José Bové dérape sur la PMA

mercredi 7 mai 2014.
 

Comme je vous l’apprends, José Bové a été moins présent que moi cette année au Parlement européen à l’heure d’appuyer sur les boutons de la machine à voter. Peut-être va-t-il mieux comprendre qu’une campagne électorale, même interne, comme celle qu’il a menée pour être investi comme candidat à la présidence de la Commission, est une activité qui prend du temps et qu’elle n’est pas indigne du mandat de parlementaire. Ayant eu à vivre le même épisode pour l’élection présidentielle en France, j’ai connu cette situation. Mais du fait de cette nouvelle position, je suis dorénavant avec intensité toutes ses prises de position, puisque les Verts sont en concurrence avec nous devant le jugement des électeurs. S’y ajoute la curiosité au cas précis. Car il est vrai que les attaques répétées de Bové ont été nombreuses ces derniers temps et j’avoue qu’elles m’ont pris de cours car je ne m’y attendais pas. Je suis donc dorénavant bien décidé à comprendre qui est ce donneur de leçons que je croyais connaître comme un camarade.

Plus j’écoute ce qu’il dit plus je suis stupéfait. Je m’en veux de ne pas l’avoir fait plus tôt. Car il n’est pas possible que ce que je j’entends de lui soit nouveau dans sa bouche et en tous cas dans sa pensée. Ainsi à l’occasion de son dernier passage média important. Ce jour-là, José Bové était l’invité de l’émission « Face aux chrétiens » animée par Dominique Gerbaud. Une émission de qualité à laquelle j’ai également participé il y a peu. Il répondait aux questions de Louis Daufresne (Radio Notre-Dame), Benjamin Rosier (RCF) et Mathieu Castagnet (La Croix). Ses réponses considérées comme essentielles ont été reprises par le journal « La Croix » paru vendredi 2 Mai. Deux d’entre elles méritent une attention particulière. La première concerne son credo européen, la seconde la question de la procréation médicalement assistée. La première éclaire bien la nature de son engagement européen. « Ayons du courage, déclare-t-il, n’ayons pas l’Europe honteuse ! Expliquons aux gens qu’elle permet de vivre mieux que s’ils étaient chacun recroquevillés dans leur propre pays » déclare Bové. On se pince. Candidat à la présidence de la commission européenne compte-t-il assumer cette position devant les Grecs, les Espagnols, les Irlandais, les Portugais ou même les Français ? En Europe, qui vit mieux aujourd’hui grâce à l’Europe ? Plus loin dans l’entretien, l’usage d’un rapprochement qu’il fait entre Le Pen et moi, alors que la question ne lui était pas posée, me parait devoir être signalée. Il déclare : « Je me situe très clairement en opposition aux discours de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ». Voilà un de ces procédés déloyaux auquel dorénavant José Bové ne répugne plus, même à l’égard de ceux qui l’ont soutenu aux moments difficiles dans le passé. Je me sens donc les mains libres pour évoquer à présent ce que je crois être un dérapage grave de la part d’un homme de gauche. Naturellement José Bové a parfaitement le droit d’avoir des convictions religieuses qui lui fassent un devoir moral de comportement personnel. Mais le législateur européen doit-il s’y soumettre et voter des textes pour y soumettre tous les autres ? Je donne d’abord à lire ce que « La Croix » a transcrit sur le thème. Lisez tranquillement pour bien prendre la mesure de ce qu’il dit.

« La Croix » : « Vous qui combattez les OGM, soutenez-vous l’offensive des écologistes pour ouvrir la PMA aux couples homosexuels ? »

José Bové : « Je n’ai jamais varié, je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour les couples homosexuels ou hétérosexuels. Je ne crois pas que le droit à l’enfant soit un droit. La réflexion ne peut pas se couper en tranches sinon, d’évolution en évolution, il n’y aura plus de limite. Tout ce qui fait qu’on va fabriquer le vivant plutôt que de le laisser se développer pose énormément de problèmes humains et éthiques. Pour moi, tout ce qui est manipulation sur le vivant, qu’il soit animal, végétal et encore plus humain, est quelque chose qui doit être combattu. » Selon la sénatrice Verte Esther Benbassa, José Bové confond ici OGM et PMA. Pour ma part j’y vois une erreur encore plus lourde. Et même inouïe. José Bové sait-il que la PMA est légalement appliquée, d’ores et déjà, pour les couples hétérosexuels qui la demandent ? Propose-t-il de l’interdire ? Oui. Sa position est donc plus restrictive que celle des adversaires du mariage pour tous qui ne la refusent qu’aux couples homosexuels !

José Bové pose encore un deuxième principe. Il se prononce « contre toute manipulation du vivant ». Que désigne-t-il sous l’appellation « manipulation du vivant » dont il précise qu’il les refuse dans toutes les catégories : animales, végétales et « a fortiori humaines » ? Je ne crois pas qu’en tant qu’ancien éleveurs de brebis il condamne les croisements qui améliorent les caractéristiques des céréales ou des lignées d’ovins. Ce sont pourtant des manipulations. Je crois donc qu’il vise explicitement ce qui relève des sciences techniques dans ce domaine. Mais alors, toutes les thérapies génétiques doivent-elles être condamnées, par exemple ? La racine de cette mise à distance généralisée des sciences et des techniques n’appartient pas qu’aux branches dures du christianisme actuel. A sa périphérie, des courants de pensée se sont aussi réapproprié cette inspiration. Ils ont été à leur tour largement réinterprétés par certains courants écologistes. Dans l’ensemble ils ont emprunté au philosophe Jacques Ellul les grands traits de sa critique de la société « technicienne ». Jusqu’au point pour certains d’identifier les biotechnologies à des « sciences de la mort ». J’estime que sur le plan philosophique, ce n’est pas le meilleur d’Ellul. Mais sur le plan politique, c’est le pire. L’humanisme progressiste s’en tient à la modeste mais exigeante devise de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cela signifie que nous ne devons être ennemi d’aucun progrès de connaissances et de mode opératoire, mais que nous ne devons en user qu’en ayant appliqué préalablement notre examen critique consciencieux.

A moins que ce ne soit un problème encore plus vaste que soulève José Bové. Je le mentionne en raison de l’ambiguïté visible d’une de ses phrases. La voici : « Tout ce qui fait qu’on va fabriquer le vivant plutôt que de le laisser se développer pose énormément de problèmes humains et éthiques ». Quelle est cette opposition entre « fabrication du vivant », que l’on comprend du point de vue énoncé auparavant par Bové, et son contraire formulé ainsi : « plutôt que de le laisser se développer » ? Parlons net : l’avortement est-il une « manipulation du vivant » ? Que faudrait-il laisser se développer dans ce cas ? Le fœtus ? Encore une fois, je ne récuse pas le droit de Joé Bové, en tant que personne privée, de s’interdire le choix de l’avortement si sa décision personnelle est sollicitée. Mais le législateur européen José Bové reconnait-il aux autres le droit de pouvoir choisir eux et elles-mêmes ? Cette question n’est pas sans importance dans le contexte actuel d’attaque contre les droits des femmes en Europe.


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