts soient le seul vrai problème, ce qui ne se vérifie pas sur les coûts de la production manufacturière plus élevés en Allemagne qu’en France. Et que les taux de marge supplémentaire des entreprise aillent aux investissements plutôt qu’aux dividendes. Ce qui ne se vérifie pas non plus dans un pays, le notre, ou les dividendes ont augmenté de 50% sur une période de dix ans alors qu’ils diminuaient de -8% en Allemagne. Rien d’étonnant a ce que les investissements se soient effondrés, en France, évidemment, où l’État a donné le plus mauvais exemple en exigeants des entreprises qu’il contrôlait des dividendes importants pour renflouer ses caisses au lieu de privilégier l’investissement .

Dans ce contexte particulier, le notre, les approches globales sont déviées ou sans effet. Une étude récente montre que les entreprises exportatrices n’ont pas bénéficié et ne bénéficieront pas du CICE- ce qui est un comble- parce que la moyenne de leurs salaires sont supérieurs a 2,1 fois le SMIG ! J’avais, avec d’autres, demandé vainement un ciblage de cette mesure vers l’industrie manufacturière et les services productifs...Mais surtout, par delà ces considérations techniques qui ont néanmoins toute leur importance, il faut être conscients de ce que l’on n’a jamais vu de croissance soutenue dans un contexte de contraction budgétaire importante ni d’amélioration de la situation financière d’un pays sans un minimum de croissance. A vouloir mener de concert le boeuf et la mule dans le même attelage, pour contenter les orthodoxes de tout poil qui font d’avantage de politique inavouée que d’économie rationnelle, nous n’allons pas vers la réduction de la dette et l’inversion de la courbe du chômage, nous allons vers la DEFLATION ! Et qui dit déflation dit catastrophe sociale et politique. Sauf erreur de ma part, le FMI, qui ne porte pas le point de vue de l’aile gauche du PS, vient de lancer une alerte sévère sur le sujet. Tout comme la BCE, qui a exprimé ses craintes mais n’ a pas bougé ! La BCE ne bouge qu’en période d’épidémie avérée. Pas a titre préventif !

La deuxième consisterait a mixer une politique vigoureuse et ciblée sur l’investissement et la demande la plus solvable, celle du pouvoir d’achat des catégories populaires et des classes moyennes inférieures après avoir obtenu une armistice à Bruxelles de ceux qui nous mettent au piquet budgétaire tout en se montrant incapables de partager avec nous l’impôt du sang. Politique de l’offre et politique de la demande, qui alimentent tant de débats théoriques, sont en réalités indissociables si l’on veut obtenir un niveau d’emploi satisfaisant. C’est ce mixe qui doit constituer le coeur du pacte de responsabilité sur lequel il serait urgent d’avoir des précisions et à la définition duquel le parlement doit être associé, en responsabilité. Booster l’investissement oui ! C’est urgent ! Améliorer le pouvoir d’achat de celles et ceux qui sont en manque quasi vital de consommation, oui c’est urgent ! Baisser les cotisations qui sont devenues des charges dans le discours : faut voir a qui ça profite exactement et a qui ça coûte ! Sacrifier au 3% de déficit, c’est ré-atteler le boeuf aux cotés de la mule et risquer la déflation. Ah, ce fameux 3% qui nous poursuit comme l’Oeil du remord poursuivait Cain jusque dans la tombe ! D’ou vient-il ? Certes faire de la dette ne peut être un programme durable. Mais sacrifier a la dette les moyens de la réduire est un contrer-sens. Et de grâce, s’agissant des mesures du mix, pas d’approches globales a finalité plus politique qu’économique. Nous avons déjà donné.

Bref, il me paraît inconcevable que le parlement ne soit pas appelé à se prononcer sur ce pacte dit de responsabilité, justement. On nous dit que les principes généraux de ce pacte seront inclus dans le discours d’investitures et que le vote pour l’un vaudra pour l’autre. Mais outre le fait que cela ne correspond pas aux engagements précédemment pris -vote de confiance annoncé à plusieurs reprises- les détails et la chronologie sont de la plus haute importance. Plus importants, en réalité que les orientations générales avec lesquelles on peut toujours s’accommoder. Sans entrer dans l’évocation des Horace et des Curiaces, une mesure envisagée au printemps peut devenir infaisable à l’automne. D’où la nécessité, a un moment ou a un autre, sous une forme ou sous une autre, de soumettre au parlement ce pacte dans la totalité de sa cohérence.

Ce sera pour moi le prix de la confiance. Confiance, oui, chèque en blanc non. En l’absence de cet engagement précis, ce sera l’abstention.

Henri Emmanuelli

NB : Pour les " inquiets de la réaction des marchés ", je voudrais dire qu’au moment ou j’écris ces lignes le Bond français a 10 ans est a 2,03 ( contre 2,60 en février) et celui de l’Allemagne de même maturité a 1,55...L’écart se réduit encore. Le choc obligataire n’a pas l’air de s’avancer..a déflation, en revanche..


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